11 avril 1890
Ellis Island est choisie comme station d’accueil et de contrôle des immigrants arrivants aux Etats-Unis. Les services d’immigration y ont fonctionné du 1er janvier 1892 au 12 novembre 1954. C’est aujourd’hui un musée.
La petite Nelly Rattner n’avait que 11 ans, en ce jour de 1940, quand elle aperçut la Statue de la Liberté pour la première fois. Sa famille, à l’exception de son père, avait échappé aux nazis, était parvenue à prendre le dernier train pour Vienne et monter à bord du dernier navire pour l’Amérique.
Elle était tellement excitée. Elle en avait tellement entendu parler à Vienne dans la famille. Cela signifiait la liberté!
Mais l’exaltation de sa famille était prématurée. Sur Ellis Island, ses membres furent retenus par les fonctionnaires de l’immigration, pas convaincus que la famille pouvait subvenir à ses besoins. Bien que la grand-mère de Nelly fût couturière et son oncle tailleur, tous furent bloqués parce que Nelly, sa soeur, sa mère et son oncle étaient sourds.
On a dit d’Ellis Island qu’elle était l’île de l’espoir et l’île des larmes. La grande majorité des immigrants virent leurs rêves se réaliser, puisque plus de 17 millions de personnes franchirent ses portes entre 1892 et 1954. La moitié des Américains, dit-on, compte au moins un ancêtre parmi ces voyageurs.
Mais Ellis Island n’était pas tant une porte ouverte qu’une porte gardée qui se fermait devant les malades, les très vieux, les pauvres, les femmes célibataires, les analphabètes et, à certaines époques, devant les anarchistes et les asiatiques.
Le célèbre sonnet d’Emma Lazarus inscrit sur le piédestal de la Statue de la Liberté a beau proclamer:
« Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres,
Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,
Les rebuts de vos rivages surpeuplés
Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte,
… «
la réalité de l’immigration était moins romantique.
« Le poème d’Emma Lazarus est très beau, mais il est très trompeur », selon Julian Simon, un professeur de l’Université du Maryland qui a beaucoup écrit sur l’immigration. « Les gens qui venaient et qui viennent maintenant n’étaient pas fatigués, ce n’était pas du tout le fond de cuve dépenaillé de la société: les gens qui arrivaient étaient jeunes, forts et dynamiques.
« Et pourtant, le poème fait du bien aux Américains – Mère Générosité, ce n’est pas justifié par les faits. »
Mais pour Alan Kraut, professeur d’histoire à l’American University et membre du comité d’histoire de la Statue de la Liberté – Ellis Island, dire que le gouvernement voulait écarter les gens, c’est de la « mythologie ». « L’Amérique voulait ces immigrants ». « Nous étions en concurrence avec le Canada et l’Australie, qui étaient déjà industrialisés. L’objectif était d’éliminer ceux qui étaient trop malades ou handicapés pour subvenir à leurs besoins. L’idée étant que les États-Unis ne devait pas devenir l’hospice du monde.
Ceux qui entreprenaient l’éprouvant voyage avaient au moins de l’argent, de la force et le courage de quitter leurs foyers. Le processus de sélection commençait avant même d’embarquer. Le Service de l’immigration exigeait que les compagnies de navigation transatlantiques examinent les candidats au voyage et ciblent ceux qui étaient malades ou ne pouvaient pas gagner leur vie. Les compagnies avaient intérêt à bien faire ce travail, car ceux qui avaient été rejetés à Ellis Island étaient renvoyés vers leur point de départ aux frais des compagnies.
Le prix du billet de passage était un autre obstacle. En 1900, un billet pour l’Amérique coûtait entre 10 $ à 35 $ en troisième classe, dans laquelle la majorité des immigrants voyageaient, entassés comme des bagages sous les ponts, souffrant souvent du mal de mer et mal en point. Ceux qui avaient plus de moyens pouvaient voyager plus confortablement dans des cabines pour environ 40 $ en seconde classe ou environ 80 $ en première classe. Ces sommes représentaient peut-être des années d’économies, parfois par un parent déjà en Amérique qui avait envoyé l’argent au pays.
Après un mois de mer, les navires pénétraient dans le port de New York, où, selon certains témoignages, tant de passagers se pressaient d’un côté pour voir Miss Liberty que les navires penchaient dangereusement.
Dans le port, les inspecteurs médicaux de l’État montaient à bord pour vérifier l’absence d’épidémies comme le choléra ou la typhoïde. Les passagers de première et deuxième classe étaient examinés dans leurs cabines, et la plupart descendaient juste la passerelle vers la liberté sur un quai dans le bas Manhattan. Seuls ceux de troisième classe étaient entassés sur des ferries en bois pour franchir le dernier mille jusqu’à Ellis Island.
Par groupes d’environ 20, ils étaient débarqués sur l’île, vêtus de leurs meilleurs costumes en laine, robes brodées et chapeaux, souvent achetés exprès pour le voyage. Ils portaient leurs effets personnels, les nécessaires et les sentimentaux, enveloppés dans des couvertures, des matelas, des valises cabossées et des grands paniers.
Le processus de sélection commençait avant même que les immigrants ne s’en aperçoivent. Après avoir déposé leurs affaires dans la salle des bagages de l’impressionnant bâtiment principal de style Beaux-Arts, ils gravissaient les marches menant à la salle d’enregistrement. Ils ne savaient pas qu’un médecin du Service de santé publique guettait d’en haut les signes de boiterie ou de respiration sifflante, un signe possible de maladie cardiaque ou de tuberculose.
Pénétrant dans le majestueux Grand Hall, avec ses hautes voûtes, ses plafonds en faïence et ses fenêtres surplombant Manhattan, les immigrants étaient attendus par un bataillon de médecins qui martelaient les poitrines des nouveaux arrivants, inspectaient les cuirs chevelus, observaient les expressions faciales et examinaient la peau et les ongles.
Beaucoup d’immigrants avaient été prévenus: « Attention à l’homme des yeux. » Il soulevait les paupières avec un doigt, une épingle à cheveux ou un tire-bouton pour rechercher le trachome, une maladie contagieuse entraînant la cécité. Toute signe en ce sens signifiait que les vêtements de l’immigrant seraient marqués à la craie d’un « E », un signe de rejet certain.
Les autres marques de mauvais augure comportaient le « H » pour les problèmes cardiaques, le « K » pour les hernies, le « F » pour les éruptions cutanées, le « S » pour la sénilité, le « L » pour la boiterie et le « X » pour la déficience mentale. Un cercle autour du « X » indiquait une déficience mentale extrême.
Les immigrants qui avaient réussi ces tests se dirigeaient vers une extrémité de la salle où, sous un drapeau américain géant, ils faisaientt face à « l’inspecteur principal », qui allait décider s’ils pourraient entrer en Amérique. A l’aide d’interprètes, ils étaient soumis à 29 questions. Etes-vous marié? Avez-vous des compétences? Avez-vous un travail qui vous attend ici? Êtes-vous un anarchiste? Êtes-vous polygame?
Quatre-vingt pour cent des nouveaux arrivants passaient à travers Ellis Island en six heures environ. Les autres étaient envoyés dans des centres de rétention, souvent simplement dans l’attente qu’un parent ou un ami se porte garant pour eux. Certains, affectés de maladies étaient hospitalisés sur l’île.
2% seulement étaient rapatriés au final rapatriés, mais quelques-uns, comme Nelly et sa famille, vécurent dans l’incertitude sur l’île pendant plusieurs mois.
Après 1910, lorsque le système d’accueil de l’île eut été réformé en réponse aux critiques, la plupart des mémoires laissés par des immigrants indiquent qu’ils étaient bien nourris, divertis avec des films et des concerts et autorisés à faire de l’exercice.Nelly s’amusait à apprendre l’anglais à la bibliothèque et à saluer les marins qui passaient sur leurs bateaux.
« Je pouvais regarder dans un sens et voir les gratte-ciels de Manhattan », a-t-elle raconté lors d’une interview dans laquelle elle lisait sur les lèvres et parlait d’une voix forte avec une trace d’accent européen. « Je pouvais regarder de l’autre côté et voir la Statue de la Liberté. J’en avais toujours rêvé, mais je ne pouvais pas y aller, je ne pouvais pas, j’étais coincée au milieu. »
La famille comparut plusieurs fois devant les inspecteurs d’audition de l’île. « Ils pensaient que nous n’étions pas capables de travailler, que nous étions désarmés. Ils étaient stupides … J’étais si anxieuse, ma mère avait si peur que nous soyons renvoyés sur un autre navire. »
Les travailleurs sociaux plaidèrent la cause de la famille devant une commission d’appel dans la sombre salle d’audience qu’on peut visiter dans le musée. La longue table de bois où siégeaient les juges est encore là.
C’est seulement au bout de cinq mois, lorsqu’un philanthrope suisse envoya la caution de 2500 $, que la famille fut relâchée.
Les Rattners prouvèrent rapidement qu’ils ne deviendraient pas un fardeau pour leur nouvelle nation. En cinq ans, la mère et l’oncle remboursèrent les 2 500 $ et s’installèrent à Manhattan, où Nelly vivait encore en 1990, lors de l’inauguration du musée.
Elle avait un album photo qu’elle avait apporté de Vienne et un autre rempli de photographies de ses premiers jours en Amérique. Sur l’une, elle se tenait sur le toit d’un immeuble du Bronx déguisée pour son premier Halloween en Amérique. Elle portait une cape vaporeuse et une couronne et brandissait une torche, tout comme Miss Liberty.
(Source: Laurie Goodstein, The Washington Post)
