19 septembre 1899
Décès à Bagnères-de-Luchon du sénateur Auguste Scheurer-Kestner, le Zola parlementaire de l’affaire Dreyfus.
Le plus prestigieux parlementaire dreyfusard, Auguste Scheurer, était né dans le Haut-Rhin, à Mulhouse, le 11 février 1833.
Fils d’un industriel républicain, il fait ses études de chimiste à Paris où il se lie à Clemenceau et s’oppose au Second Empire. Marié en 1856 à Céline Kestner, fille d’un industriel républicain de Thann, il est condamné à quatre mois de prison en 1862, pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement ». En février 1871, il est élu député du Haut-Rhin et s’oppose à l’annexion de l’Alsace ; démissionnaire de son mandat, il devient député de la Seine en juillet 1871.
Dirigeant, avec Gambetta, le groupe de l’Union républicaine, il est nommé sénateur inamovible le 15 septembre 1875. Vice-président du Sénat en février 1895, il apprend le nom du vrai coupable, le 13 juillet 1897, par Me Leblois, ami du colonel Picquart. Ne pouvant faire état de sa source, il enquête et tente de le faire savoir à Dreyfus par l’intermédiaire de J. Reinach qui va vainement voir le ministre des Colonies Lebon.
Reçu par Félix Faure le 29 octobre 1897, Scheurer-Kestner multiplie ses contacts avec le ministre de la Guerre et fait saisir des lettres où Esterhazy manifeste sa haine de la France. Ne rencontrant « que des politiciens tenant plus à leur portefeuille qu’à la sainte cause de la justice », il convainc Clemenceau et Octave Mirbeau avant de publier, dans « Le Temps », le 14 novembre, sa certitude de l’existence de pièces prouvant l’innocence de Dreyfus et son souhait d’une enquête régulière.
Et puis, subitement, c’est le grand éclat: l’interpellation du 7 décembre 1897 qui devait relancer l’affaire, peu de jours après qu’à la Chambre des Députés, le président du Conseil, Jules Méline, ait prononcé la phrase fameuse : « Il n’y a pas d’affaire Dreyfus ». Alors que le ministre de la Guerre, le général Billot, s’obstine à répéter « mes soldats ne comprendraient pas… », alors que le président du Conseil s’entête à affirmer que « les arrêts de justice sont une vérité légale », indifférent au fait que le Sénat vote un ordre du jour « approuvant la déclaration du gouvernement », Scheurer-Kestner, « dernier représentant de l’Alsace française » proclame : « La justice, elle se fera, Messieurs, car suivant le mot de Gambetta, elle est immanente dans l’histoire et, tôt ou tard, la vérité finit par triompher ».
Déchaînant des haines violentes, il subit l’apparente victoire des antidreyfusards en janvier 1898, avec l’acquittement d’Esterhazy et la perte de sa vice-présidence du Sénat. Tout en n’approuvant pas le ton de Zola dans « J’accuse », il témoigne en sa faveur.
En 1899, atteint d’un cancer, il fait envoyer une lettre au conseil de guerre de Rennes mais meurt à Bagnères-de-Luchon, le 19 septembre, le jour même de la grâce du président Émile Loubet mettant fin au calvaire du capitaine Alfred Dreyfus.
Sa famille garde alors son testament spirituel qui affirme qu’il meurt « dans la foi républicaine (…) dans le culte de la libre pensée ».
Parmi les rares sénateurs qui assistent à ses obsèques, se trouve Armand Fallières qui signera, en 1906, la loi réhabilitant Alfred Dreyfus.
Les « Mémoires d’un sénateur dreyfusard » ont été réédités, en 1988, avec l’aide du Centre national du livre. Dreyfus salua en Scheurer-Kestner, dans ses Carnets, une « belle et noble figure qui mourut à la peine ».
Le 13 juillet 1906, les sénateurs décidèrent que les bustes des présidents Scheurer-Kestner et Trarieux seraient placés dans la galerie précédant leur salle de séances en hommage à leur courage civique.
Si la presse a honoré la mémoire du président Scheurer-Kestner, les activistes de l’Action française, les Camelots du Roi, brisèrent son monument au jardin du Luxembourg ; mais on l’y trouve toujours tandis que son buste demeure exposé à Thann où il fut inhumé.
(Sources: http://www.dreyfus.culture.fr et Jean Jolly, « Dictionnaire des parlementaires français »)
Illustration: buste d’Auguste Scheurer-Kestner au Sénat
