Ephéméride | Alter Kacyzne [ 7 Juillet ]

7 juillet 1941

Assassinat au cours d’un pogrom ukrainien à Ternopil, d’Alter Kacyzne, écrivain yiddish et critique qui immortalisa dans ses photographies la vie juive en Pologne d’entre les deux guerres.

Né à Vilna, le 31 mai 1885, dans une famille ouvrière, Alter-Sholem Kacyzne fréquente le heder et une école primaire juive de langue russe. À 14 ans, après la mort de son père, il arrête ses études formelles. Kacyzne est donc autodidacte et reste un lecteur avide non seulement de littérature en russe, yiddish et hébreu, mais aussi d’œuvres polonaises, allemandes et françaises. Pendant près de 11 ans, il vit à Ekaterinoslav, où il apprend à être photographe et se marie.

En 1909, il publie pour la première fois deux histoires russes dans le périodique « Evreiski mir » (Monde juif), édité par S. An-ski. En 1910, attiré par l’oeuvre et la réputation de Y. L. Peretz, Kacyzne s’installe à Varsovie, où il ouvre un studio de photographie. Il devient très proche de Peretz, qui devient son mentor littéraire, mais ne commence à publier en yiddish qu’après la mort de Peretz en 1915.
Les premiers textes yiddish de Kacyzne paraissent dans des recueils à Vilna et à Kiev. En 1919 et 1920, ses deux premiers livres sont publiés à Varsovie, les poèmes dramatiques « Der gayst der meylekh » (L’Esprit, le roi) et « Prometeus » (Prométhée).
Il est aussi un contributeur régulier (et parfois cofondateur et coéditeur) d’une série de périodiques littéraires, pour la plupart éphémères, à Varsovie et à Vilna, où il publie des nouvelles et des récits qui, en 1922, sont réunis dans un livre sous le titre « Arabeskn » ( Arabesques).

Kacyzne entretient une étroite amitié intellectuelle avec An-ski. Après la mort de ce dernier en 1920, il édite et complète la pièce inachevée d’An-ski, « Tog un nakht » (Jour et nuit), un projet qui le pousse à continuer d’écrire pour le théâtre. Sa pièce « Dukus » (Duc), produite à Varsovie en 1925, connait un grand succès dans toute la Pologne, en Roumanie et jusqu’en Argentine. Elle est publiée en livre en 1926, tout comme « Hurdus » (Herode) la même année.
Kacyzne écrit également pour les « Literarishe Bleter » de Varsovie, et en est, un temps, co-rédacteur. Là et dans d’autres périodiques, il publie régulièrement des poèmes, des ballades, des pièces de théâtre et des articles sur la littérature, l’art et les sujets sociaux.

La carrière de photographe de Kacyzne atteint un tournant en 1921 lorsque l’organisation américaine HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society) lui passe une commande pour illustrer la misère des Juifs polonais qui espèrent immigrer aux États-Unis, à un moment où les Etats-Unis se ferment à l’immigration.
Peu de temps après, à l’invitation de son rédacteur en chef Abraham Cahan, il commence à envoyer régulièrement des photographies au « Forverts » de New York, qui les publie dans son supplément culturel du dimanche.
Pour le « Forverts », Kacyzne parcourt avec son appareil-photo toute la Pologne, et aussi la Palestine, la Roumanie, l’Italie, l’Espagne et le Maroc. La photographie devint pour lui un deuxième domaine de création artistique et soutient son travail littéraire, tant sur le plan économique que thématique.

À la fin des années 1920, Kacyzne compose son grand roman en deux volumes, « Shtarke un shvakhe » (Les forts et les faibles, 1929-1930). De 1934 à 1935, il est rédacteur en chef de l’éphémère quotidien pro-communiste, « Der fraynd » (L’ami).
En 1936, il publie le volume « Baladn un groteskn » (Ballades et grotesques). Plus tard, il écrit trois pièces: « Dem yidns opere » (L’opéra juif), Ester (Esther) et Shvartsbard (à propos de Sholem Schwartzbard, qui a assassiné le nationaliste ukrainien Symon Petliura en 1926).
La première n’a pas été publiée de son vivant. Les deux autres sont publiées entre 1937 et 1939 sous forme de feuilletons dans le périodique « Mayn redndiker film » (Mon film parlant), que Kacyzne publie sur ses propres ressources (et remplit de ses propres créations, mémoires et autres articles). Il traduit également du russe en yiddish écrit le scénario du film Der dibek (Le Dybouk, 1937) basé sur la pièce d’An-ski.

Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Kacyzne quitte Varsovie avec sa femme et sa fille unique et trouve refuge dans la ville de Lwów, occupée par les Soviétiques, où il participe à des programmes de théâtre et de radio contrôlés par l’Etat. Fuyant devant l’avance allemande, il arriva à Tarnopol et est tué le 7 juillet 1941, avec des milliers d’autres Juifs, par des supplétifs ukrainiens pro-nazis.

Alter Kacyzne se considérait lui-même et était considéré par d’autres comme le premier élève de Peretz. On peut identifier un certain nombre de motifs et de thèmes qui témoignent de l’influence de Peretz. Kacyzne était proche de son maître, surtout par son tempérament curieux qui l’amenait constamment à expérimenter de nouvelles formes et de nouveaux genres, et le sens de sa responsabilité sociale le poussait non seulement à écrire mais aussi à poursuivre un programme en faveur de la littérature Yiddish.

Les premiers poèmes dramatiques de Kacyzne sont avant tout de grandes réalisations esthétiques: «Les thèmes ne sont pas tant originaux que magistralement exécutés» (Bal-Makhshoves). Ses « Arabeskn » présentent une grande variété d’expériences avec des formes de prose modernistes; L’histoire principale du cycle « Kranke Perl » (Perles malades), inspirée par le Cantique des Cantiques, est un modèle de modernisation littéraire d’un thème biblique.

La pièce « Dukus » est basée sur la légende du comte Walentyn Potocki, connu sous le nom de « Ger Tsedek » de Vilna, qui se serait converti au judaïsme et aurait payé de sa vie sa fidélité à la foi juive.
« Dem yidns opere » est basé sur l’histoire du converti et comédien portugais António José da Silva. Bien que les deux œuvres traitent techniquement du martyre, elles n’éclairent pas tant la confrontation extérieure entre Juifs et non-Juifs que la lutte totalement intérieure entre des éléments juifs et non juifs au sein d’une personne juive. Ainsi, bien qu’ils soient vêtus comme des victimes de l’Inquisition, les personnages de ce dernier ouvrage deviennent des incarnations spirituelles du Juif moderne. Dans « Shvartsbard » et « Ester » (à propos d’une jeune révolutionnaire juive), les personnages juifs sont placés dans des contextes historiques authentiques, déchirés entre des idéaux nationaux ou sociaux et la recherche du bonheur personnel.

Le roman « Shtarke un shvakhe » présente une fresque géante de la vie juive à Varsovie et en Pologne à l’époque de la Première Guerre mondiale. L’une des figures centrales est Berl Podlaski, un propriétaire terrien juif aux idées révolutionnaires. Son portrait s’inspire de la personnalité de l’ami proche de Kacyzne, le mécène et éditeur de Vilna, Boris Kletskin. Le roman parvient à dépeindre les milieux juifs de l’époque: les associations de travailleurs, les cercles artistiques, le monde des écrivains et des journalistes, et les Juifs de tous les jours. L’intrigue est riche en épisodes fantastiques, intrigues et rebondissements inattendus. On y reconnaît un remaniement artistique d’éléments du roman « Shund » (littérature bas-de-game).
« Baladn un groteskn » se distingue par sa fidélité envers les sources populaires bien-aimées de Peretz et par une domination magistrale des idiomes et de la rime.

Les archives monumentales d’Alter Kacyzne à Varsovie ont apparemment été entièrement détruites pendant la Shoah. Cependant, environ 700 photographies ont été envoyées à New York et sont actuellement conservées au YIVO. Elles combinent la distance disciplinée de l’anthropologue et la nature aimante de l’artiste. Ces images sont des documents de première classe sur la communauté juive polonaise des années 1920. Ils ont souvent été reproduits dans des livres, sur des pochettes de CD et sous forme de cartes postales. « Poyln: Jewish Life in the Old Country » (1999) inclut une grande sélection de ses photos.
En traduction française, on peut trouver « Contes d’hiver et d’autres saisons » (Liana Levi, 2000)

(Source: YIVO)