Ephéméride | Art Spiegelman [15 Février]

15 février 1948

Naissance à Stockholm de Art Spiegelman. Avec « MAUS », seule bande dessinée à avoir obtenue le Prix Pulitzer, il a fait entrer la bande dessinée dans une ère nouvelle.

Arthur Spiegelman naît en 1948 en Suède alors que ses parents juifs polonais, rescapés de la Seconde Guerre mondiale, tentent de rejoindre les États-Unis. La famille arrive dans ce pays en 1951. Après avoir déménagé en 1957 à New York, à Rego Park, le jeune Arthur Spiegelman
commence à dessiner ses premiers comics à l’âge de douze ans, au début des années soixante.

C’est en 1965 qu’il débute professionnellement dans le dessin, « et l’année suivante il devient concepteur graphique pour la marque Topps » – pour laquelle il illustre des cartes à jouer ou encore des paquets de chewing-gum – activité qu’il n’abandonnera qu’en 1988.

En 1968, suite à un séjour en hôpital psychiatrique – dû à la consommation de drogues – et au suicide de sa mère, il met fin à ses études artistiques qu’il suit alors à San Francisco.

En 1971, il s’y installe, et commence à produire des histoires introspectives qui paraissent dans la presse alternative du début des années 197023, pour ensuite éditer lui-même plusieurs revues au sein du mouvement underground débutant. Il enseigne également à l’Académie of Art de San Francisco avant de retourner vivre à New York en 1975.

En 1977 paraît Breakdowns : From Maus to Now, un ouvrage qui réunit ses principales histoires parues dans les presses alternatives, notamment la première version de Maus – livre qui lui a valu une reconnaissance internationale – en trois planches.

Passionné par tout ce qui concerne les arts graphiques, il fonde en 1980 avec son épouse Françoise Mouly, d’origine française, une publication luxueuse, RAW, où il s’efforce de réunir les dessinateurs de l’avant-garde américaine et européenne, magazine qui sortira jusqu’en 1991.
De 1979 à 1987, il enseigne également l’histoire de la bande dessinée américaine à la New York’s School of Visual Arts.

En 1986, le premier tome de MAUS, pré-publié en feuilleton dans sa revue RAW, paraît en format livre chez Panthéon, et le tome deux suit en 1991. Immédiatement salués par la critique, ces deux volumes seront récompensés par un prix Pulitzer spécial en 1992.
Ce succès inattendu lui rend difficile la création d’autres œuvres et de 1991 jusqu’en 2003, Art Spiegelman est surtout l’un des dessinateurs vedettes du magazine The New Yorker, dont Françoise Mouly, son épouse, devient directrice artistique en 1993.

Dans les années 2000, il s’intéresse également à la
littérature jeunesse, à la bande dessinée jeunesse et coédite des livres et des recueils avec des illustrateurs jeunesse et auteurs de bandes dessinées.

Ce n’est qu’après les attentats du 11 septembre 2001 – sa femme et lui étaient sur place dans les rues alentours – qu’il sent réellement le besoin de refaire de la bande dessinée.

En 2004 paraît In the Shadow of No Towers, publié à
compte d’auteur aux États-Unis et chez Casterman en France sous le titre de À l’ombre des tours mortes.
Cet album, en une dizaine de planches, revient sur les attentats et leurs conséquences pour l’artiste. Bons baisers de New York. Couvertures et Dessins pour le Magazine Américain le Plus Distingué par le Plus Dérangeant des Artistes Américains (2003), MetaMaus : A Look Inside a Moderne Classic, Maus (2011) et Co-Mix, A Retrospective of Comics, Graphics, and Scraps /
Une rétrospective de bandes dessinées, graphisme et débris divers (2012) sont des ouvrages revenant respectivement sur sa carrière d’illustrateur de couverture au New Yorker, sur son œuvre MAUS et enfin, sur l’ensemble de sa carrière.

Dans sa recension parue dans le New-York Times, lors de la sortie du premier volume de MAUS en 1986, Christopher Lehman-Haupt écrivait:

MAUS est une histoire sur la Shoah avec une différence remarquable. Il est vrai que l’un de ses fils conducteurs récapitule l’histoire trop familière de la famille Spiegelman en Pologne de 1935 à 1944, luttant pour échapper au destin inévitable d’Auschwitz. Il y a la perte des biens, le sentiment croissant du péril, les marchés noirs, les « sélections », les cachettes dans les caves, les pots-de-vin, les trahisons et enfin le camion qui conduit au portail avec l’inscription au-dessus dessus « Arbeit macht frei. »

Mais il y a quatre innovations surprenantes dans la façon dont Spiegelman raconte son histoire.

D’abord, il explore les relations entre la génération des survivants et celle de leurs enfants, en particulier la culpabilité que les premiers ont ressentis vis-à-vis de ces derniers. Les aventures des Spiegelmans en Pologne sont racontées par Vladek, le membre de la famille qui a survécu, à son fils adulte, Artie, qui commence son récit: « Je suis allé voir mon père à Rego Park. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps – nous n’étions pas si proches. Il avait beaucoup vieilli depuis que je l’avait vu en dernier. Le suicide de ma mère et ses deux crises cardiaques avaient fait des ravages. »

Deuxièmement, Spiegelman introduit beaucoup d’humour dans son récit. A peine Artie a-t-il enlevé son manteau et l’a-t-il remis à Mala, la femme actuelle de son père, que Vladek commence à la réprimander:  »Acch, Mala! Un cintre en fil de fer, tu lui donne! Je n’ai pas vu Artie depuis presque deux ans. Nous avons beaucoup de cintres en bois. »
Vladek raconte une grande partie de ses souvenirs de la Shoah en pédalant sur un vélo d’appartement ou en calculant sa ration quotidienne de pilules. Le comportement de Vladek est si sordide et irrationnel que quand Artie se demande si c’est « la guerre qui l’a rendu comme ça », Mala répond: « FEH! J’ai vécu les camps. . . Tous nos amis ont vécu les camps. Personne n’est comme lui! »

Troisièmement,  » Maus  » est une bande dessinée! Oui, une bande dessinée au sens plein, avec des bulles, des lignes de vitesse, des exclamations telles que « sob », « wah », « whew » et « ?! », et des dizaines de techniques pour lesquelles il me manque simplement la terminologie.
Les images font, en moyenne 5 à 8 centimètres de côté et sont surchargées, broussailleuses même (sauf pour une section plus forte, appelée « Prisonnier sur la planète de l’enfer: Une histoire de cas », évoquant le suicide de la mère de l’auteur) d’une élégance subtile et expressive, si l’on prête attention aux détails.
Le style est éclectique. Naturellement, le fait de traiter un tel sujet de cette façon choque au début. Mais à une vitesse presque gênante à avouer, l’auteur de ces lignes a été ramené à ses sensations éprouvées à la lecture de bandes dessinées de la Seconde Guerre mondiale comme  »Blackhawk » ou  »Captain Marvel ».

Enfin, et peut-être le plus surprenant de tout, les personnages juifs dans le livre sont tous représentés comme des souris (« Maus » est, bien sûr, l’allemand pour « souris »), tandis que les nazis sont des chats, les Polonais sont des cochons et les quelques Américains non juifs qui apparaissent sont des chiens. Représenter un jeu de chat et de souris est un des objectifs évidents de la tactique provocatrice de Spiegelman, de même que faire ironiquement écho à l’épigraphe du livre, une citation de Hitler: « Les Juifs sont sans aucun doute une race, mais ils ne sont pas humains. »

(…)

En affirmant que la Shoah est un sujet qui peut être traité par la bande dessinée, Spiegelman dit que les enfants des survivants ont aussi un droit sur le sujet et ont aussi leurs propres problèmes, tant comiques que tragiques. Même le contenu narratif reflète ce point. En faisant raconter par Vladek les éléments burlesques de sa cour d’avant-guerre à la mère de l’auteur, Spiegelman dit que la vie continuait avant que la catastrophe ne frappe. Et en montrant la comédie douce-amère de la vie à Rego Park avec Vladek, il dit que la vie continue.

L’ultime ironie réside dans l’anecdote finale de  »Maus ». Artie presse son père de lui montrer le journal de sa mère, afin qu’il puisse retracer son vécu après la séparation des parents à leur arrivée à Auschwitz. Vladek finit par admettre:  »Après la mort d’Anja, j’ai dû mettre de l’ordre dans tout ça. . . Il y avait trop de souvenirs dans ces papiers. Alors je les ai brûlés. »
Artie est fou de rage. Après avoir promis à son père qu’il viendrait le voir plus souvent, il rentre chez lui en marmonant: « Assassin ».

L’ironie de cette déclaration – à la lumière des six millions – ne diminue pas l’énormité de la Shoah. Pourtant, par son lart, Spiegelman affirme le droit des générations futures à traiter l’expérience de leurs ancêtres avec moins de révérence. Pour ceux qui ont survécu, la vie continue. Et pour leurs enfants, la vie, malgré toutes ses complications inhabituelles, peut avoir ses moments d’humour.

(Sources: Diplôme de mastère « Culture de l’écrit et de l’image, « Art Spiegelman, histoire et bande
dessinée américaine » de Moran Guehenneux; New-York Times, 10 novembre 1986)