Ephéméride |Josef Burg [30 Mai]

30 mai 1912

Naissance à Czernowiz (alors Autriche-Hongrie), de Josef Burg, le dernier écrivain yiddish de Bukovine.

Josef Burg, fut l’un des derniers auteurs yiddish d’Europe de l’Est à avoir préservé dans des récits de fiction sur la vie juive, des ghettos des villes aux shtetl perdus des Carpates, les vestiges d’une culture autrefois florissante.

A sa naissance, Czernowitz était austro-hongroise. Puis, après la première guerre, elle fut attribuée à la Roumanie par les vainqueurs. Elle s’appela alors Cernauti. Puis, à la suite du pacte Molotov-Ribbentrop, elle devint soviétique sous le nom de Tchernovtsé. Puis de nouveau roumaine en 41 après l’invasion de l’Union soviétique. Puis de nouveau soviétique après la victoire des alliés. Aujourd’hui, elle est ukrainienne et s’appelle Tchernivtsi.

Pendant quelques décennies, elle fut la Jérusalem de Bukovine, par l’extraordinaire éclat de la symbiose judéo-allemande qui s’y développa. Elle a donné au monde Paul Celan, Rosa Auslander, Alfred Gong, Aaron Applefeld, et aussi des auteurs yiddish comme Itzik Manger et donc, Josef Burg.

Écoutons ce qu’en a dit Aaron Appelfeld

« Sans doute aucune petite ville au monde n’a-t-elle autant inspiré de livres et d’articles que Czernowitz. Qu’est-ce qui peut bien justifier cette attention particulière ? Il n’est pas facile de répondre à une question si complexe. On peut sans trop se tromper répondre que Czernowitz était une ville au croisement de l’Europe occidentale et orientale, et que plusieurs générations d’habitants y ont subi l’influence de ces deux univers. Ce n’est pas trop se tromper non plus que ­d’ajouter que Czernowitz fut une ville d’innombrables ­minorités qui, jusqu’à la Première Guerre mondiale, vécurent dans une certaine harmonie. On ne se trompera pas davantage si l’on souligne que la passion de l’enseignement et de la culture y a nourri de nombreux lycées et même une université. Pourtant, selon moi, rien de tout cela ne suffit à expliquer l’énorme intérêt que cette ville continue de susciter. Que ce soit en Allemagne, en Autriche ou ailleurs, que ce soit parmi les Juifs ou les non-Juifs, évoquer le nom de Czernowitz suffit à ­déclencher les passions et l’enthousiasme. Historiquement, les Juifs furent la levure qui permit la fermentation culturelle de cette ville. Avant la Première Guerre mondiale, environ 50 000 Juifs vivaient à Czernowitz, y constituant plus du tiers de la population locale. Le débat politique était vif entre assimilationnistes, sionistes, bundistes [de “Bund”, ou Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie], tenants du yiddish et hassidim. Un splendide temple de style réformé cohabitait avec d’innombrables synagogues. Les mondes de la presse, du théâtre, de la littérature et de la musique étaient dominés par les Juifs. »

« Josef Burg fut le dernier écrivain yiddish de la génération avant la Shoah à rester en Ukraine, et il s’est courageusement efforcé de perpétuer la langue et la culture yiddish », déclara Itzik Gottesman, du Forverts, après sa disparition.
« Ses écrits captent l’histoire multiforme et multiculturelle des Juifs de la région de Bucovine pendant la plus grande partie du 20ème siècle et reflètent l’itinéraire unique d’un écrivain yiddish dans une ville qui comptait de moins en moins de Juifs ».

Interviewé par le New York Times en 1992, Josef Burg se présentait comme « le dernier des Mohicans de la grande tradition yiddish de Czernowitz », nommant sa ville comme on l’appelait lorsqu’elle faisait encore partie de l’empire austro-hongrois.

Bien que le yiddish fut sa langue maternelle bien-aimée, Burg parlait couramment tout l’éventail des langues qui reflétaient l’histoire de sa patrie déchirée par la guerre.

Jusqu’en 1941, plus d’un tiers de la population de Czernowitz était juive. Puis les nazis arrivèrent. Aucun autre membre de la famille de Josef Burg ne survécut. Lui-même s’enfuit en Union soviétique, où il vécut pendant près de 20 ans.

« Burg fut une figure très inhabituelle car il incarnait plusieurs cultures », selon Gennady Estraikh, professeur d’études yiddish à l’université de New York. « Sa première langue, bien sûr, était le yiddish, mais il connaissait aussi l’hébreu, et son allemand était excellent. Puis il vécut pendant des décennies dans un environnement russophone et ukrainien. Il a combiné toutes ces influences dans son oeuvre. »

Auteur de plus d’une douzaine de livres et de nombreuses nouvelles publiées dans des périodiques, Burg décrit la vie quotidienne de ses voisins – leurs vertus, leurs faiblesses, leur travail parfois dangereux – souvent avec une douce ironie et une touche poétique.

L’un de ses premiers livres, « Sur la rivière Tsheremosh », (אױפֿן טשערמוש), raconte l’histoire des bûcherons et des convoyeurs de trains de bois sur la rivière en aval des Carpates orientales; c’était le métier de son père. Burg a souvent écrit sur la vie dans les montagnes, sur les Juifs et les non-Juifs.

Josef Burg naquit le 30 mai 1912 à Vizhniza, une ville près de Czernovitz. La famille déménagea dans la ville quand Josef eut 12 ans. Il fut éduqué dans des écoles juives et ensuite dans une faculté d’enseignants. Sa première histoire fut publiée dans le journal yiddish « Tshernovitser Bleter ».

En 1935, Burg se rendit à Vienne pour étudier l’allemand, tout en continuant à écrire. Ce séjour prit fin en 1938, lorsque l’Autriche fut annexée à l’Allemagne et Burg s’enfuit à Czernowitz. Deux ans plus tard, Staline ordonna à l’armée rouge d’occuper la région de Bucovine. Quand l’armée allemande l’envahit en 1941, Burg s’enfuit de nouveau, dans les montagnes de l’Oural de l’Union Soviétique.

Le père de Burg était mort avant l’arrivée des Allemands. Son frère avait été tué dans la guerre civile espagnole.

« Ma mère a été assassinée par les Allemands, enterrée vivante », raconta-t-il en 1992. « Je pensais que les pierres pleureraient sous mes pieds quand j’y suis retourné. »

Mobilisé dans l’armée rouge, Burg passa les années de guerre aux travaux forcés, car, en tant qu’intellectuel juif, on considéra qu’il posait un risque de sécurité trop grand pour rester dans l’armée. Après la guerre, il resta en Russie, travaillant principalement comme enseignant. En 1959, il revint à Chernovitsi, où il fit revivre le Tshernovitser Bleter, le journal qui avait publié ses premières nouvelles. Un recueil d’histoires sur ses années dans l’Oural, « La vie continue » (דאָס לעבן גײט װײַטער), fut publié à Moscou en 1980. C’est malheureusement la seule de ses oeuvres accessible sur le site du Yiddish Book center.

Burg ne s’attendait pas à voir un jour ses premiers livres à nouveau édités. Mais en 1989, une lettre d’un étudiant diplômé de Vienne lui arriva, qui lui demandait la permission de traduire ses premiers romans yiddish en allemand. Le chercheur avait trouvé des exemplaires uniques de ses œuvres dans les archives nationales autrichiennes. Ils furent publiés à nouveau et devinrent un phénomène d’édition.

« Il gagnait très peu d’argent, et tout à coup le monde littéraire allemand le découvrit dans les années 1990 et beaucoup de ses œuvres furent traduites en allemand », a raconté Itzik Gottesman. « Il devint une star littéraire en Allemagne et en Autriche. »

Burg publia plusieurs nouveaux livres dans ses dernières années. Dans « Errances mal guidées: une vie juive orientale », il décrit sa désillusion face à la vie en Union soviétique. Son dernier livre, « Un morceau de pain sec », raconte l’histoire d’un survivant du massacre de Babi Yar, près de Kiev, où plus de 33 000 Juifs furent assassinés en 1941.

Israël a décerné à Josef Burg le prix Segal pour des écrits en yiddish en 1992. En mai, il reçut le prix Theodor Kramer en l’Autriche. Une rue de Vizhniza, son lieu de naissance, porte son nom.

Interrogé, en 1992, sur les raisons pour lesquelles il était retourné encore et encore dans sa patrie, il avait déclaré: « J’adore la Bucovine, le bruissement de ses bois, la rivière qui me chanta ma berceuse. Je ne peux pas être un autre que moi-même. « 

Josef Burg est mort le 10 août 2009 à Tchernivtsi, à l’âge de 97 ans.