Ephéméride |Bogdan Khmelnitzki [25 janvier]

25 janvier 1648

Bogdan Khmelnitzki est élu ataman par une rada cosaque. Commence ainsi la plus grande tragédie de l’histoire des Juifs d’Europe de l’Est avant Hitler.

Au printemps de 1648, tandis que le roi Vladislav IV règne encore sur la Pologne, l’un des chefs populaires cosaques, Bogdan Khmelnitzki, de la ville de Chigirin, dans la province de Kiev, déploie la bannière de la rébellion en Ukraine et dans la région au-delà des chutes du Dniepr. Furieux contre la conduite des autorités polonaises de son pays natal, Khmelnitzki commence à inciter les Cosaques ukrainiens à la résistance armée.
Ils l’ont élu secrètement leur ataman, et l’ont autorisé à mener des négociations avec les Zaporogues. Arrivé dans la région au delà des chutes du Dniepr, il organise des compagnies militaires et conclut une alliance avec le khan de Crimée, qui s’engage par un pacte à envoyer de grandes troupes de Tatars au secours des rebelles.

En avril 1648, les armées combinées des Cosaques et des Tatars passent de l’autre côté des chutes du Dniepr et s’avancent jusqu’aux frontières de l’Ukraine. Au voisinage des Eaux Jaunes et de Korsun, ils infligent une défaite sévère à l’armée polonaise sous le commandement de Pototzki et Kalinovski (6-15 mai), et cette défaite donne le signal de la rébellion à toute la région des rives orientales du Dniepr. Les paysans et les citadins russes quittent leurs maisons et, s’organisant en bandes, dévastent les domaines des nobles polonais, massacrant leurs propriétaires ainsi que les intendants et les métayers juifs. Dans les villes de Pereyaslav, Piryatin, Lokhvitz, Lubny et le pays environnant, des milliers de Juifs sont tués de façon barbare, et leurs biens sont détruits ou pillés. Les rebelles permettent seulement à ceux qui embrassent la foi orthodoxe grecque de survivre. Les Juifs de plusieurs villes de la région de Kiev, pour échapper aux mains des Cosaques, s’enfuient vers le camp des Tatars et se livrent volontairement comme prisonniers de guerre. Ils savent que les Tatars s’abstiennent généralement de les tuer et les emmènent en Turquie, où ils sont vendus comme esclaves, et ont une chance d’être rachetés par leurs coreligionnaires turcs.

A ce moment, au mois de mai, le roi Vladislav IV meurt, et un interrègne s’ensuit, qui, marqué par l’agitation politique, dure six mois. La flamme de la rébellion s’empare de l’ensemble de l’Ukraine, ainsi que de la Volhynie et de la Podolie. Des bandes de cosaques et de paysans russes conduits par les complices de Khmelnitzki, les sauvages Cosaques zaporogues, se dispersèrent dans toutes les directions et commencent à exterminer les Polonais et les Juifs. Pour citer un historien russe:

« Les tueries étaient accompagnées de tortures barbares; les victimes étaient écorchées vives, fendues, matraquées à mort, rôties sur des charbons ardents ou brûlées à l’eau bouillante. Même les bébés au sein n’étaient pas épargnés. La cruauté la plus terrible, cependant, se manifestait envers les Juifs. Ils étaient destinés à l’anéantissement complet, et la moindre pitié qu’on leur témoignait était considérée comme une trahison. Les rouleaux de la Loi étaient sortis des synagogues par les Cosaques, qui dansaient dessus en buvant de la vodka. Après quoi, on y couchait les Juifs et on les massacrait sans pitié. Des milliers d’enfants juifs furent jetés dans des puits, ou enterrés vivants. »

Les chroniqueurs juifs contemporains ajoutent que ces bêtes humaines s’abstenaient volontairement d’achever leurs victimes, afin de pouvoir les torturer plus longtemps. Ils leur coupaient les mains et les pieds, fendaient les enfants en morceaux, «comme des poissons» ou les rôtissaient au feu. Ils ouvraient les entrailles des femmes, y inséraient des chats vivants, puis recousaient les plaies. La bestialité effrénée des sauvages enivrés s’exprimait dans ces affreuses tortures, dont même les Tatars étaient incapables.

Particulièrement tragique est le sort des Juifs qui, dans l’espoir d’une plus grande sécurité, ont fui les villages et les villes vers les villes fortifiées. Ayant appris que plusieurs milliers de Juifs se sont réfugiés dans la ville de Niemirov en Podolie, Khmelnitzki y dépêche un détachement de Cosaques sous le commandement du zaporogue Gania. Ayant du mal à prendre d’assaut la ville, les Cosaques ont recours à une ruse. Le 20 du mois de Sivan (10 juin 1648), ils s’approchent de Niemirov, portant haut les bannières polonaises et demandant l’admission dans la ville. Les Juifs, trompés en croyant que c’est une armée polonaise venue à leur secours, ouvrent les portes. Les cosaques, unis aux habitants russes locaux, tombent sur les Juifs et les massacrent; les femmes et les filles sont violées. Le rabbin et Rosh-Yeshiva de Niemirov, Yekhiel Mikhael ben Eliezer, se cache dans le cimetière avec sa mère, espérant ainsi être au moins enterré après la mort. Là il est saisi par un des émeutiers, un cordonnier, qui commence à le matraquer. Sa mère âgée supplie le meurtrier de la tuer à la place de son fils, mais le cordonnier inhumain tue d’abord le rabbin, puis la vieille femme.

Les jeunes femmes juives sont fréquemment laissées en vie, les Cosaques et les paysans les obligent à se faire baptiser et les prennent pour femmes. Une belle jeune Juive kidnappée à cette fin par un cosaque réussit à le convaincre qu’elle est capable de jeter un sort aux balles. Elle lui demande de lui tirer dessus pour lui prouver que la balle glisserait sans lui causer de blessure. Le Cosaque décharge son fusil, et la jeune fille tombe mortellement blessée, mais heureuse de savoir qu’un sort pire lui est épargnée. Une autre fille juive, qu’un cosaque est sur le point d’épouser, se jette du haut d’un pont, tandis que le cortège de noces marche vers l’église. Au total, environ six mille Juifs périssent dans la ville de Niemirov.

Ceux qui échappent à la mort fuient vers la ville fortifiée podolienne de Tulchyn. Ici, se produit une tragédie encore plus terrible. Une grande horde de Cosaques et de paysans assiège la forteresse qui abrite plusieurs centaines de Polonais et quelque quinze cents Juifs. Les Polonais et les Juifs ont fait serment de ne pas se trahir et de défendre la ville jusqu’à leur dernier souffle. Les Juifs, stationnés sur les murs de la forteresse, tirent sur les assiégeants, les éloignant de la ville. Après un siège long et infructueux, les Cosaques conçoivent un plan perfide. Ils informent les Polonais de Tulchyn qu’ils visent uniquement les Juifs et que, dès que ceux-ci seront livrés entre leurs mains, ils laisseront les Polonais en paix. Les nobles polonais, dirigés par le comte Chetvertinski, oublient leur serment et décident de sacrifier leurs alliés juifs pour assurer leur propre sécurité. Quand les Juifs découvrent cette intention perfide, ils décident immédiatement de se débarrasser des Polonais, qu’ils surpassent en nombre. Mais le Rosh-Yeshiva de Tulchyn, Rabbi Aaron, les supplie de ne pas toucher aux nobles, au motif qu’une telle action pourrait attirer la haine de la population polonaise sur les Juifs dans tout l’Empire. «Périssons plutôt, s’écrie-t-il, comme nos frères de Niemirov, et ne mettons pas en danger la vie de nos frères dans tous les lieux de leur dispersion. Les Juifs cèdent. Ils remettent tous leurs biens à Chetvertinski, en lui demandant de les offrir aux cosaques comme rançon pour leurs vies.

Après être entrés dans la ville, les Cosaques prennent d’abord possession des biens des Juifs, puis les rassemblent dans un jardin où ils ont dressé une bannière et déclarent: «Que ceux qui acceptent le baptême se placent sous cette bannière, et nous allons épargner leurs vies.  » Les rabbins exhortent les gens à accepter le martyre pour la sauvegarde de leur religion et de leur peuple. Pas un seul juif ne veut devenir un traître, et quinze cents victimes sont assassinées de la façon la plus barbare. Les perfides Polonais n’échappent pas non plus à leur sort. Un autre détachement de cosaques, entré plus tard dans Tulchyn, tue tous les catholiques, et parmi eux le comte Chetvertinski. La trahison a vengé la trahison. (à suivre)

(Source: Simon Dubnow, Histoire des Juifs de Russie et de Pologne)