3 décembre 1919
Décès de Pierre-Auguste Renoir.
Dans son livre de souvenirs sur son père, le cinéaste Jean Renoir s’efforce de minimiser son antisémitisme.
Selon le récit de Jean, la décision de Renoir de ne pas participer à une exposition avec Pissarro et Gauguin n’était pas due à un quelconque antagonisme personnel avec la position pro-Dreyfus de Pissarro. Renoir ayant été approché pour l’exposition, Degas, farouchement antisémite, lui demande avec inquiétude: «Vous n’allez sûrement pas faire une chose pareille, n’est-ce pas?» Renoir répond: «Qui? Moi? Moi exposer avec une bande de juifs et de socialistes? Vous devez être fou! « . Son fils interprète cela comme une plaisanterie certes malavisée pour se débarrasser de Degas. La vraie cause de la décision de Renoir de ne pas exposer, dit Jean, était tout simplement parce que Renoir ne pouvait pas supporter les peintures de Gauguin («ses femmes bretonnes ont l’air trop anémiques»).
Tout autre est l’impression qui se dégage du journal que Julie Manet, nièce d’Edouard Manet et fille de Berthe Morisot, tient entre 1893 et 1899, en pleine affaire Dreyfus.
Orpheline à dix-sept ans, elle devient la protégée du cercle des impressionnistes et de leurs amis, très liée avec Renoir, son mentor, Degas, Monet, Pissarro, et bien d’autres. A la mort de son père Eugène Manet en 1892, son tuteur n’est autre que Stéphane Mallarmé…
Son Journal est une chronique captivante de la vie des Impressionnistes. A leur propos, elle fournit de nombreuses anecdotes collectées lors de rencontres, d’invitations, de voyages, ou dans l’intimité secrète de leur atelier. Aussi lorsqu’elle évoque les opinions antisémites de Renoir, on peut la croire sur parole, car elle l’admire éperdument et partage tout-à-fait ses idées.
En voici quelques passages édifiants.
« Samedi 15 janvier 1898. A l’atelier de Renoir où on parle de l’ « affaire Dreyfus » et des juifs : « Ils viennent en France gagner de l’argent et puis si on se bat ils vont se cacher derrière un arbre, dit M. Renoir, il y en a beaucoup dans l’armée parce que le juif aime à se promener avec des brandebourgs. Du moment qu’on les chasse de tous les pays il y a une raison pour cela et on ne devrait pas les laisser prendre une telle place en France. On demande qu’on mette le procès Dreyfus au jour, mais il y a des choses qui ne peuvent pas se dire, on ne veut pas comprendre cela. » M. Renoir part aussi sur Pissarro « un juif » dont les fils ne sont d’aucun pays et ne font leur service militaire nulle part. « C’est tenace cette race juive, la femme de Pissarro ne l’est pas et tous les enfants le sont encore plus que leur père. »
Jeudi 17 mars 1898.
Nous mettons des costumes pour recevoir M. Mallarmé et M. Renoir qui n’ont pas du tout le caractère mi-carèmesque et recommencent l’éternelle discussion sur l’affaire Dreyfus, ils répètent les mêmes choses, des nouvelles, M. Renoir dit, ce qui est vrai, que le propre des juifs est de désagréger, etc. Ils sont peut-être très intéressants mais vraiment on en a assez de cette affaire…
Mercredi 2 août 1899
Tout le monde va à Paris. Arsène Alexandre, Vollard et le neveu de M. Renoir viennent dîner. On parle de Gustave Moreau ; Arsène Alexandre qui a fait un article des plus élogieux sur lui au moment de sa mort veut le défendre en disant que ce qui est dans sa maison ne ressemble en rien à ce que l’on voit au Luxembourg. «C’est de l’art pour juif », conclut M. Renoir. Quelle juste définition de cette peinture ! »
Détail instructif, ces passages ont été expurgés de la réédition du Journal de Julie Manet en août 2017. On ne déboulonne pas les idoles.
