4 août 1941
Le général Wladislaw Anders est nommé commandant en chef des forces polonaises de l’Est. Les Juifs polonais réfugiés en URSS y afflueront en masse malgré les obstacles dressés par l’antisémitisme de l’encadrement.
Le rassemblement des forces armées polonaises en Union soviétique, connue sous le nom de « Armée d’Anders », débuta au cours de la seconde moitié de 1941.
Jusqu’à la fin de juillet 1941, le gouvernement polonais en exil à Londres n’entretenait pas de relations diplomatiques avec l’Union soviétique. Il la considérait comme un envahisseur qui avait conspiré avec l’Allemagne nazie pour s’emparer des parties orientales de la Pologne lors de l’invasion de 1939. Même la volte-face dramatique à la suite de l’attaque de Hitler contre l’Union soviétique le 22 juillet 1941 n’amena pas un dégel immédiat dans les relations polono-soviétiques.
Le Premier ministre polonais en exil, Wladyslaw Sikorski, maintenait que la Pologne devait chercher des voies de
consultation avec l’Union soviétique et qu’elle devait rejoindre le nouvel alignement des forces découlant de l’entrée de l’Union soviétique dans le camp anti-nazi.
Les Polonais insistaient toutefois sur le fait que tout accord avec l’Union soviétique était conditionné par un engagement soviétique sans équivoque que l’État polonais serait reconstitué après la guerre dans ses anciennes frontières – que l’Union soviétique devait annuler son annexion de la Biélorussie occidentale, de l’Ukraine occidentale et du district de Vilna.
Les Soviétiques refusèrent de prendre un tel engagement. Les délibérations tendues et épuisantes sur la question entraînèrent une scission entre les Polonais. Cependant, une majorité du gouvernement polonais en exil était encline à accepter une formule de compromis différant le tracé de la carte à une date ultérieure.
Une considération primordiale pour Sikorski dans la recherche d’un accord était l’espoir d’établir en Union soviétique un contingent polonais qui serait subordonné au gouvernement polonais en exil à Londres. Les forces que les Polonais avaient réussi à rassembler à l’Ouest après
la débâcle de septembre 1939 avait été presque complètement anéanties dans la campagne de France. Les Polonais accordaient beaucoup d’importance à ce qu’une force polonaise prenne place aux côtés des forces alliées dans la lutte contre Hitler.
À la suite de la débâcle, des masses de citoyens polonais se retrouvèrent à l’intérieur de l’Union soviétique, certains comme prisonniers de guerre, d’autres comme réfugiés qui avaient fui devant les Allemands et d’autres encore comme exilés déportés par les autorités soviétiques. On estime que leur nombre atteignait un million à un million et demi de personnes. Une grande partie d’entre elles, peut-être même la majorité, fut internée dans des camps de prisonniers, soumis aux traitements dégradants, à la dureté des conditions et aux intempéries.
Dans un protocole annexé à l’accord général, le gouvernement soviétique s’engageait, dès le rétablissement des relations diplomatiques, à « accorder l’amnistie à tous les citoyens polonais actuellement privés de leur liberté sur le territoire de l’URSS en tant que prisonniers de guerre ou pour d’autres motifs. »
On estime que le nombre de Juifs parmi les exilés polonais en URSS atteignait environ 400 000 environ un tiers du nombre total. Leur proportion parmi les réfugiés était donc plus que le triple de leur proportion dans la population de l’Etat polonais indépendant dans les années d’entre les deux guerres. Beaucoup de ses réfugiés juifs furent exilés et emprisonnés dans des conditions cruelles dans les prisons et camps de travail soviétiques.
En vertu de l’accord conclu entre la Pologne et l’Union soviétique et de l’accord militaire subséquent, des masses de citoyens polonais torturés, frêles et infirmes, parmi lesquels des Juifs, furent libérés des prisons et des camps. Le recrutement d’unités militaires polonaises et leur participation à la lutte armée devenait possible.
Dès le début du recrutement, des milliers de Juifs, prisonniers libérés et réfugiés affluèrent vers les centres de recrutement. Pour la majorité, la mobilisation signifiait une
garantie pour l’existence quotidienne et un sentiment relatif de stabilité. Des directives officielles définissaient les critères de préférence et d’éligibilité au service dans les forces armées polonaises en Union soviétique.
Les premières unités constituées comportaient un très grand nombre de juifs. Selon le général Anders, les Juifs constituaient parfois soixante pour cent de l’effectif, et selon l’ambassadeur du gouvernement polonais, Kot, quarante pour cent.
L’afflux des Juifs dans les rangs des forces armées polonaises suscita la suspicion et la consternation. Dans les
sources polonaises, s’exprime le soupçon que les Russes libéraient intentionnellement les Juifs des camps – avant tous les autres afin d’inonder les Forces armées polonaises avec « l’élément juif ».
Une autre grief constamment exprimé par les Polonais concerne le « contentieux national » qu’ils avaient avec les juifs. Anders lui-même commençait chaque réunion avec des représentants juifs, par le « rappel » que les Polonais portaient aux Juifs un reproche sévère pour leur comportement déloyal pendant l’occupation [soviétique] et l’internement dans les prisons et les camps.
Dans son livre, « Une armée en exil », Anders commence le chapitre sur « Les Juifs dans les forces armées » en ces termes: « Je fus grandement perturbé lorsque, au début, un grand nombre parmi les minorités nationales, et avant tout les Juifs, commencèrent à affluer pour s’enrôler. Comme je l’ai déjà mentionné, certains Juifs avaient chaleureusement accueilli les armées soviétiques qui envahirent la Pologne en 1939 … » Dans des documents non destinés à la publication, le style du général Anders est beaucoup plus sévère.
Kot, aussi, écrit dans son rapport au ministre des Affaires étrangères à Londres, que « Les Polonais se sentent très amers envers les Juifs pour leur comportement pendant l’occupation soviétique – l’accueil enthousiaste de l’armée rouge, les insultes qu’ils adressaient aux officiers et hommes de troupe polonais arrêtés par les soviétiques, offrant leurs services aux Soviets, renseignant sur les Polonais, et
d’autres actes du même genre. »
Cette comptabilité unilatérale, énumérant seulement les blessures faites aux Polonais, blessures pour lesquelles les Juifs étaient collectivement blâmés – et faisant un silence total sur l’antisémitisme et les politiques anti-juives de la Pologne entre les guerres, en particulier la violence et la persécution organisée de la fin des années trente n’était que le premier d’une série de griefs invoqués pour « justifier » la discrimination à l’encontre des Juifs servant dans les forces armées polonaises en Union soviétique.
Un autre grief récurrent dans les sources polonaises est que les Juifs, en général, sont physiquement inférieurs et ne conviennent pas au service militaire actif.
L’affirmation selon laquelle les Juifs étaient «inaptes au service militaire» avait sans aucun doute beaucoup de
racines plus profondes. Parmi les Polonais, et en particulier parmi les militaires de métier, l’opinion était généralement admise que les Juifs étaient des lâches par nature et n’étaient pas adaptés au service militaire ou utile sur le champ de bataille.
Les témoignages de Juifs qui servirent dans les forces armées du général Anders ou de ceux qui essayèrent de s’y enrôler sont remplis de récits de rejet en raison d’une ascendance juive, et d’njustices grossières faites à
d’autres qui furent autorisés à servir mais qui se virent refuser toute promotion.
L’évacuation totale des forces armées du général Anders de l’Union soviétique fut le résultat des tensions et des soupçons qui accompagnaient toutes les relations entre les Polonais et les autorités soviétiques. L’évacuation fut
également en grande partie un produit des différences d’opinion et des rivalités qui existaient parmi les Polonais eux-mêmes.
L’idée d’évacuer une partie de la force d’Union soviétique fut soulevée pour la première fois par Sikorski lors de sa discussion avec Staline. La réaction de Staline fut sévère, mais finalement il donna son assentiment à l’évacuation de 25000 hommes pour venir en renfort des troupes polonaises à l’ouest. Néanmoins, Sikorski était opposé à l’évacuation de toutes les troupes d’Union soviétique; sa conception de base
était que les soldats polonais devaient prendre part à la bataille pour la libération de la Pologne sur tous les fronts et de toutes les directions. Il considérait le front soviétique de première importance, d’autant plus que le fait que les Polonais aient combattu aux côtés des Soviétiques seraient un atout dans la négociation inévitable sur les frontières à l’est. Les Britanniques, pour leur part, réclamaient une évacuation à grande échelle pour que les forces armées polonaises viennent renforcer leurs propres points faibles.
Les Soviétiques décidèrent finalement de se débarrasser des forces armées polonaises qu’ils considèrent maintenant comme une gêne politique. Ils prévoyaient d’établir une autre armée polonaise à sa place, cette fois sous les auspices des communistes polonais en URSS. Cette armée deviendrait un soutien ferme pour les Soviétiques non seulement en résolvant les problèmes de frontières, mais aussi en assurant le type de régime pour la Pologne future. Anders accepta la proposition sans attendre la confirmation du gouvernement
de Londres.
Au cours des deux étapes de l’évacuation, quelque 114 000 Polonais, soldats et civils quittèrent l’Union soviétique.
L’évacuation s’effectuait en train jusqu’au port de Krasnovodsk sur la mer Caspienne, et de là par bateau vers
Pahlevi en Iran. Ainsi, prirent fin les forces armées polonaises en Union soviétique, établies par et sous les ordres du gouvernement polonais en exil à Londres.
Selon les sources juives, quelque 6 000 Juifs se trouvaient parmi eux. Près d’un millier d’enfants juifs connus sous le nom de Yaldei Teheran (enfants de Téhéran) furent transférés vers un grand camp d’enfants évacués. Au total, les Juifs représentèrent environ cinq pour cent des soldats évacués et environ sept pour cent des civils.
Au cours de la première étape de l’évacuation, quelque 700 civils juifs atteignirent l’Iran. Les autorités polonaises ont affirmé que les Soviétiques s’étaient assurés que personne
à qui la loi soviétique sur la citoyenneté pouvait s’appliquer ne puisse partir, et que l’émigration d’un nombre beaucoup plus grand de Juifs fut ainsi bloquée. Pourtant, il semble que dans au moins un cas le N.K.V.D. qui supervisait les transports, obligea les Polonais à emmener avec eux un groupe de juifs qu’ils refusaient d’enrôler.
Lorsque l’armée Anders quitta l’Union soviétique pour son voyage vers le Moyen-Orient, les familles des soldats et des groupes d’enfants juifs, orphelins de guerre, rejoignirent les soldats juifs. Après leur arrivée à Téhéran, en Iran, les enfants furent transférés entre les mains d’émissaires qui les amenèrent en Palestine.
Lorsque l’armée Anders atteignit la Palestine, sur ses quatre mille soldats juifs, trois mille quittèrent l’armée. Certains désertèrent, tandis que d’autres, dont Menachem Begin, obtinrent la permission de quitter leurs formations. La majorité des soldats juifs qui quittèrent l’armée Anders rejoignirent d’autres unités militaires, notamment l’armée britannique.
L’armée polonaise ne poursuivit pas les déserteurs juifs et on dit qu’Anders facilita effectivement la libération des soldats juifs, y compris Begin, parce qu’il ne les désirait pas particulièrement. Il est de notoriété publique que des Juifs qui ont servi dans des unités militaires polonaises au cours de la Seconde Guerre mondiale ont été victimes de brimades antisémites, y compris de menaces de mort, de la part de leurs compatriotes d’origine polonaise.
Cela conduisit beaucoup à déserter et à se ré-enrôler dans des unités britanniques où ils pouvaient combattre les nazis sans crainte d’être la cible de leurs propres camarades.
Le général Anders lui-même, bien qu’auteur de remarques antisémites, souligna que les mille soldats juifs qui restaient dans sa force combattirent courageusement et non moins bravement que les autres soldats sous son commandement.
Parmi les officiers et soldats juifs de l’armée Anders qui participèrent à la campagne d’Italie, 28 furent tués et 62 blessés. 136 des soldats juifs d’Anders furent décorés, dont 6 Juifs qui reçurent l’Ordre « Virtuti Militari », la plus haute décoration militaire polonaise pour bravoure. En Italie, des soldats juifs et des Polonais ethniques de l’armée Anders combattirent aux côtés de soldats juifs dans des unités britanniques, y compris la brigade juive de la huitième armée britannique.
