Ephéméride | Léon Bakst [10 Mai]

10 mai 1866

Naissance à Grodno (Biélorussie) de Lev Samoïlovitch Rosenberg, dit Léon Bakst, un artiste qui bouleversa la mode et le théâtre.

Dessinateur raffiné, brillant portraitiste de l’Age d’argent et scénographe talentueux qui influença la mode française et américaine des années 1910 et 1920, Léon Bakst naquit en 1866 à Grodno dans une famille juive orthodoxe. Son pseudonyme, tiré du nom de famille de sa grand-mère, Bakster, sonore et facile à reproduire dans toutes les langues, apparaîtra 23 ans plus tard lors de sa première exposition, lorsque le jeune peintre cherchera une manière de se présenter au monde.

Sa formation sort des sentiers battus. Après avoir accompli des études au Gymnase de la capitale impériale, il étudie, de 1883 à 1886, à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg. En 1891, il voyage en Italie, en Allemagne et en France où il fréquente l’atelier de Jean-Léon Gérôme, suit des cours de l’Académie Julian et travaille, à Paris, avec Albert Edelfelt entre 1893 et 18964.

Pour arrondir ses fins de mois, il illustre des livres pour enfants et apprend à dessiner aux neveux du tsar Nicolas II.

Le premier jalon de la carrière de Léon Bakst est le mouvement « Le Monde de l’Art. »
En 1898, le grand amateur d’art Serge Diaghilev organise à Saint-Pétersbourg l’Exposition de peintres russes et finlandais : c’est la première manifestation commune du « Monde de l’Art. »
Mir iskousstva (en russe : Мир Искусства, « Le Monde de l’Art ») est une association d’artistes russes fondée en 1898 dans l’idée de prôner un renouveau pictural de l’art russe en synthétisant les plusieurs formes artistiques dont le théâtre, la décoration et l’art du livre. Les membres du groupe sont appelés miriskousniki.
Inspirées par l’Europe et ses grandes capitales, marquées par l’Art nouveau, le symbolisme et le culte de la beauté, les œuvres des peintres du groupe présentent un caractère raffiné.
Les artistes de ce groupe ne reconnaissent ni l’académisme, ni les tendances « populaires » des Ambulants (mouvement réaliste dont les membres avaient un même idéal : l’art doit être au service du peuple), mais apprécient l’esthétisme raffiné, se rapprochent de l’Art nouveau européen et du symbolisme (Léon Bakst est grandement influencé par le graveur et illustrateur britannique Aubrey Beardsley). Ils promeuvent une synthèse des arts, ce qui conduit logiquement nombre d’entre eux à devenir décorateurs de théâtre.

Les dessins réalisés par Léon Bakst pour Le Monde de l’Art lui apportent une célébrité méritée. Il réalise également des portraits de ses collègues, notamment de Serge Diaghilev, d’Alexandre Benois et de sa femme Anna Kind ainsi que de la femme poète Zinaïda Hippius, en reproduisant non seulement les visages, mais l’esprit de cette époque rebelle à la charnière des siècles.

Dans les premières années du XXe siècle, il commence à travailler pour le théâtre. Ses costumes font ressortir la beauté de la danseuse légendaire Mathilde Kschessinska, soulignent le corps élancé d’Anna Pavlova quand elle danse Le Cygne de Saint-Saëns et aident Ida Rubinstein à présenter sur scène le personnage scandaleusement célèbre de Salomé, drame interdit en Russie dans sa première version par l’Eglise orthodoxe.

En 1909, Diaghilev organise une première saison de ses Ballets à Paris : Léon Bakst se voit confier les décors de Cléopâtre de Michel Fokine. Dès la première scène, les spectateurs sont fascinés : quatre esclaves noirs apportent un palanquin richement orné dont ils sortent une « momie » enveloppée dans douze couvertures dont chacune est une œuvre d’art, comme la couverture rouge brodée de crocodiles d’or ou la couverture verte décorée de l’arbre généalogique des pharaons. La dernière couverture, bleu marine, fait apparaître au spectateur Ida Rubinstein qui, en vêtements semi-transparents, entame sa merveilleuse danse.

Un an plus tard, c’est Shéhérazade sur une musique de Nikolaï Rimski-Korsakov qui conquiert rapidement Paris. Diaghilev et ceux qui travaillaient avec lui – Fokine, Nijinski et Bakst – ont créé une nouvelle attitude envers les mises en scène. C’était une véritable synthèse de la peinture, de la musique et de la danse où le décorateur n’était plus réduit à réaliser un simple fond. Ce décorateur se trouvait sur le même plan que le compositeur et le metteur en scène et parfois, grâce à son éclat, son courage et sa note d’exotisme, la production scénique ressortait au premier plan.

Bakst enivre le public par ses scénographies flamboyantes et par ses costumes aux profondes couleurs, aux contrastes violents de vert et de rouge, où l’orientalisme se mêle à l’érotisme.
Car avant d’être disloquée par les nationalismes, emportée par la tempête de 14-18 et bouleversée par l’esthétique de la machine, l’Europe rêve une dernière fois aux lenteurs hiératiques du pays d’Aladin. Elle s’entiche de sarouels et de burnous. Elle fantasme sur la Salomé d’Oscar Wilde, incarnée par la danseuse Ida Rubinstein. « Déshabillée » par Bakst en 1908, elle est quasi nue sous sa robe de perles, qu’elle finit par enlever sur scène, comme elle le fera l’année suivante dans Cléopâtre.

« Le triomphe de Léon Bakst vint balayer nos scènes et substituer à la poussière grise une poussière nouvelle, poussière d’or et de vives couleurs », dira Jean Cocteau. Et Marcel Proust, dans une lettre à Reynaldo Hahn, du 4 mai 1911, lui écrit : « Dites mille choses à Bakst que j’admire profondément, ne connaissant rien de plus beau que Schéhérazade ».

Installé à Paris dès 1893, Bakst emménage avec femme et enfant boulevard Malesherbes, où il partage ses journées entre commande et travail personnel. L’air sérieux d’un professeur à lorgnons et moustache, il voyage sans quitter son atelier, apppuyé sur une sérieuse documentation. Pour La Pisanelle, un ballet de Michel Fokine créé en 1913, il transporte le spectateur sous les voûtes lapis-lazuli d’un immense harem. Pour Phaedre, en 1923, le voilà en Crète, dans le palais de Minos, aux épaisses colonnes bleues et rouges sous des poutres jaune vif.

Avec lui, les spectacles deviennent des tableaux vivants, dont les personnages sont « les derniers coups de pinceau ». Son génie culmine dans le costume qu’il dessine pour le danseur Vaslav Ninjinski, dans L’Après-midi d’un faune, créé en 1912 sur une musique de Claude Debussy. Souple corps blanc tacheté de noir, Ninjinski se déplace latéralement comme un hiéroglyphe vivant, sur fond de rochers et d’arbres vert et or. Un chef-d’œuvre sur tous les plans.

L’intérêt pour le mouvement et le nu, les motifs orientaux, la passion et un érotisme raffiné étaient autant de nouveautés présentées par les Ballets russes et reprises rapidement dans les costumes pour les bals et les carnavals. Léon Bakst vendait ses esquisses au grand couturier français Paul Poiret et a coopéré pendant trois ans avec la couturière française Jeanne Paquin, fondatrice de la Maison Paquin.

C’est lui qui lança la mode des turbans, des pantalons larges et des perruques de couleur. C’est lui qui créa des costumes extravagants pour la marquise Luisa Casati, muse d’un grand nombre d’artistes des trente premières années du XXe siècle qui apparaissait tantôt comme un arlequin blanc, tantôt comme la déesse du soleil ou la reine de la nuit.

Au tournant de la Grande Guerre, Bakst est moins dans le ton de son époque. Gontcharova, Larionov, Picasso, Matisse et les avant-gardes, qu’il apprécie par ailleurs, lui ravissent la vedette. En septembre 1918, Diaghliev monte une nouvelle version de Cléopâtre. Il y délaisse l’orientalisme sinueux de Bakst pour l’abstraction géométrique de Sonia Delaunay. En réaction, le « Gustave Moreau du ballet » cherche son inspiration dans la peinture classique. Au début des années 20, devenu conseiller à la danse pour l’Opéra de Paris, il signe lui-même quelques spectacles dont il conçoit décors et vêtements.

Surfant sur la vague de son succès (en Europe comme en Amérique), Léon Bakst a même l’intention d’ouvrir sa propre maison de mode qui proposerait aux clients non seulement des vêtements, mais également des bijoux, des meubles, des papiers peints et des tissus.
Ami du dandy Robert de Montesquiou, familier de l’élégantissime comtesse Greffulhe, Bakst aime la mode. Il dessine pour la couturière Jeanne Paquin et influence le style orientalisant de Paul Poiret.
Des décennies plus tard, Christian Lacroix ou Karl Lagerfeld sauront lui rendre hommage. Apportant aux arts décoratifs sa fête de couleurs, le « Delacroix du costume » crée des motifs pour des tissus d’ameublement, pour des vases ou des flacons de parfum.

Mais sa mort prématurée en décida autrement. Et bien que les Ballets russes aient employé d’autres grands artistes, tels Derain, Matisse et Picasso, c’est à Bakst que le projet, qui a largement dépassé le cadre de la production scénique, doit son succès.

Léon Bakst s’éteint le 28 décembre 1924, à l’âge de 58 ans, dans une clinique de Rueil-Malmaison, des suites d’un oedème pulmonaire.
A l’annonce de sa mort, Chagall pleurera son « premier et inoubliable maître ».