Ephéméride |Heinrich Heine [17 Février]

17 février 1856

Au 3, avenue Matignon à Paris, Heinrich Heine s’éteint à 59 ans.

« Ich lebe un bin noch stärker
Als alle Toten sind! »
je vis encore
et je suis plus fort que tous les morts !

Souvent, des amis ont témoigné ici du tabou familial mis sur la langue allemande. On comprend pourquoi. La douleur rend aveugle et de quel droit contester la douleur?
Mais ces poètes et écrivains, luminaires de la langue et de la culture allemandes, que les Nazis jetaient dans leurs brasiers, ne sont-ils pas des nôtres?
Heine, bien que baptisé, arrivait en tête de liste des écrivains voués au bûcher et s’il avait vécu, nul doute qu’il aurait fini à Auschwitz.

Mais pour parler de lui, je laisse encore une fois la parole au merveilleux Gil Pressnitzer.

« Avec moi se referme la vieille école du lyrisme allemand, et en même temps s’ouvrent les voies de la modernité du nouveau lyrisme allemand. » Heine.

Heine n’a pour véritable égal et contemporain que Baudelaire. Tous deux sont des chantres de la modernité poétique. Tous deux admiraient et écrivaient sur les peintres de leur temps surtout Delacroix. Chacun d’eux était plongé dans l’amertume et le besoin, et haïssaient pareillement les bourgeois. Chacun d’eux ne se faisait guère d’illusion sur l’amour. Chacun d’eux maudissait les hommes et aimait avec passion l’humanité.

Chacun est mort en exil. Heine sera interdit en Allemagne, Baudelaire s’enfuira en Belgique. Leurs poèmes ne seront véritablement compris que bien après, et par eux deux le scandale est arrivé au milieu des panses bourgeoises et nationalistes. La beauté vénéneuse de leur poésie n’en finit pas de nous hanter.

Heine est un écrivain politique qui croira au bonheur de la révolution. Il est aussi l’enfant de la société industrielle naissante. Comme Baudelaire à partir de la médiocrité du présent, il transfigure la poésie. Il fait rendre gorge à la banalité du quotidien. Il est, dans la même source, baigné d’amertume, d’ironie, de joie parfois et aussi de pathos. L’art de Heine est là dans son extrême simplicité des mots, par ses résonances et ses rimes. Heine est déjà totalement chant dans ses poèmes. Dès les premiers poèmes, écrits alors qu’il avait 16 ans, l’écriture de Heine est portée par les ailes du chant.

Et c’est en 1821 qu’il marque d’une pierre blanche l’histoire de la poésie occidentale.

Heine est plus connu comme l’ange noir inspirant les musiciens romantiques allemands que par ses propres œuvres. Il aura été, et de loin, le poète allemand le plus mis en musique, bien avant Goethe. Car son chant est le Chant.

Schubert, – le Chant du cygn-, Schumann, -les Amours du poète et divers lieder-, Brahms, (dans la mort est la fraîche nuit), et tant d’autres ont suivi la musique chantante des poèmes de Heine. Mendelssohn, Grieg, Reger, Richard Strauss, Liszt, Cornélius,… Peu, très peu, et surtout pas Schumann peu enclin à l’ironie vénéneuse du poète, ont compris que derrière le lyrisme fluide de Heine se lovait une amertume absolue, un mal d’être de l’exilé. Sa Lorelei a des larmes amères et elle engloutit le corps de cette Allemagne qui voulait flotter dans l’inconscience. Heine, en faisant semblant de reprendre des formes poétiques populaires, dynamite en fait de l’intérieur l’imaginaire allemand : « Avec moi se referme la vieille école du lyrisme allemand, et en même temps s’ouvre les voies de la modernité du nouveau lyrisme allemand ». Là où l’on se réjouissait d’entendre les beaux chants d’un nouveau rossignol de la langue allemande se dissimulait un merle persifleur.

Sous le miel le fiel sourdait.

Ainsi:

« -Wenn ich in deine Augen seh’,
So schwindet all’ mein Leid und Weh ;
Doch wenn ich küße deinen Mund,
So werd’ ich ganz und gar gesund.

Wenn ich mich lehn’ an deine Brust,
Kommt’s über mich wie Himmelslust ;
Doch wenn du sprichst : ich liebe dich!
So muß ich weinen bitterlich.

« Quand je regarde au fond de tes yeux
toutes mes peines et mes douleurs s’évanouissent
Mais quand j’embrasse ta bouche
Là je deviens tout à fait guéri

Quand je me repose contre ta poitrine
il vient sur moi comme la joie céleste
mais quand tu dis : je t’aime
alors je dois pleurer amèrement. »

On peut croire à première lecture qu’il s’agit d’un poème d’amour heureux, mais le sens profond qui est l’éternel mensonge en amour apparaît et les larmes viennent de ces mots « je t’aime » qui sonneront faux jusqu’à la fin du monde.

« J’aime la mer comme une maîtresse, et j’ai chanté sa beauté et ses caprices. » et Heine qui souvent passe ses automnes près de la Mer du Nord a fait de sa poésie une marée d’images. Le flux et le reflux des eaux des origines. Ses amours malheureuses avec ses cousines Amélie puis Thérèse lui apprendront que l’amour cachait la mort et le mensonge (Buch des Lieder, 1827- Livre des chants)

Il reste le mouton noir de la germanitude, l’inclassable, le trop doué pour la musique absolue des mots, en fin l’être double : juif et converti, allemand et parisien, saint-simonien et bonapartiste, poète et journaliste. Il ; est aussi le poète dans une société mercantile, le pauvre au milieu d’une famille riche, vivant de l’aumône d’un parent, aristocrate par goût et démocrate par principe. « Allemand de naissance et Français d’éducation, rêveur et sceptique, amoureux et libertin ». Il ne sera que contrastes et il savait tout cela. Sa lucidité est bien « la blessure la plus rapprochée du soleil » dont parlait René Char.

Il doit assumer ses élans de révolutionnaire, sa condition de converti, lui le juif qui de Harry deviendra Heinrich.

Il était né à Düsseldorf le 13 décembre 1797, ville presque française à l’époque car occupée depuis 1806 jusqu’en 1814 par les Français, mais sa ville véritablement natale sera Hambourg où il vécut malheureux de 1816 à 1819, puis de 1825 à 1827. Délaissant son diplôme de docteur en droit, alors qu’il voulait exercer à Hambourg comme avocat, il préférera devenir européen allant dans diverses régions d’Allemagne, en Angleterre, en Italie, en France, en Pologne. Haï parce que juif, détesté parce que porteur des idées nouvelles, parce qu’internationaliste et progressiste, il sera l’homme à abattre des nationalistes allemands. Et il deviendra le poète le plus détesté de l’Allemagne surtout dans les années 1930 : le  » « cochon de Montmartre », est l’artisan de la « désagrégation de l’art allemand », « il a déversé des baquets de purin nauséabond sur le christianisme. » et « trahi et outragé l’Allemagne de la façon la plus ignoble ».

Que Dieu me le pardonne ! Depuis douze ans, je suis discuté en Allemagne ; on me loue et on me blâme, mais toujours avec passion et sans cesse. Là, on m’aime, on me déteste, on m’apothéose, on m’injurie. Depuis presque quatre ans, je n’ai pas entendu un rossignol allemand.

Hitler lui-même interdira personnellement son œuvre et tous les livres de Heine furent jetés dans les brasiers allumés le 10 mai 1933. Près de quatre-vingts ans après sa mort. Mais même maintenant son œuvre suscite bien des réticences en Allemagne, sauf les poèmes ânonnés dans les écoles (Lorelei,…) et les cycles de lieder.

Il faudra attendre 1988 pour que l’université de Düsseldorf porte le nom du fils le plus célèbre de la ville. Mahler a connu un sort analogue avec Vienne. Dès son époque Heine fut vomi, ainsi par son contemporain Grabbe : « Heine est un petit juif maigre et laid, qui n’a jamais connu de femme, et compense tout cela par son imagination. Sa souffrance, aussi peu naturelle puisse-t-elle sembler, est peut-être réelle. Mais ses vers ne sont pas des poésies. De la masturbation ». Un juif ne pouvait pas faire de la beauté.

Cette haine pathologique du juif et du lyrisme sera le terreau du nazisme, le basculement du romantisme vers l’obscur précipitera la chute de l’Allemagne dans la barbarie qui était sous-jacente. Il prédit le noir à venir, la réalité de ce qu’il appelle « la misère de l’Allemagne », et donc la chute dans les forces obscures.

Curieusement l’état d’Israël ne le célébrera que récemment (2002), ne lui pardonnant pas sa conversion, lui le fils d’un juif orthodoxe et d’une mère issue d’une longue filiation de juifs érudits et libéraux. Le nationaliste et l’intégrisme n’ont pas de frontières, et les lumières disparaissent dans la fumée de l’intolérance. Pourtant Heine est l’un des grands poètes juifs avec Celan, Brodsky, Sachs,…

Sa conversion obligatoire le 28 juin 1825 au protestantisme, afin d’accéder à une fonction publique, sera une épreuve pour lui qui ne croyait qu’en l’avenir radieux de l’homme par les idées. Il devait échapper au ghetto du pays- Des villes comme Frankfort avaient bel et bien des ghettos en 1820. Le 18 août 1822, le roi de Prusse interdit toute présence de juifs dans l’enseignement et les sciences. Comme le dit Heine « leur patrie d’adoption allemande ne veut même pas autoriser les juifs à devenir fonctionnaires du roi de Prusse ou avocats, pour les changer du commerce de vieux pantalons ! »

Mais l’ironie ne sauve pas de la bêtise et Heine doit ruser. Il se convertit au baptême chrétien (allemand luthérien), mais cela ne servira à rien car il restera « le juif » aux yeux des autres. Et rejeté par sa communauté comme traître. Il finit par se haïr d’être juif, et aussi d’être allemand. « Tout ce qui est allemand me répugne […] agit sur moi comme un vomitif. La langue allemande me déchire les oreilles. Parfois mes propres poèmes me dégoûtent quand je prends conscience qu’ils sont écrits en allemand. »

« Pour les teutomanes, ces vieilles Allemagnes, dont le patriotisme ne consistait que dans une haine aveugle contre la France, je les ai poursuivis avec acharnement dans tous mes livres ».

Voyageur il fut, attentif aux craquements des absolutismes, lui l’admirateur effréné de la révolution française. De cette révolution il ne voyait que les drapeaux et les tambours, pas la guillotine. Napoléon était la liberté incarnée, et de fait l’Allemagne en sera bousculée. Installé en France, car banni d’Allemagne dès 1831, il écrivit pour plusieurs journaux allemands. Il était devant cette marmite qu’était la monarchie de Juillet, et qu’il croyait être un laboratoire des idées à venir, une préfiguration de la modernité, dont il rêvait lui l’enfant des Lumières.

Il se disait le fils et l’amant de la Révolution Française sous laquelle il aurait été certainement guillotiné, lui l’oiseau libre et impertinent. Comme un papillon épris de liberté il venait se poser sur Paris où semblait se redéfinir la politique et le social du monde à venir, loin de ces Teutons pris dans leur haine baveuse issue du nationalisme.

Ses rares amis furent George Sand, Balzac, Musset. Il va épouser en 1843 après sept ans de liaison « une servante au grand cœur », petite vendeuse de son état, la très bigote catholique et très illettrée Eugénie Crescence Mirat, qu’il rebaptisa  » « Mathilde ».

Je ne sais si elle a été vertueuse, mais elle a toujours été laide, et, en fait de vertu, la laideur, c’est la moitié du chemin.

Frappé de paralysie (une douloureuse sclérose latérale myatropique), dès 1848, il se traînera miséreux, presque aveugle, sans jamais avoir revu l’Allemagne sauf pour deux brefs séjours en 1843 et 1844. Prisonnier de son « lit tombeau », de son sarcophage il était figé dans la douleur. Mais cloué au lit, il écrivait surtout de la prose lucide et profonde, puis son ultime recueil Romancero (1851), qui semblait montrer un retour au Heine des années lyriques de 1822. Le corps était mort, mais son esprit scintillait encore. Le 17 février 1856 il mourut.

Il est enterré au cimetière Montmartre. Amer, en colère contre les hommes :

« Le monde compte plus d’imbéciles que d’habitants. »

Il a vu venir la plongée dans l’obscur de l’Allemagne et aussi de l’Europe.
Nous ne comprenons guère les ruines que le jour où nous-mêmes le sommes devenus.

Sans arrêt dans ses écrits reviennent par auto-citations, par thèmes récurrents, les fondements de son idée fixe : l’Allemagne est sur la voie de la régression, la France sur la voie de l’émancipation. Dans Germania, conte d’hiver, Lettres de Helgoland et Louis Börne, il condense ses idées et ses rancœurs. Une véritable obsession du sang et de la guillotine parcourt son œuvre. Sang non pas des victimes, dont il aurait fait partie, mais sang libérateur, émancipateur. La couleur du sang chez Heine a les couleurs d’un drapeau tricolore.

Son premier amour, Josepha était la rousse, très rousse, fille du bourreau de Düsseldorf !

Ces têtes coupées semblaient être le sacrifice nécessaire à la mort historique d’un monde pourri. Le tambour Legrand reprend cette imagerie d’Epinal de la révolution française et napoléonienne, comme le ferait un film de propagande des premières années soviétiques. Élève de Hegel il croyait que l’histoire a un sens. Mais il avait compris qu’une révolution ne ferait pas la révolution politique et sociale qu’il appelait de toutes ses forces. Les écrits du jeune Marx sont contemporains (1848) et moins pénétrants. Heine le lisait depuis 1843, il était son ami.

Friedrich Engels traduira ses poèmes en anglais.

Violemment anti-nationaliste allemand dans ses paroles et ses écrits, Heine a un rapport déchiré et déchirant avec son pays natal. Il aurait tant voulu être le médiateur entre les deux peuples allemand et français.

Profondément en lui, comme d’autres ont mal à l’âme, lui avait mal à l’Allemagne.

« O Allemagne, mon lointain amour,
Quand je pense à toi, les larmes me viennent aux yeux.
La gaie France me paraît morose,
Et son peuple léger me pèse.
Seul le bon sens froid et sec
Règne dans le spirituel Paris.
O clochettes de la folie, cloches de la foi,
Comme vous tintez doucement dans mon pays !
Il me semble que j’entends résonner de loin
La trompe du veilleur de nuit, son familier et doux.
Le chant du veilleur vient jusqu’à moi,
Traversé par les accords du rossignol. »

Il sera donc le poète de l’écartèlement, celui qui voit le mensonge et la trahison même dans les yeux embués de l’amour. Il est aussi la fermeture du monde romantique face à un pays en route vers son industrialisation et qui n’a pas de penchant pour les fées, plutôt pour le charbon. Heine assiste à la fin d’un monde, à la crispation des consciences, à la montée des fanatismes. Son lyrisme cristallin ne pouvait qu’être compris de travers, surtout que dans un deuxième sens toujours présent, Heine exprime son désespoir devant la comédie des apparences que sont les sentiments humains.

Ne croyez pas que la lecture de Heine soit facile. Ses poèmes semblent se présenter comme des chants populaires, les enfants s’en emparent. Mais cela n’est pas lisse, derrière le cristal et les mots qui sonnent l’un contre l’autre se trouvent des fontaines bien étranges. Pour saisir sa magie ondoyante seule la lecture en allemand permet d’entendre sonner sa langue que le français alourdit.

Certes certains de ses poèmes semblent de nouvelles chansons populaires gorgées de lyrisme. Mais la plupart sont tissés d’allusions historiques, de légendes à connaître, de sous-entendus, et de doubles sens amers. C’est pourquoi Heine est délaissé, car sa lecture exige beaucoup de son lecteur. Et les nuages noirs des préjugés accumulés sur sa pauvre tête le rendent encore plus difficile à fréquenter. En plus il écrit dans des formes comme lui inclassables. Reisebilder- images de voyages – en est un exemple parfait, mélangeant la confession intime, le roman d’apprentissage, les haines et les amours dévoilés, la satire corrosive. Il faut bien connaître les recueils de chansons populaires allemandes comme le « Knabenwunderhorn » (le cor merveilleux de l’enfant), qui influença tant Mahler, dont Heine est si proche.

Cortège funèbre où l’on voit soi-même ou l’aimée, chasseurs, oiseaux qui vous comprennent, fleurs qui parlent.

Si l’on n’a pas en soi cette naïveté première Heine vous sera à tout jamais fermé.
Il est dans le romantisme finissant mais son rire amer retentit souvent au milieu des effusions lyriques.

Il dynamite en fait le romantisme littéraire, autant que le classicisme. Ses rapports plus qu’ambigus avec Goethe montrent son isolement et son originalité. Il reprochait aux romantiques l’impuissance de la forme, et la perpétuelle indétermination de leurs pensées. Les formes structurées, canonisées, du chant populaire, des légendes d’antan, mettaient ses mots en flots cohérents.

Il tord le cou au vaporeux romantisme en lui faisant prendre les droits chemins des vieux chemins oubliés. Il le ramène vers la lumière du classique. « Vous y verrez quels sons nouveaux je fais entendre et quelles nouvelles cordes je fais vibrer. J’ai subi de très bonne heure l’influence du chant populaire allemand et les mystères de la métrique ». Heine va ressourcer, rafraîchir la poésie allemande en la trempant dans la rivière fraîche de la simplicité, de la simple musique des mots. Il voulait être pur et clair, cristallin et enfantin. Il avait sous estimé son amertume profonde qui va colorer ce bleu du ciel avec les zébrures de l’ironie. Il n’avait pas sous estimé sa passion profonde qui font retentir vrais ses poèmes.

Il préférera les formes brèves, les rimes qui sont bruit doux, les visions qui sont magies. Bien sûr il n’évite pas le lourd héritage du romantisme et il sombre parfois dans la mièvrerie. Mais il a des ailes et il s’envole toujours.

Heine réintroduit le paganisme et le Jadis dans le consensus chrétien de la culture occidentale. Ses poèmes seront sources d’influence pour le jeune Rilke. L’intrusion des bruits du monde réel dans la poésie, sa lutte pour la démocratie, en font un homme de la modernité, un frère cadet de tous les hommes.

Heine avait une philosophie de l’histoire, des pensées précises sur le monde à venir, l’amour du progrès et les nécessités presque messianiques des douleurs de l’enfantement de la modernité. Il savait aussi la faiblesse des hommes :
Je suis fermement persuadé que les ânes, quand ils s’insultent entre eux, n’ont pas de plus sanglante injure que de s’appeler hommes.

Heine représente l’honneur du poète et de l’intellectuel moderne.

Fils des lumières il les a fait monter parmi les autres :

« Mais quelle est la grande tâche de notre temps ? C’est l’émancipation, non pas seulement celle des Irlandais, des Grecs, des juifs de Frankfort, des noirs d’Amérique et autres populations également opprimées, mais celle du monde entier, et spécialement de l’Europe, qui est devenue majeure, et qui rejette aujourd’hui les lisières de fer des privilégiés, de l’aristocratie. Quelques renégats philosophiques de la liberté ont beau forger les chaînes des syllogismes les plus subtils, pour nous démontrer que des millions d’hommes sont créés pour être les bêtes de somme de quelques mille chevaliers privilégiés ; ils ne pourront nous convaincre, tant qu’ils ne prouveront pas, comme dit Voltaire, que ceux-là sont nés avec des selles sur le dos et ceux-ci avec des éperons aux pieds ».

Ce texte est de 1830 !

Émancipé il sera émancipateur. Il aurait pu rester un grand poète romantique, il sera un écrivain visionnaire :

« Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes. » Heinrich Heine

Tout l’oeuvre de Heine a été traduit en yiddish et publié à New-York en 1918, avec la collaboration des meilleurs auteurs yiddish.

Voici la traduction (translittérée) de la Lorelei, donnée par Avrom Reyzen:

Ikh veys nit, vos ken es bataytn,
Vos iz azoy trib mayn gemit;
A mayse fun uralte tsaytn
Fargesn ken ikh nor nit.

Farnakht, a vintele shpilt zikh
Un ruik murmelt der Reyn;
Der shpits fun barg farhilt zikh
Fun abend-zunensheyn.

Di shenste yungfroy tut zitsn
Dort oybn — vunderlekh gor;
Di goldene tsirungen blitsn —
Zi kemt ir goldene hor.

Zi kemt zey mit gildene kamen
Un zingt derbay a lid;
Dos lid un der nigun tsuzamen
Es ruft azoy un tsit.

Der fisher in shifl in kleynem
Nemt on a ve im un drikt;
Er zet nit felzn, di shteyner —
Aroyf in der hoykh — er blikt.

Ikh gloyb, di khvalies farshlingen
Der fisher un shifl bay nakht
Un dos hot nor mit ir zingen
Di Lorelay gemakht. —