16 juillet 1924
Naissance dans le Bronx de Bess Myerson, l’unique « Miss America » juive de l’histoire. Sa beauté n’était pas sa seule qualité.
La signification de sa victoire transcendait les normes de beauté superficielles. Elle marqua un moment révolutionnaire dans la façon dont l’Amérique voyait les Juifs, en particulier les femmes juives. Le fait qu’aucune Juive américaine n’ait obtenu le trophée depuis 1945 pose question.
Il n’est pas vraiment possible pour un jeune américain d’aujourd’hui, ou peut-être même pour ses parents, de comprendre pleinement la signification de la victoire de Bess Myerson en 1945. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la visibilité des soldats juifs combinée à la révélation des horreurs de l’extermination des Juifs par les nazis allaient réduire considérablement l’antisémitisme en Amérique.
Mais les années 1930 et 1940 furent encore des temps hostiles. Charles « Father » Coughlin, un antisémite délirant, était l’un des animateurs de radio les plus populaires du pays. La plupart des meilleures universités avaient un système de quota fortement restrictif pour les candidats juifs, pour ne rien dire des restrictions formelles de l’immigration en Amérique. Les États-Unis étaient si déterminés à empêcher l’immigration des Juifs qu’ils avaient refusé l’accostage du Saint-Louis, un navire qui transportait des réfugiés juifs d’Europe de l’Est fuyant le règne hitlérien, en 1939, pour respecter les quotas fixés par la loi de 1924 sur l’immigration.
Mais ce qui affectait peut-être davantage les gens au quotidien, c’était les stéréotypes antisémites omniprésents selon lesquels les Juifs étaient des petits bonshommes médiocres et laids, faibles, avec un grand nez et une peau basanée.
Puis vint Bess Myerson, une fille d’immigrants juifs de Russie qui avait grandi dans un immeuble de la coopérative « Sholem Aleichem » dans le Bronx, un complexe créé par le Bund pour sauvegarder un foyer de vie « yiddish » en Amérique. Il est difficile de dire s’il y avait quelque chose de typiquement juif dans son apparence. Elle avait bien les cheveux et les traits foncés, mais ce n’était pas les cheveux crépus des filles juives du stéréotype. Elle était délicate. Elle était grande et mince. Elle était sans aucun doute séduisante.
Entre son attrait physique et son talent musical (elle jouait «Summertime» de George Gershwin à la flûte), elle avait séduit le jury de Miss Amerique. En fait, elle se saisit de la couronne convoitée, malgré la demande pressante des organisateurs qui la suppliaient de changer son nom en Beth Merrick, moins manifestement juif. Trois des cinq principaux sponsors du concours se retirèrent pendant son règne. Elle s’allia alors à « l’Anti-Defamation League » dans une campagne intitulée « On ne peut pas être belle et détester ».
Bess Myerson renversa de manière frappante tous les stéréotypes négatifs sur la femme juive en étant désignée « le modèle américain de féminité – et pourtant elle était sans aucun doute juive. Elle fut également une des Miss Amérique les plus populaires, en poursuivant une brillante carrière d’animatrice et de participante aux jeux télévisés des années 1950 avant de se tourner vers la politique (et les scandales). Sa renommée ultérieure, cependant, ne fait qu’accentuer la question: pourquoi n’y a-t-il pas eu d’autre Miss Amérique juive depuis 1945?
Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Une première explication peut être simplement statistique. Les Juifs représentent entre 1,8 à 2,2% de la population adulte des États-Unis. Selon les lois de la probabilité il ne devrait pas y avoir de Miss Amérique juive plus d’une fois tous les 50 ans en moyenne. L’absence d’élue juive depuis sept décennies pourrait n’être qu’un hasard statistique.
Ensuite, il y a le concours de Miss Amerique lui-même, qui n’a pas désigné une grande diversité de gagnantes. La première concurrente afro-américaine n’apparut qu’en 1970, et il n’y eut pas de Miss Amérique noire avant 1984 et la victoire fameuse de Vanessa Williams.
Elle comprise, il y eut huit gagnantes afro-américaines au cours des 30 dernières années, ainsi que la première gagnante d’origine asiatique en 2001 et le deuxième gagnante d’origine indienne américaine en 2014.
Petit à petit, semble-t-il, le concours de Miss Amérique évolue et d’embrasse la diversité ethnique et de couleur (en termes de diversité corporelle, il faut toujours être assez conventionnellement mince et sexy).
Alors, pourquoi pas une seule Juive dans le mix plus diversifié des dernières Miss Amérique?
On hésite à sauter à pieds joints sur l’explication trop sommaire par l’antisémitisme. En même temps, on aurait tort de ne pas examiner si les stéréotypes physiques négatifs associés aux Juifs, et en particulier aux femmes juives, et de ne pas se demander si cela n’a pas joué un rôle.
Les jurys de Miss Amérique ont pu être quelque peu flexibles sur la couleur des cheveux et le teint de la peau, mais avoir un grand nez juif crochu et distinctement stéréotypé ne correspondait certainement pas à l’idéal de la beauté féminine, surtout dans les années 1940. Tandis que les femmes italiennes ou grecques devait souvent lutter aussi contre cette norme de séduction, les nez disgracieux étaient quelque chose de très associé aux Juifs – et quelque chose que les femmes juives en particulier avaient du mal à accepter. Dans « Tablet Magazine », Rita Rubin a caractérisé la rhinoplastie comme un « rite de passage spécial » pour les femmes juives – celles qui pouvaient se la permettre – pendant des décennies.
Même si elle resta inébranlable dans son engagement à s’identifier comme juive, Bess Myerson avait un physique qui pouvait correspondre aux critères dominants en Amérique dans les années 1940. De plus, elle était grande et mince, ce qui renforçait encore sa conformité aux canons de la beauté. « Son type de corps a joué un rôle », admet Rachel Greenblatt, conférencière en études juives à l’Université Harvard.
Pourtant, Greenblatt est peu encline à penser que les normes de beauté sont la principale explication de la raison pour laquelle il n’y a pas eu de Miss américaine juive depuis Bess Myerson. En fait, les raisons ont probablement changé au cours du temps. « Il y a une différence entre pourquoi il n’y en avait pas en 1955 et pourquoi il n’y en a pas eu une dans les années 1980 », estime Greenblatt.
Elle ajouté que cela aurait pu être un désastre en termes de relations publiques dans les années 1950 si Miss Amérique, avait été, par exemple, exclue d’un hôtel (une réglementation antisémite assez commune au cours de cette décennie) pendant sa tournée pour le concours. On ne sait pas si les organisateurs de Miss Amérique étaient ravis que Bess Myerson ait elle-même attaqué l’antisémitisme de front et soit devenue une avocate de l’ADL.
Cependant, ces mêmes préoccupations liées à antisémitisme ne peuvent certainement pas expliquer l’absence de Miss Amérique juive plusieurs décennies plus tard, que alors plusieurs femmes juives sont considérées comme des sex-symboles, comme Mila Kunis, Natalie Portman et Rashida Jones. Beaucoup de femmes juives sont considérées comme sexy selon les critères conventionnels.
Le mouvement vers la diversité raciale et culturelle vers lequel s’oriente le concours de Miss Amérique peut être une meilleure explication de l’absence d’élue juive au cours des dernières années. « La diversité entre dans la conscience des gens, comme préoccupation commerciale, dans les années 2000, et les Juifs ne sont plus la « diversité ». Ils sont juste « blancs », selon Greenblatt. « Pour montrer la diversité, il faut quelque chose de plus « exotique ». »
Il y a peut-être une autre explication plus évidente de l’absence de Miss Amérique juives, à savoir que les femmes juives ne cherchent tout simplement plus autant à concourir.
Un aspect assez commun de la culture américano-juive est de mettre l’accent sur l’éducation, les études et le professionnalisme. Même les femmes juives « sexy » mentionnées plus haut ont fait quelque chose de plus « intellectuel » que défiler: jouer la comédie.
Loren Galler Rabinowitz, la femme juive la plus proche de gagner le titre de Miss Amérique, s’est déclarée « tout à fait d’accord » que participer à un concours de beauté ne correspondait pas à l’accent traditionnel judéo-américain sur l’éducation et les activités intellectuelles.
Rabinowitz, qui fut élue Miss Massachusetts et participa au concours de Miss Amérique en 2011, dit que sa propre famille et sa communauté furent surprises lorsqu’elle décida de concourir (une décision qui, comme celle de Bess Myerson, était motivée par le désir de financer ses études).
« Je ne suis pas si sûr que ça ait changé depuis Bess Myerson. Si vous lisez les réactions, elle fut qualifiée de « Beauté et cerveau ». L’idée qu’on peut être intelligent et participer à un concours de beauté était nouvelle alors, et c’est encore nouveau aujourd’hui », selon Rabinowitz. « Tout comme les préjugés auxquels les Juifs ont été confrontés, les concurrentes ont été confrontées à l’idée qu’il s’agissait simplement d’avoir un joli visage. »
Bess Myerson elle-même semble avoir accepté cette stigmatisation, exprimant des vues mitigées à négatives sur le concours. Lorsqu’on lui a demandé, en 1980 si elle le referait, elle souligna qu’elle avait participé au concours pour économiser de l’argent afin de poursuivre ses études musicales.
« Avoir un grand désir d’être pianiste de concert et ne pas avoir l’argent pour acheter un grand piano Steinway noir? Je le referais sûrement », déclara-t-elle. En 1995, elle mit un point d’honneur à ne pas assister au 75e anniversaire du concours de Miss Amérique.
Lorsqu’on lui demanda si elle aurait laissé sa propre fille participer à la compétition, sa réponse fut catégorique: « Non! J’ai l’argent pour lui acheter un piano. » Comme la plupart des mères juives, Bess Myerson pensait que sa fille pouvait faire mieux.
Bess Myerson s’est éteinte à Santa Monica, le 14 décembre 2014, à l’âge de 90 ans.
(Source: Emily Shire in « Daily Beast »)
