18 janvier 1689
Naissance au château de la Brède, près de Bordeaux, de Charles-Louis de Secondat de la Brède, dit Montesquieu, qui atteignit la célébrité avec ses « Lettres persanes » dans lesquelles il nous instruit – notamment – de ce qu’il faut penser des Juifs.
On peut reconnaître quel grand esprit était Montesquieu, au fait qu’il n’eut pas besoin de connaître de Juifs pour en disserter.
Car le royaume de France avait beau être le plus riche du monde, et les Juifs se trouver « partout où il y a de l’argent », Montesquieu n’avait guère eu l’occasion d’en rencontrer.
Des Juifs, en effet, la fille aînée de l’Eglise était débarrassée depuis le 17 septembre de l’an de grâce 1394, date de leur expulsion définitive par le roi Charles VI, dit « le Fol ».
Certes, elle en avait récupéré, par l’annexion des Trois-Évêchés de Metz, Toul et Verdun en Lorraine, puis de l’Alsace, provinces où les Juifs restèrent tolérés moyennant finances, mais à l’époque de la rédaction des Lettres, Montesquieu n’avait pas encore mis les pieds en dehors de sa Guyenne natale.
Et les Juifs portugais, dira-t-on? En 1721, c’était encore des Marranes et ils ne se livraient pas au commerce de l’argent. Les quelques dizaines de familles juives étaient installées aux environs de Bayonne et à Bordeaux. Leurs spécialités étaient la transformation des denrées agricoles coloniales qui arrivaient par ces deux ports, la fabrication du chocolat dont ils bénirent la France et la médecine.
La seule vérité étant celle que les gens sont prêts à entendre, Montesquieu n’eut donc pas besoin d’effectuer des recherches scientifiques pour conforter les préjugés de ses contemporains sur les Juifs, comme il en fait le portrait dans la soixantième de ses Lettres persanes.
« Usbek à Ibben, à Smyrne.
Tu me demandes s’il y a des Juifs en France ? Sache que, partout où il y a de l’argent, il y a des Juifs. Tu me demandes ce qu’ils y font ? Précisément ce qu’ils font en Perse : rien ne ressemble plus à un Juif d’Asie qu’un juif européen.
Ils font paraître chez les Chrétiens, comme parmi nous, une obstination invincible pour leur religion, qui va jusques à la folie.
La religion juive est un vieux tronc qui a produit deux branches qui ont couvert toute la terre : je veux dire le mahométisme et le christianisme ; ou plutôt c’est une mère qui a engendré deux filles qui l’ont accablée de mille plaies : car, en fait de religion, les plus proches sont les plus grandes ennemies. Mais, quelque mauvais traitements qu’elle en ait reçus, elle ne laisse pas de se glorifier de les avoir mises au monde ; elle se sert de l’une et de l’autre pour embrasser le monde entier, tandis que, d’un autre côté, sa vieillesse vénérable embrasse tous les temps.
Les Juifs se regardent donc comme la source de toute sainteté et l’origine de toute religion. Ils nous regardent, au contraire, comme des hérétiques qui ont changé la loi, ou plutôt, comme des Juifs rebelles.
Si le changement s’était fait insensiblement, ils croient qu’ils auraient été facilement séduits ; mais, comme il s’est fait tout à coup et d’une manière violente, comme ils peuvent marquer le jour et l’heure de l’une et de l’autre naissance, ils se scandalisent de trouver en nous des âges, et se tiennent fermes à une religion que le monde même n’a pas précédée.
Ils n’ont jamais eu dans l’Europe un calme pareil à celui dont ils jouissent. On commence à se défaire parmi les chrétiens de cet esprit d’intolérance qui les animait. On s’est mal trouvé, en Espagne, de les avoir chassés, et, en France, d’avoir fatigué des chrétiens dont la croyance différait un peu de celle du prince. On s’est aperçu que le zèle pour les progrès de la religion est différent de l’attachement qu’on doit avoir pour elle ; et que, pour l’aimer et l’observer, il n’est pas nécessaire de haïr et de persécuter ceux qui ne l’observent pas.
Il serait à souhaiter que nos musulmans pensassent aussi sensément sur cet article que les chrétiens ; que l’on pût, une bonne fois, faire la paix entre Hali et Abubeker et laisser à Dieu le soin de décider des mérites de ces saints prophètes. Je voudrais qu’on les honorât par des actes de vénération et de respect, et non pas par de vaines préférences ; et qu’on cherchât à mériter leur faveur, quelque place que Dieu leur ait marquée, soit à sa droite, ou bien sous le marchepied de son trône.
De Paris, le 18 de la lune de Saphar 1714. »
