A l’époque où les jours grandissent, vers la St Valentin et Mardi Gras, au moment où les enfants Italiens parcourent la campagne en faisant un charivari de casseroles pour réveiller la Nature, les Juifs célèbrent la victoire de la belle Esther sur le méchant Hamann qui projetait d’exterminer tous les Juifs de l’Empire Perse. La victoire de la lumière sur l’obscurité du bien sur le mal.
Pour joindre l’acte à la parole, on mange des gâteaux en forme de chapeau tricorne. Les ashkénazes les appellent HOUMEN-TASHN Bourse d’Hamann (on lui bouffe les bourses et on lui fait manger son chapeau) et les Sépharades les appellent OZNEI-HAMANN, les oreilles d’Hamann (comme les oreilles de taureau que ramène le matador en guise de trophée).
Ces gâteaux sont remplis d’une farce qui peut être faite avec des noix, des amandes, etc… Mais ma préférence va aux Houmentashn au pavot !
Les gâteaux d’Hamann ont le goût de cette langue : le Yiddish. Un goût d’enfance que l’on recherche et que l’on rejette également.
Nous habitions un peu loin de la rue des Rosiers et ma mère m’emmenait à pied, il fallait marcher une petite ½ heure. Á un certain moment de l’année, il y avaient dans les boulangeries des gâteaux bizarres en forme de triangle et poussé par la curiosité je demandais à ma mère : qu’est ce que c’est ? Et elle me répondait : Mais ce sont des Houmentashen ! D’un air entendu comme si c’était une évidence .Mais je ne connaissais absolument pas ce mot et c’est beaucoup plus tard que j’ai appris ce que sont les Houmentashn et ce qu’ils représentent. Notre famille au sortir de la guerre était absolument muette sur tout ce qui parlait de coutumes ou de religion.
Le goût de cette pâte de pavot c’est comme les madeleines de Proust ou comme la clef d’Alice vers des rêves que je n’ai pas connus, tout un monde caché et occulté, un monde plein de neiges de rivières gelées en hiver, de loups qui poursuivent un voyageur Juif sur sa Troïka dans la neige et qui fouette ses chevaux pour leur échapper.
Donc ma mère achetait quelques uns de ces gâteaux. Mais quand je mordais dedans j’étais plutôt désagréablement surpris. Le goût de cette pâte noire était vraiment bizarre et même presque écœurant. Ce n’est que beaucoup plus tard, à l’adolescence, que je me suis mis à aimer et à me passionner même pour ce goût venu d’ailleurs aussi, et que j’ai lu l’histoire de la Belle Reine Esther, de son mentor Mordekhaï et du méchant Hamann mais ce ne sont pas mes parents qui m’ont fait connaître tout ça.
Tout ça pour vous dire aussi que rien ne ressemble au goût du pavot. On peut dire qu’il ressemble à celui du chocolat mais de loin.
Ce goût est tellement particulier que lorsque j’ai ouvert mon restaurant, le Pitchi Poï, j’ai hésité longtemps avant de le mettre à la carte car je ne savais pas comment le présenter à mes clients. Et, c’est avec beaucoup de précautions que je le proposais. Avec le temps, j’éduquais mes clients et ils furent nombreux à venir chez moi pour ce goût venu d’ailleurs.
Les graines de pavot sont grosses comme des têtes d’épingle, très dures et contiennent un grand % d’huile. Jusqu’au début siècle dernier on en extrayait une l’huile, l’huile d’œillette. Malgré leur origine les graines de pavot n’ont aucun pouvoir hallucinatoire juste si vous en mangez une quantité importante c’est un peu laxatif. Les graines de pavot se trouvent chez les marchands de fruits secs ou au rayon fruits secs des grandes surfaces. On en trouvait autrefois chez les marchands de graines pour oiseaux, lesquels marchands refusaient d’en vendre pour la nourriture humaine. On en trouve également dans les magasins de produits diététiques et naturels, dans les boutiques russes ou polonaises. Un gros problème est de moudre le pavot.
Certains utilisent du pavot non moulu et trempé.
Le résultat est mauvais : Le goût du pavot ne se dégage pas et les graines de pavot se prennent dans les dents. Bref si vous ne faites pas votre gâteau avec du pavot moulu ce n’est pas un vrai gâteau pavot.Pour moudre le pavot j’ai un moulin spécial mais à la maison vous pouvez vous servir soit d’un moulin à café à l’ancienne où les graines moulues tombent en dessous, soit moudre le pavot par petites quantités dans un moulin à café avec une lame tournante. Il faut le faire en petites quantité parce que le pavot moulu c’est un vrai béton en raison de l’huile contenue dans les graines. Si vous allez en voyage dans les pays de l’est vous pouvez en ramener un moulin à pavot.
Dernière nouvelle: on trouve maintenant en France des moulins à graines pour pavot ou graines de lin : A la Trésorerie 11 rue du Château D’Eau 75011 Paris mais c’est assez cher, Sur Internet j’en ai vu un sur CuisinStore beaucoup moins cher.
Vous pouvez aussi acheter votre pavot moulu dans une épicerie polonaise genre KRAKUS ou Manorek (156 rue Oberkampf 75011 Paris www.sklep-polski-manorek.com ) ou
La Petite Pologne (20 rue Jacques Louvel-Tessier 75010 Paris www.lapetite-pologne.com ) ou encore La Boutique Polonaise (9 rue Pierre Ginier 75018 Paris www.commeenpologne.com ).
Publicités non payantes. 🙂
Cela me rappelle que dans les années 80 lorsque j’ai ouvert le restaurant Pitchi Poï, il y avait rue de Sévigné une boutique Hongroise, Madame Szuba, qui vendait du pavot moulu et elle venait chez moi moudre son pavot quand son moulin à pavot était en panne. Pour me remercier elle m’offrait une tranche de saucisson mais quand je lui disais que je ne mange pas de porc elle m’offrait une tranche de jambon. Tout le monde sait que le jambon c’est la partie cacher du porc : la preuve, on en donne bien aux malades !
Je vous donne la recette pour 25 Houmentashen :
Pour la pâte je fais une pâte sablée toute simple comme la recette de Ginette Mathiot :
Pâte sablée :
250 g farine
125 g beurre ou de margarine pâtissière.
125g de sucre semoule
1 œuf entier
Éventuellement un œuf battu pour dorer la pâte avant d’enfourner
Pour la farce :
Pavot moulu 150 g
Pruneaux dénoyautés 100g
1 cuiller à soupe de miel
Préparation :
Préparer la pâte sablée :
Mettre votre farine sur votre plan de travail et faire la fontaine
Mettre au centre le beurre assez ferme et coupé en petits cubes travaillez le tout
Ajoutez le sucre semoule et mélanger rapidement
En dernier ajouter l’œuf entier et faire la pâte
Laisser reposer au frais ½ heures
Pendant ce temps préparer la farce :
Dans un mixer faire tourner le pavot moulu et les pruneaux dénoyautés ajouter le miel pour obtenir un mélange qui se met en boule dans votre mixer.
Si vous n’avez pas de mixer remplacer les pruneaux par une confiture bien épaisse.
Préparation des Houmentashn
Étaler votre pâte sur votre plan de travail fariné à une épaisseur de 2 ou 3 mm
Faire des ronds avec un grand verre (7 ou 8 cm de diamètre)
Poser sur chaque rond une boulette de farce de la grosseur d’une noix
Rabattre les coins et pincer pour former un triangle tout en laissant la farce visible
Éventuellement dorer vos gâteaux en badigeonnant avec un pinceau trempé dans de l’œuf battu.
Cuire au four à 180 °C pendant 15 mn puis 15 mn à four plus doux 140 °C
Mais il faut surveiller la cuisson.
A consommer quand ils sont refroidis. Il est absolument INTERDIT d’en manger pendant qu’on ne vous voit pas !
