Ephéméride | La Diète de Hongrie [14 Avril]

Le 14 avril 1849

la Diète de Hongrie annonce son indépendance vis-à-vis de la maison des Habsbourg-Lorraine et proclame la république. Lajos Kossuth est alors nommé régent et investi des pleins pouvoirs. Les Juifs de Hongrie s’impliquent avec enthousiasme dans la lutte pour la liberté et l’indépendance. Du côté hongrois, la réception est moins enthousiaste.

Un vent de renouveau nationaliste et de réforme soufflait en Hongrie depuis 1825. Les principaux porteurs du nationalisme libéral hongrois étaient la noblesse et ils considéraient la transformation économique et sociale comme le moyen nécessaire pour atteindre les objectifs nationaux. Les projets de réformes proliféraient. Conscients que les Magyars constituaient une minorité en Hongrie (à l’époque le royaume de Hongrie incluait la Croatie, la Transylvanie, la Slovaquie et même une partie de l’Autriche actuelles), ces nationalistes hongrois cherchaient à assimiler les différentes nationalités du pays à la nation magyare. Au moyen de clubs sociaux, ils visaient à surmonter les différences de classe et à créer une plus grande solidarité.

Parmi les nombreuses questions vivement débattues à l’époque, il y avait l’émancipation juive. Le tournant se produisit en 1840. Le pamphlet du baron Joseph Eötvös sur l’émancipation juive et les attitudes libérales exprimées à la Diète surprirent les observateurs nationaux et étrangers. Ce n’est qu’en raison de l’opposition de la Chambre haute et de la Couronne que la proposition d’accorder aux Juifs une pleine égalité avec la population non noble fut repoussée. Néanmoins, la loi 29 de 1840 autorisa les Juifs à s’installer dans toutes les villes sauf les villes minières, éliminant ainsi un obstacle légal à l’urbanisation dynamique qui devait avoir lieu dans les décennies suivantes. De plus, bien que les Juifs soient encore exclus de nombreux clubs, en particulier ceux dirigés par des bourgeois, ils furent accueillis de manière inattendue dans certains clubs où dominaient les nobles.

Les Juifs hongrois, en particulier ceux qui étaient favorables aux réformes mais pas exclusivement, réagirent avec enthousiasme. Des brochures patriotiques telles que celles du rabbin Löw Schwab et de Mór Ballagi parurent en hongrois, de même qu’un projet de traduction de la Bible et du Siddur en hongrois par Ballagi. Des sociétés de « productivisation » visant à former les Juifs pour l’agriculture et l’artisanat furent créées dans plusieurs communautés. Les Juifs embrassèrent le nationalisme magyar avec une ferveur de néophyte et une société fut créée à Pest en 1844 pour disséminer la langue magyare parmi les Juifs.

À ce moment-là, toutefois, l’opinion publique avait commencé à se retourner contre l’émancipation. Le comte Széchenyi fit valoir qu’un pourcentage élevé de Juifs dans la population rendait l’intégration de type occidental inadaptée à la Hongrie. Un éditorial important du politicien libéral de l’époque, Louis Kossuth, parut en mai 1844. Se déclarant fermement en faveur de l’émancipation, il cherchait à comprendre pourquoi le public s’était détourné de sa position favorable. L’égalité juridique était certes importante, mais la véritable intégration sociale, la « fusion » l’était encore plus. Il y avait des éléments dans le judaïsme qui entretenaient la séparation juive non seulement comme religion, mais aussi comme « organisme politique ». Kossuth exhortait les Juifs à purger leur religion des éléments politiques et nationaux qui entravaient une émancipation significative. Bien que Kossuth n’ait pas expressément subordonné l’émancipation aux réformes religieuses, ses circonlocutions impliquaient qu’il s’agissait d’une offre qui ne devait pas être refusée.

Quelques années plus tard, de nombreux Juifs furent emportés par l’enthousiasme qui accueillit la révolution du 15 mars 1848. A Pest, alors que la demande en 12 points des jeunes radicaux était imprimée, un jeune médecin juif nommé Rosenfeld se joignit aux orateurs pour haranguer la foule excitée. Des centaines de Juifs s’enrôlèrent dans la garde nationale, apparaissant le lendemain armés de sabres et portant des cocardes et des brassards rouges, blancs et verts. L’espoir que l’émancipation était proche volait haut dans la communauté juive. Il demeurait cependant un certain malaise quant au fait que les 12 points exigeaient, certes, « l’égalité civile et religieuse », mais ne faisaient aucune mention explicite de l’émancipation juive. Néanmoins, la plupart des Juifs adoptèrent une attitude prudente mais optimiste, espérant le meilleur.

Ces attentes furent rapidement déçues. A peine quelques jours plus tards, les bourgeois exigèrent que les Juifs soient exclus de la garde nationale. Entre le 18 et le 21 mars, la violence dans les rues se transforma en émeutes anti-juives. À Pressburg (aujourd’hui Bratislava), où la Diète était en session, les bourgeois soutinrent une pétition qui visait à annuler les gains résidentiels faits par les Juifs depuis 1840 et exigeait en outre que le rédacteur juif du Pressburger Zeitung, Adolf Neustadt, soit licencié.
Sous la pression des émeutes et de la pétition des bourgeois, la Diète se tourna vers la question de l’émancipation juive. Des propositions furent formulées dans l’esprit de l’éditorial de Kossuth liant l’égalité aux réformes religieuses.
Kossuth lui-même conseilla la patience, de peur que les demandes juives intempestives « compromettent les moments propices à la renaissance de notre patrie. »
Jonas Kunewalder, le président de la communauté de Pest, exhorta également les Juifs à renoncer à faire campagnes pour leurs intérêts spécifiques et à placer leur confiance dans le gouvernement.
Cependant, Kunewalder, le plus grand défenseur des droits des Juifs dans les années 1840, n’était lui-même pas convaincu et rejoignit sa famille le 5 avril sur les fonts baptismaux de l’église catholique.
Il n’était pas le seul. Si la vague de conversions annoncée par la presse ne se concrétisa pas, des dizaines de Juifs hongrois abandonnèrent leur foi cette année-là, et parmi eux d’anciens militants pour l’émancipation à l’instar de Ballagi quelques années plus tôt.

Une poussée de violence beaucoup plus féroce éclata à Pâques dans les villes de Hongrie. Les hauts plateaux slovaques et les villes transdanubiennes furent particulièrement touchés. Ironiquement, seuls les comtés du nord-est habités par les Juifs les plus traditionnels furent épargnés.
A Pressburg se produisirent les pires troubles anti-juifs de toute l’Europe révolutionnaire. A Pest, les bourgeois poussaient désormais des revendications semblables à celles qui avaient été réclamées à Pressburg un mois plus tôt. Ils voulaient désarmer et expulser les Juifs de la garde nationale, expulser les Juifs qui s’étaient installés illégalement à Pest après 1838 et renvoyer l’éditeur juif du quotidien politique « Der Ungar », Hermann Klein. Le ministre-président Lajos Batthyány céda hypocritement à ces demandes, ordonnant en outre un recensement juif mené dans tout le pays pour vérifier la légalité de la résidence juive.

C’était trop. Des sociétés d’émigration se créèrent à Pressburg et à Pest à la fin d’avril et au début de mai avec la bénédiction des rabbins locaux. Comme à Vienne et à Prague, c’était l’intelligentsia juive radicale, dont Philipp Korn, un libraire de Pressburg qui avait publié les traductions hongroises de Ballagi quelques années plus tôt et Adolf Dux, traducteur de la poésie hongroise en allemand, qui appelait maintenant les Juifs à quitter leur patrie bien-aimée sans faire du sentiment, et partir pour la terre de la vraie liberté, l’Amérique.
Près de 100 émigrants de Pressburg partirent cet été-là, mais le mouvement, qui avait enthousiasmé le public juif, fit rapidement long feu. La menace posée par les insurgés serbes et croates en septembre poussa les patriotes comme Korn à lancer un nouvel appel, « Contre les rebelles! », pour la formation d’un corps juif.
Moins d’un mois après avoir épuisé ses options en tant que Juif en Hongrie, Korn se convertit lui-aussi et devint le commandant en second de la Légion allemande qui combattit aux côtés des forces hongroises.

Des sociétés de réforme radicale virent le jour au cours des premiers mois de la révolution dans plusieurs communautés, la plus importante étant la Reformgenossenschaft (communauté réformée) de Pest, sur le modèle de la société réformée radicale de Berlin.
Ignác Einhorn, qui commença à publier le premier hebdomadaire juif en Hongrie, « Der ungarische Israelit », à la mi-avril, fut élu prédicateur de la société.
Des réformes de grande envergure telles que l’abolition de la circoncision et des lois alimentaires, le transfert du shabbat au dimanche, la prière en langue vernaculaire et l’autorisation de mariages mixtes étaient envisagées.
Le rabbin Schwab accusa avec véhémence la société de troquer des principes religieux contre l’émancipation, accusation qu’Einhorn niait vigoureusement. La société reçut le statut de communauté indépendante en 1849 et ne fut abolie qu’en 1852 après de nombreuses pressions de la part de Schwab et de la communauté de Pest.

Ce n’est que l’été de l’année suivante, dans les derniers jours de la Hongrie révolutionnaire indépendante, qu’une loi d’émancipation des Juifs fut votée (le 28 juillet) par le parlement croupion de Szeged. A cette époque, il ne restait que les députés les plus radicaux, et après un discours passionné du Premier ministre Bertalan Szemere, le projet de loi fut adopté.
De manière caractéristique, la formulation portait l’empreinte de Kossuth, avec des clauses limitant l’immigration et convoquant un Sanhédrin pour instituer les réformes nécessaires parcimonieusement accordées.
Avec cette loi, la Hongrie devint le dernier pays de l’Europe révolutionnaire à émanciper les Juifs, quatre mois après que la constitution réactionnaire de l’Autriche l’eut fait d’une manière directe et inconditionnelle.

Les événements de 1848-1849 demeurèrent sélectivement dans la mémoire des Juifs hongrois au cours des décennies qui suivirent comme le point culminant des relations magyaro-juives. La participation patriotique des Juifs dans les forces armées – 20000 hommes était le chiffre gonflé qui circulait même pendant la révolution; 3 000, proportionnellement à la part des Juifs dans la population, semble plus raisonnable – était perçue comme une « alliance de sang » qui ne pourrait jamais être effacée de la mémoire.

Il sera évoqué à la veille de la Seconde Guerre mondiale lorsque les descendants des honvéds juifs de 1848 (comme on appelait les soldats de Kossuth) déposèrent une pétition pathétique pour être exemptés des lois juives.
Sans résultat.

(Source: Michael K. Silbe