Ephéméride | Boris Tomashefsky [ 9 Juillet ]

9 juillet 1939

Disparition à New-York de Boris Tomashefsky, l’homme qui introduisit le théâtre yiddish en Amérique.

En 1881, Boris Thomashefsky, âgé de 12 ans, arriva à New York venant d’Osiniatshke, un village situé près de Kiev, en Ukraine.
Possédant une belle voix, le jeune Boris gagnait de l’argent le samedi en chantant à la Henry Street Synagogue, dans le Lower East Side. Au cours de la semaine, il travaillait à la fabrication de cigarettes dans un « sweatshop », où il entendait ses collègues chanter des chansons du théâtre yiddish qu’ils avaient apprécié dans l’ancien pays. Bien que Boris n’y ait jamais assisté, il tomba amoureux du concept de théâtre yiddish et voulut l’amener en Amérique.

Un des collègues de Thomashefsky, un Roumain nommé Golubok, avait deux frères dans le théâtre en Europe qui souhaitaient venir en Amérique. Thomashefsky persuada Frank Wolf, qui possédait une taverne à l’angle des rues Hester et Essex, d’investir dans le prix du voyage pour les amener à New York. Les frères arrivèrent de Londres avec quatre autres acteurs. Wolf loua une salle sur la quatrième rue à Manhattan et annonça la représentation d’une pièce, Koldunye (la Sorcière) du dramaturge Avrom Goldfaden, .

Selon le petit-fils de Thomashefsky, le chef d’orchestre Michael Tilson Thomas, la représentation fut un succès populaire, mais seulement après avoir surmonté les obstacles. Ainsi que le raconte Thomas, «Beaucoup de membres de la communauté juive allemande installée ne voulaient pas que la pièce soit jouée, persuadés que le théâtre yiddish manquait de respectabilité.
Selon Thomas, ces Juifs des «beaux-quartiers» essayèrent d’acheter les billets invendus et de soudoyer ceux qui détenaient déjà des billets pour qu’ils n’y assistent pas en leur offrant de la bière en échange.
Ils soudoyèrent même la vedette féminine roumaine pour qu’elle annonce un mal de gorge à la dernière minute. Le stratagème se retourna contre eux. « Boris – rembourré aux bons endroits par son père Pinchas – pris sa place et donna la première représentation de théâtre yiddish en Amérique. »
La carrière de Thomashefsky était lancée.

Alors qu’il n’avait que 13 ans, mais déjà auréolé de succès, Thomashefsky persuada Wolf de le laisser faire office de producteur et directeur de la compagnie, qui parcourut les États-Unis en présentant un large répertoire de pièces yiddish, rencontrant un public enthousiaste d’immigrants juifs de la classe ouvrière partout où elle se produisait. Thomashefsky préféraient les oeuvres de Goldfaden comme « Shmendrick » et le Fanatic, ou les Deux Kuni-Lemls (idiots), qui mettaient en scène un personnage, « Shmendrick, » dont le nom est entré dans le lexique américain comme synonyme d’empoté.

En 1887, la compagnie de Thomashefsky joua à Baltimore, où Bessie Baumfeld-Kaufman, âgée de 14 ans, avait obtenu un billet pour une représentation. La jeune Bessie fut enthousiasmée par la performance de la vedette féminine. « Sa coiffure étaient couverte de boucles, » se souvint Bessie, « et elle avait tous ces bijoux étincelants … Elle était au centre de l’attention, flirtait et tous les hommes la regardaient. » Bessie se faufila dans les coulisses pour rencontrer cette « sheyne meydele », qui s’avéra ne pas être une « meydele » du tout, mais Boris Thomashefsky. Peu de temps après, Bessie s’enfuit de chez elle pour rejoindre la compagnie et, en 1891, épousa Boris. Bessie reprit les rôles féminins que Boris avait joué. Elle prétendait avoir appris tout ce qu’elle savait de la coquetterie en regardant Boris.

Entre 1890 et 1940, pas moins d’une douzaine de compagnies théâtrales yiddish se produisaient dans le Lower East Side, dans le Bronx et à Brooklyn. Deux cents autres environ parcouraient les villes et les bourgades.
En présentant des pièces sur des thèmes comme les conflits générationnels entre les immigrés de l’ancien monde et leurs enfants nés en Amérique ou les tensions entre Juifs hassidiques et Juifs «éclairés» en Europe et en Amérique, le théâtre aida les immigrés de langue yiddish à mettre les contradictions dans leurs propres vies en perspective.
En adaptant des œuvres comme « le Roi Lear » de Shakespeare ou « Hedda Gabler » d’Henrik Ibsen en leur donnant des fins « heimish », le théâtre aida les Juifs de la classe ouvrière à participer à la « grande culture », tout en préservant les valeurs juives traditionnelles.
Comme le fit observer l’historien Andrea, alors que le mélodrame était la forme préférée de théâtre yiddish, le public assistait respectueusement à ces pièces «culturelles» tant que leur acteur préféré jouait dans le rôle-titre et que quelques numéros de chansons et de danses parsemaient l’intrigue sérieuse. »

Alors que les Thomashefsky n’étaient pas les seuls impresarios importants de théâtre yiddish, ils étaient les plus célèbres. Ils portèrent une grande variété de productions à la scène: versions juives de la « Case de l’oncle Tom », « Faust » de Goethe et même « Parsifal » de Wagner (c’était avant la montée du nazisme).
Boris joua dans une adaptation du « Hamlet » de Shakespeare appelé « Der Yeshiva Bokher » (l’étudiant de Yeshiva), dans laquelle un méchant oncle détruisait la réputation du candidat au rabbinat en l dee traitant nihiliste et le jeune homme mourait le coeur brisé. Bessie Thomashefsky connut un vif succès dans le rôle de la « Salomé » d’Oscar Wilde.

Le théâtre yiddish aida à faire le lien entre le shtetl et l’Amérique. Dans une pièce remarquable, « Khantzhe (Hannah) en Amérique », Bessie Thomashefsky jouait le rôle d’Hannah, une immigrante désireuse de s’assimiler et n’aspirait à rien d’autre que de devenir chauffeure. Bien que cela semblait une aspiration étrange pour une femme juive, Hannah faisait valoir, « A quoi sert-il d’être en Amérique si on ne pouvait pas conduire une voiture? »

En 1922, Moshe Leib-Halpern raconta une fable qui résumait le rôle du théâtre yiddish américain:

« Il était une fois un rustre qui se rendait à la synagogue … quand il voulait pleurer, et dans une maison de débauche … quand il voulait s’amuser Mais un jour qu’il voulut pleurer et s’amuser en même temps, il créa un théâtre … qui combinait en une, la synagogue et la maison de débauche. »

Source: Jewish Virtual Library