Ephéméride | Joseph Karo (ou Caro) [24 Mars]

24 mars 1575

Décès de Joseph Karo (ou Caro), l’auteur du Shulchan Aruch, la plus importante codification de la Loi juive.

Si l’on interroge un Juif d’aujourd’hui non versé dans la religion où apprendre la loi juive, il citera sans doute la Bible ou le Talmud. Mais si l’on suit cette indication, on a toute chance de se retrouver perdu. La Bible comprend de nombreuses lois, mais offre généralement peu d’explications sur les détails de l’observance. Le Talmud, d’un autre côté, comprend un excès de détails, mais intègre également de multiples points de vue, histoires et digressions.

Une personne qui se demanderait, par exemple, comment allumer une lampe de Hanoucca, quelles activités sont permises le Chabbat ou ce que l’on peut manger pendant Pessakh, devra parcourir des pages de discussion pour trouver des réponses, et celles-ci peuvent ne pas être claires du tout.

Pour ceux qui ne sont pas observants, cela n’a guère d’importance mais jusqu’à l’aube du XXe siècle et longtemps après encore, pour la majorité des Juifs, c’était des questions essentielles. Même si l’on ne s’intéresse au judaïsme que d’un strict point de vue culturel, de nombreux textes littéraires, des particularités culinaires restent obscurs sans compréhension des pratiques traditionnelles qui découlent des lois religieuses.

Compte tenu de la complexité du Talmud, les érudits depuis la période médiévale tentèrent de codifier la loi juive dans un format facilement accessible. Au 12ème siècle, Moïse Maïmonide (Rambam) composa le Mishneh Torah, un résumé des lois relatives à tous les domaines de la vie juive. Ce travail, écrit en hébreu simple, était destiné à être accessible au Juif moyen qui n’avait pas les compétences ou la motivation pour accéder au Talmud.

Un siècle plus tard, Jacob ben Asher rédigea l’Arba’ah Turim (souvent appelé le Tur pour faire court), un code qui ne traitait que des aspects pratiques de la loi juive. Contrairement à Maïmonide, Jacob ben Asher limita sa discussion aux lois pertinentes pour la vie juive postérieure à la destruction du Temple, et citait ses sources, référençant des opinions divergentes si nécessaire.

Dans la foulée du Tur, le code juif influent fut le Shulchan Aruch (littéralement, « la table dressée »), écrit par Joseph Karo (1488-1575). Karo faisait partie d’une famille séfarade qui fut expulsée d’Espagne en 1492. Après la mort de son père, il fut adopté par son oncle, Isaac Karo, l’auteur d’un commentaire sur la Bible. La famille Karo s’installa finalement à Safed, au nord d’Israël où prospérait le cercle mystique d’Isaac Luria. Isaac et Joseph Karo firent partie tous deux de cette communauté de mystiques.

À l’origine, Joseph Karo avait entrepris d’écrire un commentaire sur l’Arba’ah Turim qui citerait des sources non mentionnées par Jacob ben Asher et qui différeraient souvent des conclusions du Tur. Ce commentaire, intitulé Bet Yosef, se lit comme une série de notes sur les jugements plus concis de Jacob ben Asher.

Dans l’introduction à ce travail, Karo explique que l’expulsion des Juifs d’Espagne et leur dispersion subséquente parmi les communautés ashkénazes ont causé une confusion au sujet des règles d’observance. Les Juifs séfarades ont souvent constaté que leurs traditions différaient de celles des Juifs ashkénazes dans les communautés desquelles ils s’étaient installés. A la suite du démantèlement des communautés séfarades, la question de savoir qui avait le pouvoir de décider des questions de droit n’était plus claire. En présentant toutes les sources connues sur des questions particulières, Karo espérait clarifier cette confusion.

Le Bet Yosef fit finalement office de notes préparatoires pour le Shulchan Aruch, qui deviendra l’oeuvre la plus célèbre et la plus influente de Karo. Conçu au départ comme une béquille pour ceux qui ne sont pas assez instruits pour lire le Bet Yosef ou les travaux halakhiques qui y sont référencés, le Shulchan Aruch devint bientôt le code le plus important de la loi juive.

En général, le Shulchan Aruch présente les lois d’une manière directe, sans pratiquement aucune discussion. Par exemple, les instructions de Karo pour allumer les bougies de Hanoucca sont rédigées ainsi »:

Combien de bougies doit-on allumer? La première nuit, on en allume une; à partir de là, on en ajoute une chaque nuit jusqu’à ce qu’il y en ait huit la dernière nuit (Orah Hayim 671: 2). »

Bien que le Talmud et d’autres textes antérieurs incluent d’autres traditions sur les façons appropriées d’allumer les bougies de Hanukkah, Karo choisit de présenter seulement ce qu’il considérait être la procédure correcte, afin d’éviter de dérouter ses lecteurs.

Il peut sembler étrange que Karo fût à la fois un mystique et le plus important codificateur de la loi juive. Nous avons tendance à associer les mystiques avec la pratique méditative et mettant l’accent sur la réalisation des visions du divin. Quand nous imaginons un érudit médiéval, nous imaginons un homme très sérieux qui passe ses journées penché sur un tas de livres moisis. Cependant, dans le contexte du cercle mystique de Safed, la double identité de Karo prend tout son sens.

Pour Isaac Luria et son école, le but de l’observance religieuse était de réunir les parties de l’être divin qui avaient été dispersées à la suite de la désobéissance humaine. Ce processus, connu sous le nom de tikkun (réparation), nécessitait – d’abord et avant tout – la pratique des mitsvot. Luria et ses disciples croyaient que la réalisation de chaque mitsva aidait d’une certaine manière à unifier les divers aspects de Dieu. La composition d’un recueil de lois juives aiderait ainsi les Juifs à participer à ce tikkun.

La plupart du temps, les penchants mystiques de Karo ont peu d’effet sur ses décisions légales. Dans certains cas, cependant, Karo explique une loi particulière en référence à un enseignement mystique.

Lorsque Karo eut publié le Bet Yosef, Rabbi Moshe Isserles (connu sous le nom de Rema), un juriste ashkénaze, répondit avec son propre commentaire sur l’Arba’ah Turim, appelé Darkhei Moshe. Apprenant que Karo était sur le point de publier le Chulchan Aruch, Isserles abandonna ce projet et écrivit plutôt un commentaire sur l’oeuvre de Karo.

Isserles reprochait à Karo d’ignorer souvent les opinions des érudits ashkénazes, jugeant que « les livres de Karo sont pleins de décisions qui ne suivent pas l’interprétation des sages dont nous buvons les eaux … [les sages] dont nous sommes les enfants ».

C’est devenu une plaisanterie familière qu’à chaque fois que quelqu’un prétend avoir le dernier mot sur le judaïsme, de multiples commentateurs apparaissent pour contester cette affirmation. De manière fameuse, Maïmonide eut la chutzpah d’affirmer qu’une personne pouvait lire la Torah écrite et ensuite le Mishneh Torah et « à partir d’eux, connaître la Torah orale et n’avoir pas besoin de lire un autre livre ». Sans surprise, le code de Maïmonide ne devint pas le dernier mot dans la loi juive, mais fit presque immédiatement l’objet de nombreux commentaires et critiques.

De même, le Shulchan Aruch n’obtint pas immédiatement une large acceptation. De nombreux érudits pensaient que la publication d’un code juridique exhaustif était interdite, par crainte que les lecteurs d’un tel code n’aient aucun moyen de connaître l’histoire ou l’éventail des opinions sur diverses lois.

Le rabbin Shlomo ben Yechiel Luria (le Maharshal), contemporain de Karo, était l’auteur de Yam shel Shlomo, un commentaire sur une partie du Talmud. Dans l’introduction à ce travail, le Maharshal déclarait l’impossibilité « d’expliquer toute incertitude dans la Torah au point de supprimer tout désaccord. » Au contraire, soutenait-il, chaque érudit devrait se plonger dans les sources, ajouter de nouvelles interprétations, et décider parmi différentes opinions.

Ironiquement, le Shulchan Aruch gagna finalement sa légitimité par la publication de deux commentaires majeurs d’érudits ashkénazes du 17ème siècle. Ces œuvres, connues sous le nom de Turei Zahav (« Taz ») et Siftei Kohen (« Shakh ») et écrites par David ben Shmuel haLevi (Pologne, 1586-1667) et Shabbetai ben Meir haKohen (Lituanie, 1621-1662), respectivement, répondaient aux critiques du Shulchan Aruch en expliquant le raisonnement de Karo, en introduisant des opinions alternatives et en proposant leurs propres conclusions.

En traitant le Shulchan Aruch comme un travail indépendant digne de son propre commentaire, plutôt que comme le cousin pauvre du plus vaste Bet Yosef, ces deux érudits assurèrent la place du Shulchan Aruch comme code faisant autorité pour les générations à venir.

Le commentaire ultérieur le plus connu du Shulchan Aruch est le Mishneh B’rurah du 19ème siècle, écrit par Yisrael Meir Kogan, qui comprend des explications et une collection d’opinions postérieures sur la section Orah Hayim du code. Le 19ème siècle vit également un certain nombre de tentatives pour abréger le Shulchan Aruch. La plus célèbre d’entre elle est le Kitzur Shulchan Aruch de Shlomo Ganzfried, qui résume l’oeuvre de Karo tout en incorporant des opinions alternatives et des coutumes contemporaines.

À ce jour, le Shulchan Aruch reste le code le plus influent de la loi juive. Les légistes contemporains peuvent, à l’occasion, être en désaccord avec les conclusions de Karo, mais ils ne peuvent pas l’ignorer. La prolifération des commentaires sur le Shulchan Aruch n’a fait que solidifier sa position centrale dans le canon. Près de 500 ans après que Caro ait produit une oeuvre destinée principalement à ceux qui étaient incapables d’étudier des œuvres halakhiques plus complexes, son code est devenu le manuel principal pour la plupart des écoles juives traditionnelles et des yeshivas.

(Source: Rabbi Jill Jacobs in My Jewish Learning)