10 septembre 1900
Naissance d’Itzik Feffer, poète yiddish soviétique.
Né à Shpola en Ukraine, Itsik Fefer avait 12 ans lorsqu’il commença à travailler dans une imprimerie. En 1917, il rejoignit le Bund et devint militant syndical. Communiste à partir de 1919, il servit dans l’armée rouge. Il commença à écrire des poèmes en 1918 et, en 1922, il rejoignit « Vidervuks » (Nouvelle croissance) à Kiev, un groupe de jeunes littérateurs yiddish dont le mentor était Dovid Hofshteyn. Cette même année, l’apparition de lson petit recueil « Shpener » (Echardes), l’établit comme une star littéraire montante. Sa poésie fusionnait le romantisme révolutionnaire des poètes de la « Kultur-lige » avec les objectifs de propagande du mouvement ouvrier.
Fefer se fit connaître pour son credo littéraire de « Proste reyd » (un discours simple), un concept qu’il formula en 1922. Au début des années 1920, la poésie, en particulier la poésie avant-gardiste, inondait les pages littéraires des périodiques yiddish soviétiques. Ce phénomène inquiétait les éditeurs et les critiques, qui craignaient que les lecteurs yiddish ne puissent pas, en général, s’identifier à ce style de littérature. Tous les lecteurs yiddish, en revanche, pouvaient comprendre les « proste reyd » de Fefer.
En 1927, Fefer fut l’un des membres fondateurs de la section juive du Syndicat des écrivains prolétariens de toute l’Ukraine et, à partir de 1928, il fut l’un des rédacteurs de la revue « Prolit » (littérature prolétarienne), basée à Kharkov. Il co-rédigea également le journal non prolétarien de Kharkov « Di Royte velt » (Le monde rouge) à partir de 1929.
De 1933 à 1937, il édita le périodique de Kiev « Farmest » (Défi), pubié sous le nom de « Sovetishe literatur » entre 1938 et 1941). « Di royte velt » fut par la suite le seul périodique littéraire yiddish en Ukraine.
Comme Fefer écrivait sur pratiquement toutes les occasions et campagnes d’État, ses livres – parmi lesquels « Geklibene verk » (Œuvres choisies; 1929), « Lider un poemes » (1934), « Vunderland » (Pays des merveilles, 1940) et « Shayn un opshayn ». (Lumière et reflet, 1946), marquent les principaux événements historiques de l’histoire soviétique juive et générale.
Les individus avec leurs traits particuliers et les destins personnelles apparaissent rarement dans ses poèmes. Au lieu de cela, c’est l’esprit romantique de la révolution continue qui traverse son écriture. Il décrit les foules et les régiments, les masses impersonnelles de gens qui, « main dans la main et épaule contre épaule, jambe contre jambe et capote contre capote », se battent pour la révolution. Les victimes de la lutte, elles aussi, restent sans nom et sans visage dans ses poèmes:
« Des païennes mortes en capote,
Yeux gris, blocs de glace,
A leur cou, pas de perles – des colliers de poux »
Fefer publie son cycle poétique « Bliendike mistn » (Ordures en fleur) en 1929, qu’il présente comme un récit de voyage qui l’a ramené à Shpola. Il pense que le shtetl pourrait être revitalisé comme centre de la vie et de la culture juives et pourrait constituer le fondement d’une nouvelle nation juive soviétique. Cependant, son œil poétique ne néglige pas les projets d’industrialisation générale et il est heureux de voir de jeunes hommes et femmes juifs parmi les bâtisseurs romantiques de la société communiste.
Dans les années 1930, Fefer se concentra également sur le projet du Birobidjan. Son livre « Birobidzhaner lider » est publié en 1939. Parallèlement, il écrit de nombreux poèmes lyriques, dont certains sont mis en musique.
La création de l’Union des écrivains soviétiques donna à Fefer une plus grande visibilité comme poète communiste et apparatchik. Dès le début de sa carrière littéraire, il se considéra comme un leader et représentant de la littérature yiddish dans les instances dirigeantes de l’Union des écrivains.
En 1934, à la veille du premier congrès de l’union, Fefer rédigea « Der almanakh fun yidishe sovetishe shrayber ». En guise d’introduction, il ouvrit l’ouvrage avec son poème « Tsvishn himl un ayz » (Entre ciel et glace) qui glorifiait l’expédition désastreuse dans l’Arctique du navire Cheliuskin cette année-là.
Le sujet arctique du poème s’accordait bien avec la thèmatique réaliste socialiste et incluait des personnages romantiques de héros soviétiques, la maîtrise de la nature, le patriotisme, l’optimisme et le leadership de Staline. Staline est le principal décideur qui
« Voit déjà les directions que le monde suivra
Et montre au monde le chemin de sa main ».
La mort ne fait pas partie de la culture bolchevique parce que la cause et l’idée communistes sont immortelles.
Fefer aussi promet que la victime qui a perdu la vie lors de l’expédition ne sera pas oubliée: l’explorateur noyé sera retrouvé; il « étendra, comme une branche d’arbre, sa main osseuse » et « nous épinglerons une médaille à son revers ». Pourtant, le bonheur dans le paradis des martyrs communistes ne peut rivaliser avec la joie de vivre en Union soviétique:
« Nous ne pouvons pas vivre sans joie
Comme [nous ne pouvons pas vivre] sans labeur et sans pain »
sont les vers de conclusion du poème.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Fefer fut un agent de la police secrète au sein du Comité antifasciste juif (CAJ). En 1943, lui et Solomon Mikhoels, président du comité, firent une tournée aux États-Unis, au Canada, au Mexique et en Angleterre, mobilisant avec succès les soutiens en faveur de l’effort de guerre soviétique.
La fierté nationale traverse sa poésie de cette période. Le poème « Ikh bin a Yid » (Je suis un Juif) est l’échantillon le plus connu de ce patriotisme juif soviétique.
Fefer inclut dans sa généalogie juive soviétique des figures telles que Bar Kokhba, le roi Salomon, Baruch Spinoza, Isaak Levitan, Iakov Sverdlov et Lazar Kaganovich.
Dans son poème de 1948 intitulé « A vending tsu Peretsn » (Adresse à Peretz), Fefer décline une généalogie de la littérature yiddish soviétique. Il couronne en Y. L. Peretz le génie de la littérature yiddish, alors que Sholem Aleichem, la figure centrale du canon littéraire yiddish soviétique, n’apparaît que comme faisant partie de l’entourage de Peretz, qui comprend également Ḥayim Naḥman Bialik, Dovid Bergelson et Der Nister.
Comme de nombreux juifs soviétiques, Fefer accueillit avec enthousiasme la création de l’État d’Israël. Il soutenait que le nouvel Etat concernait tout le peuple juif et que l’héroïsme du peuple soviétique contribuait davantage à sa création que le sionisme américain.
A la fin des années 1940, le régime stalinien ne vit plus aucune utilité aux communistes qui chérissaient les espoirs nationaux juifs. Fefer fut arrêté en 1948 avec d’autres membres du CAJ. Il fut exécuté le 12 août 1952.
Alors que les critiques yiddish soviétiques considérait généralement Fefer comme l’incarnation des meilleures qualités d’un poète élevé par le Parti communiste, leurs collègues non communistes, notamment Yankev Glatshteyn, détestaient Fefer et ses poèmes. Sol Liptzin attribue l’ascension de Fefer à trois facteurs: son orthodoxie prolétarienne, sa puissance invective et son talent lyrique.
Dans les années 1990, la publication de documents d’archives porta un coup à la réputation posthume de Fefer: lors de la persécution du CAJ, son témoignage avait été au centre des arguments de l’accusation.
Néanmoins, les poèmes de Fefer continuent d’attirer les auteurs-compositeurs, notamment la célèbre chanteuse et compositrice israélienne Chava Alberstein. “Di krenitse” (Le puit) de Fefer ouvre son album du même nom en 1998; le même album contient son poème « Di elter » (La vieillesse).
(Source: Genadi Estraykh, YIVO)
