Ephéméride | Martin Luther [18 Février]

18 février 1546

Décès à Eisleben en Thuringe de Martin Luther, le fondateur du protestantisme. D’abord animé par des intentions favorables aux Juifs, il produira, dans la dernière partie de sa vie, des textes qui seront glorifiés par les ultra-nazis.

La première période

C’est dans son Cours sur l’épître aux Romains de 1515/ 1516 que l’attention de Luther se porte particulièrement sur les Juifs. La critique qu’il leur adresse, et qui sera constante tout au long de sa vie, n’a rien d’original. Il leur reproche de mettre leur confiance dans l’appartenance au peuple élu et dans l’observation de la loi, au lieu de croire en l’Évangile qui annonce le salut pour tous par la foi seule, et met donc tous les hommes sur le même plan.

Ce qui est plus original, c’est que, aux yeux de Luther, la présomption ou l’autosatisfaction qu’on reproche aux Juifs se trouve aussi chez bien des chrétiens, en particulier chez les hérétiques ou chez certains membres du clergé. Et Luther vilipende « la folie d’appeler les Juifs tantôt des chiens tantôt des maudits ». Il faut plutôt supporter les faiblesses des Juifs et tolérer leurs cérémonies. Les uns et les autres, nous vivons de la grâce. C’est pourquoi « Juifs et chrétiens ont des raisons pour louer Dieu, et non pour se disputer ».

Dans le second Cours sur les psaumes (1518-1521), un Sermon sur la passion du Christ de 1518 et le Commentaire sur le Magnificat de 1521, Luther exhorte les chrétiens à ne pas persécuter les Juifs, mais à prier pour eux et à les aborder avec bonté. Au lieu de s’en prendre aux juifs pendant le Carême, ils devraient plutôt pleurer sur eux-mêmes et faire pénitence.

L’écrit publié en 1523 « Que Jésus Christ est né juif », qui connaît neuf éditions en un an, a trouvé une résonance beaucoup plus grande. Luther y explique l’attitude adoptée jusque-là par les chrétiens à l’égard des Juifs, en particulier par « nos bouffons, les papes, évêques, sophistes et moines, des ânes bâtés ». « Ils ont traité les Juifs comme s’ils étaient des chiens et non des hommes, ils n’ont rien su faire d’autre que de les invectiver et prendre leurs biens quand on les a baptisés ».

De son côté, Luther a « bon espoir, quand on traitera les Juifs amicalement et qu’on les instruira convenablement par la sainte Écriture, que beaucoup d’entre eux deviendront de vrais chrétiens et retourneront à la foi de leurs pères, les prophètes et les patriarches ».
Il faut leur faire admettre que les prophéties messianiques de l’Ancien Testament ont été réalisées en Jésus Christ. Celui-ci devait être présenté à la fois comme vrai homme, juif né de la semence d’Abraham, et comme Dieu, manifesté comme tel par sa naissance de la Vierge Marie. Pour commencer, il faut que les Juifs reconnaissent l’homme Jésus comme un membre de leur peuple. Le reconnaître comme Dieu est « trop dur pour eux au début ».

Il ne faut pas seulement instruire les Juifs, mais les traiter comme des hommes et non comme des chiens, supprimer les interdictions relatives au travail et à l’usure ainsi que leur résidence dans des ghettos. On observera que Luther, à la différence des humanistes, ne s’intéresse guère ici à la littérature juive postbiblique, il ne montre aucun intérêt pour le Talmud, qu’il rangera dans son Commentaire sur les petits prophètes, de 1524-1526, dans la même catégorie que les Décrétales papistes et le Coran.
Ce même Commentaire contient des critiques souvent véhémentes contre « les fables, les rêveries, les absurdités » des exégètes juifs.
Luther ne veut pas dialoguer avec les Juifs sur leur religion ou sur leurs traditions, il veut les convertir. Mais c’est par la parole et non par la contrainte qu’il pense y parvenir, du moins auprès de quelques-uns. Pour cela, il faut les traiter comme des frères, avec lesquels les chrétiens sont « en route et pas encore parvenus au but ».

La seconde phase : le durcissement

Vers 1530, Luther perçoit chez certains de ses contemporains une valorisation qu’il juge indue du peuple juif et de l’autorité de l’Ancien Testament. L’accointance avec les Juifs et leurs conceptions ne se manifeste pas seulement au plan théologique, mais aussi au plan des pratiques. Comme la grande majorité de ses contemporains, Luther est horrifié quand il apprend ce qui se passe à Munster en Westphalie, où, en 1534, des illuministes érigent une théocratie et introduisent la polygamie. En Silésie, un groupe d’anabaptistes avait évolué en 1528 déjà vers l’observation du sabbat à la place du dimanche.

La détestation des juifs va se fonder aussi sur l’ouvrage de Margaritha, un Juif converti au christianisme, « Toute la foi juive » (1530), qui soulignait l’hostilité des Juifs à l’égard des chrétiens. Pour Luther, les Juifs, au lieu de se convertir, deviennent une menace pour la société chrétienne et il se sent appelé à la défendre. Quand Josel de Rosheim, le représentant le plus connu et respecté des juifs, demande à Luther d’intercéder auprès du prince-électeur de Saxe pour obtenir un droit de passage à travers la Saxe électorale, Luther refuse d’intervenir, estimant que son écrit de 1523 « avait donné lieu à trop d’abus » et craignant que sa bienveillance envers les juifs serve « à leur endurcissement ».
Dans un Propos de table de 1537, il pense que le fait de tolérer les pratiques « idolâtres » des Juifs pouvait détourner les chrétiens de leur foi. Luther va plutôt privilégier une démarche défensive en faveur de la chrétienté, et agressive envers les Juifs perçus comme une menace. Mais il semble encore admettre la possibilité de la conversion des Juifs sans contrainte, sous l’effet de la seule parole évangélique.

Les derniers écrits

En 1543, Luther publie trois traités à l’encontre des juifs qui, dès leur parution, frappèrent les esprits : « Des Juifs et de leurs mensonges », « Du nom Hamphoras et de la lignée du Christ », « Des dernières paroles de David ».
La résurgence d’un anti-judaïsme primaire, héritage de bien des attitudes et conceptions du Moyen Âge, est patente. Luther évoque par exemple les pratiques de sorcellerie auxquelles se livreraient les Juifs.
Par une polémique extrême et souvent grossière, il veut démasquer leur caractère dangereux et démoniaque. Il regrette la tolérance dont il avait fait preuve antérieurement à leur encontre, même s’il leur avait toujours résisté. Maintenant il les rejette violemment. « À part le diable, un chrétien n’a pas d’ennemi plus venimeux et plus cruel qu’un Juif ».
Luther ne stigmatise pas seulement les croyances populaires des Juifs, il critique aussi vivement le regard qu’ils portent sur Jésus, leur négation de la Trinité et leur interprétation des passages de l’Ancien Testament dans lesquels les chrétiens voyaient des prophètes annonçant Jésus Christ et son œuvre. Il défend la personne de Jésus face à certaines traditions.

Les mesures proposées par Luther.

Au-delà de cette démarche herméneutique et apologétique, obsédé par le caractère supposé dangereux des juifs, Luther prône un certain nombre de mesures que les autorités doivent prendre contre eux, et qui d’ailleurs avaient déjà été proposées avant lui.
« Il faudrait incendier leurs synagogues et leurs écoles et ce qu’on ne veut pas brûler, le recouvrir de terre pour qu’aucun homme ne voie plus ni pierre ni scorie.
« Il faut faire cela pour notre Seigneur Jésus Christ et en l’honneur de la chrétienté, pour que Dieu voie que nous sommes des chrétiens ».

Luther se réfère même à Deutéronome 13,16, où il est question du ban. Il propose de détruire leurs maisons et qu’on les relègue dans des étables. Il faudrait par ailleurs leur enlever leurs livres de prière et leurs talmuds, interdire aux rabbins d’enseigner, priver les Juifs de protection dans les rues, leur interdire l’usure et leur enlever leur argent. Il conviendrait de les mettre au travail « à la sueur de leur nez », comme cela a été imposé aux fils d’Adam.

Finalement, les autorités civiles doivent les expulser de leurs territoires, « qu’ils partent dans leurs pays et dans leurs biens à Jérusalem et qu’ils y mentent, jurent, blasphèment, crachent et assassinent ».

Mais si les pasteurs devaient éviter le contact avec les juifs, ils ne devaient pas les couvrir de malédiction ni leur infliger de mal personnel.
Quelques jours avant sa mort, Luther évoque une dernière fois le caractère dangereux des juifs : « S’ils pouvaient nos faire mourir, ils le feraient volontiers, et ils le font souvent. » Mais il ajoute « nous voulons pratiquer l’amour chrétien à leur égard et prier pour eux, pour qu’ils se convertissent « .

A la lecture de ces textes, il est légitime de s’interroger sur l’influence qu’à pu avoir cet enseignement sinon sur la doctrine nazie elle-même, doctrine athée, du moins sur la réceptivité de la population allemande à l’antisémitisme violent des nazis.

L’attitude des églises luthériennes d’Allemagne en donne une indication.

Au début des années 1930, la montée du nazisme à laquelle on assiste dans de nombreuses sphères de la société allemande touche également les Églises luthériennes. De par leur passé d’Églises d’État, les Églises protestantes disposent de forts soutiens chez les dirigeants prussiens conservateurs ainsi que chez les fonctionnaires et les militaires.

Si l’on trouve tant au sein du mouvement völkisch (nationaliste), qu’à l’intérieur du parti nazi des athées convaincus, des adversaires irréductibles des Églises ou des partisans d’un néo-paganisme, comme Martin Bormann, Reinhard Heydrich, Alfred Rosenberg ou Heinrich Himmler, on retrouve également au sein du NSDAP un noyau de personnes qui croit sincèrement à la possibilité d’établir des liens entre le national-socialisme et le christianisme protestant pour créer un « christianisme positif ». Cette position est formulée dès 1920 dans le point 24 du programme du parti, par Hanns Kerrl qui deviendra ministre des Affaires religieuses en 1935.

En 1933, le parti nazi peut non seulement compter sur la bienveillance des milieux protestants, mais aussi sur un noyau de sympathisants particulièrement actifs qui s’est constitué en faction, sous la dénomination de Glaubenbewegung Deutsche Christen (Mouvement confessionnel des chrétiens allemands, ou, en abrégé, Chrétiens allemands) C’est sous leur influence que s’effectue la fusion des différentes églises dans la DEK (Deutsche Evangelische Kirche, Église évangélique allemande).
Les chrétiens allemands constituent ainsi une fraction nationale-socialiste au sein de l’Église évangélique sous la direction de leur « Führer » Joachim Hossenfelder. Adolf Hitler, nouveau chancelier, soutient l’unification des églises luthériennes qui se déroulée parallèlement aux négociations avec les catholiques qui aboutissent, en juillet 1933, à la signature du concordat entre le Saint-Siège et le Reich allemand.

Les chrétiens allemands qui ont obtenu environ un tiers du total des voix lors des élections sur le territoire de l’Église évangélique de l’Union vieille-prussienne réussissent à noyauter le premier « Nationalsynode » et à faire élire l’ancien aumônier militaire Ludwig Müller au poste nouvellement créé d' »évêque du Reich ». Müller ne parvient pas à assurer durablement son autorité sur les Landeskirchen, mais après la nomination de Hanns Kerrl comme « ministre du Reich pour les questions religieuses », par décret du 16 juillet 1935, et la fondation de Église protestante du Reich, la DEK ne joue plus qu’un rôle mineur.

Le 13 novembre 1933, lors d’une réunion au Palais des sports de Berlin, les chrétiens allemands annoncent un certain nombre de mesures qui visent à nazifier, de fait, l’Église évangélique, notamment la proclamation du Führerprinzip, c’est-à-dire du « principe d’autorité », l’élimination des éléments juifs de la Bible et l’introduction d’un paragraphe d’aryanité qui impliquait l’exclusion des pasteurs d’origine juive ou mariés à des juives. Le danger de voir le protestantisme infiltré et submergé par l’idéologie national-socialiste suscite une mobilisation des forces hostiles à une telle évolution.

Déjà, le 21 septembre 1933, un groupe de pasteurs s’était organisé en une « ligue de détresse Bekenntniskirsche » ou « Église confessante ». À la suite de la réunion des Chrétiens allemands au palais des Sports, en janvier 1934, 7000 pasteurs regroupés autour de Martin Niemöller protestent notamment contre l’introduction du « paragraphe aryen ».

Ce groupe d’opposants et un autre groupe de réformés regroupés autour de Karl Barth se retrouvent au synode de Barmen, dans la banlieue de Wuppertal du 29 au 31 mai 1934. Il y est adoptée la déclaration de Barmen,qui proclame que l’Église d’Allemagne n’est pas un « organisme d’État » et n’a d’autres fondements que la Parole de Dieu. Finalement, c’est une nouvelle Église, présidée par un Conseil fraternel du Reich qui est issue du synode de Barmen.
Parmi les dix-huit Églises provinciales représentées à Barmen, celles de Bavière, de Wurtemberg et de Hanovre sont dites intactes parce qu’elles n’avaient pas élu à leur tête des chrétiens allemands. Ces Églises intactes sont représentées à Barmen par leurs propres évêques. Le synode de Berlin-Dahlem tenu les 19 et 20 octobre 1934, dote la nouvelle église d’une « Direction provisoire », c’est-à-dire une instance concurrente de l’Épiscopat du Reich détenu par Ludwig Müller.

Ce regroupement massif au sein de l’Église confessante va se diviser rapidement. L’opposition frontale avec l’Épiscopat du Reich reconnu officiellement par le pouvoir est défendue par les plus intransigeants comme Dietrich Bonhoeffer qui soutient que « celui qui se sépare sciemment de l’Église confessante en Allemagne se sépare du salut ».

Cette intransigeance qui implique une hostilité déclarée au régime ne fait pas l’unanimité. En 1936 les évêques des Églises intactes se retirent de la Direction provisoire et forment avec d’autres représentants d’Églises provinciales un « Conseil de l’Église évangélique luthérienne d’Allemagne ».
Niemöller fait partie de ceux qui ne sont pas radicalement opposés au régime : En septembre 1933, il fonde la Ligue de détresse, mais en novembre de la même année, il envoie un télégramme à Hitler pour le féliciter de retirer l’Allemagne de la Société des Nations, « acte utile à l’intérêt national ».

Entre les deux extrêmes constitués par les chrétiens allemands et l’Église confessante, une ligne médiane se dégage, dont l’audience relative est la plus grande pendant la durée de la Seconde Guerre mondiale. À la demande du ministère des affaires ecclésiastiques Hanns Kerrl, un « Comité directeur de l’Église évangélique allemande » est désigné en 1937 par la Conférence des chefs d’Église. L’évêque de Hanovre August Marahrens, l’un des trois chefs des Églises intactes a été la personnalité la plus représentative du Conseil. Le Conseil, fidèle à l’attitude traditionnelle des luthériens, déférents vis-à-vis du pouvoir, a le souci de ne pas rompre le contact avec les représentants du pouvoir. Un autre évêque du synode de Barmen, Theophil Wurm s’efforce à travers la Conférence des chefs d’Églises de regrouper tous les protestants du pays à l’exception des chrétiens allemands dans un organisme unitaire.

La Direction provisoire de l’Église confessante reste dans la ligne d’opposition au régime et envoie le 4 juin 1936 une lettre adressée directement à Hitler dans laquelle elle s’inquiète de l’habitude prise par certains fidèles de faire au Führer « des dévotions dans une forme due à Dieu seul ». Cette lettre est également parvenue à l’étranger, ce qui provoque l’arrestation du conseiller juridique de la Direction provisoire, responsable présumé de la fuite.
Dans le but de revaloriser la position des Chrétiens allemands, Hitler décide que des élections religieuses se tiendraient le 15 février 1937, mais il doit finalement retirer son projet, car cette initiative a provoqué la formation d’un front unique contre les Chrétiens allemands.

En fait, le régime national-socialiste renonce à procéder à une mise au pas institutionnelle de l’Église protestante, mais il décide aussi de combattre plus durement les actes d’opposition de l’Église évangélique, ce qui se traduit par exemple par une nouvelle arrestation du pasteur Niemöller par la Gestapo.
À la conception d’une Église soumise à l’État se substitue celle de Rosenberg et de Bormann qui implique des Églises séparées de l’État, décentralisées et finalement réduites à la condition de simples associations privées. Cette nouvelle politique, de séparation totale de l’Église est officialisée dans le discours au Reichstag du 30 janvier 1939.

Pendant la durée de la guerre, l’Église évangélique allemande reste, en gros, loyale à Hitler et au pouvoir. Le 1er septembre 1939, les armées hitlériennes envahissent la Pologne. Dès le lendemain, l’Église évangélique appelle les fidèles à prier pour le Führer et pour le Reich « pour que le sang allemand soit réuni au sang allemand ».
Les dirigeants de l’Église catholique ayant fait preuve du même esprit patriotique, Hitler interdit d’entreprendre quelque action que ce soit vis-à-vis des Églises en Allemagne pendant la durée du conflit.

Le déclin de l’Église protestante est accompagné d’une répression qui s’abat sur ses membres: Martin Niemöller est arrêté le 1er mars 1937 et passe la durée de la Seconde Guerre mondiale dans des camps de concentration, Sachsenhausen puis Dachau, mais en quartier spécial, ce qui le met à l’abri des mesures arbitraires de la SS.
Dietrich Bonhoeffer est arrêté en 1943 et envoyé d’abord à la prison de Tegel puis à Buchenwald et Flossenbürg.

C’est à l’Église confessante que le Protestantisme allemand doit d’avoir fait un pas décisif pour s’affranchir d’une tradition séculaire de soumission à l’autorité. Les confessants ont également été les seuls à se prononcer publiquement sur la question juive.
En 1936 la direction provisoire de l’Église confessante dépose un mémoire sur la question juive qui est une déclaration nette et vigoureuse.
En 1938 les confessants ouvrent un bureau de secours aux chrétiens non aryens sous la direction du pasteur Heinrich Grüber.
En décembre 1940, la Gestapo ferme cet organisme et envoie ses dirigeants en camp de concentration et dès lors les membres de l’Église confessante doivent se limiter à des actions de secours individuelles.

En 1943, un groupe de laïcs confessants demandent solennellement à Hans Meiser, évêque de l’Église intacte de Bavière de faire passer le message « L’Église doit confesser qu’elle est le véritable Israël[…]. Elle ne peut continuer longtemps à se sauver elle-même en faisant le silence sur les attaques dont les Juifs sont les victimes ».
Meiser ne donne pas suite à cette adresse, mais l’évêque de Hanovre Theophil Wurm qui a connaissance de ce texte, écrit le 12 mars 1943 au ministre des Affaires ecclésiastiques du Reich que les Églises qui ont jusqu’alors gardé le silence pour que l’ennemi n’exploite leurs protestations à des fins de propagande ne pourraient plus désormais s’en tenir à cette attitude.
Wurm avait déjà fait état des massacres de Juifs et de Polonais dans une lettre au ministre de l’Intérieur du Wurtemberg datée de janvier 1943. Il s’adressera aussi à Himmler, Lammers et Hitler lui-même, mais il ne mettra pas à exécution la menace proférée dans la lettre du 12 mars 1943.

Les 16 et 17 octobre 1943, les confessants se réunissent à Breslau et publient ensuite une « Note sur l’interprétation du cinquième commandement » dans laquelle la politique d’extermination nazie est décrite en 21 points et déclarée contraire à la parole de Dieu.
Un mois plus tôt, la conférence des évêques catholiques de l’ouest avait fait lire en chaire une lettre collective sur le Décalogue dans laquelle il était écrit que le massacre de personnes innocentes « de races et d’origine étrangères » était toujours un mal moral, fût-il exécuté sur ordre des autorités.
Le texte protestant s’exprime en termes presque identiques: « Assassiner des hommes parce qu’ils appartiennent à une race étrangère[…] ne peut être considéré comme l’exercice de Dieu par l’État ».
Les Juifs n’étant pas nommés, les fidèles allemands de l’époque peuvent aussi ben penser au massacre de populations polonaises ou russes qu’au génocide juif.

Hitler ne s’est jamais risqué à prendre des mesures globales de persécutions contre les Églises. D’après l’historien Martin Broszat, le Führer craignait par-dessus tout d’avoir à affronter un large mouvement d’opposition religieuse.

Après l’arrestation de Martin Niemöller, Broszat note que même dans ce cas, le régime national-socialiste se trouva, de manière surprenante, contraint de faire preuve de tolérance vis-à-vis de l’Église protestante, attitude qu’il avait depuis longtemps abandonnée à l’égard d’autres opposants, y compris des représentants de l’Église catholique.
Pour Broszat, ces affrontements avec l’Église protestante montrent combien était étroite la liberté de mouvement de la direction nationale-socialiste, car ces groupes plus ou moins larges de pasteurs, d’évêques et de communautés ecclésiastiques sont représentatifs de couches conservatrices protestantes beaucoup plus larges incluant des haut-fonctionnaires, des officiers de a Wehrmacht et des magistrats.
Cette situation des protestants est singulière, souligne Broszat, en ce sens que certains sont parvenus à se regrouper derrière des responsables des Églises et que la protection dont ils ont bénéficié des forces conservatrices qui soutenaient le Reich a été efficace.

Compte-tenu de cette position de force relative, il est permis de penser que les Eglises protestantes auraient pu faire bien plus.

(Sources: Marc Lienhard, Luther, ses sources, sa pensée, sa place dans l’histoire & Wikipedia)