20 septembre 1590
Décès au Mans de Robert Garnier, poète et dramaturge français. Sa dernière pièce, « Les Juives », est considérée comme l’acte de naissance de la grande tragédie française.

Percile, « Va pensiero » Nabucco >>
Parue en 1583, la pièce, d’inspiration biblique, met en scène des épisodes du livre des Rois et de Jérémie.
Le roi de Babylone, Nabuchodonosor, a nommé Sédécie roi de Juda.
Mais Sédécie trahit un serment fait à Nabuchodonosor en s’alliant avec le pharaon. Nabuchodonosor se venge en détruisant Jérusalem et le Temple.
Sédécie, sa mère, ses femmes, ses enfants sont faits prisonniers. Les enfants sont égorgés devant leur père qui a ensuite les yeux crevés.
Cette tragédie est religieuse puisqu’elle s’inspire de la Bible et non pas de la mythologie antique. De plus, Garnier veut montrer qu’il faut rester fidèle à son Dieu. En l’offensant, Sédécie cause le malheur de son peuple, et Nabuchodonosor est l’instrument de la vengeance divine.
En voici un extrait qui met en scène le choeur des Juives pleurant l’exil et la captivité.
Pauvres filles de Sion,
Vos liesses sont passées;
La commune affliction
Les a toutes effacées.
Ne luiront plus vos habits
De soie avec l’or tissue;
La perle avec le rubis
N’y sera plus aperçue.
La chaîne qui dévalait
Sur vos gorges ivoirines
Jamais comme elle soulait
N’embellira vos poitrines.
Vos seins, des cèdres pleurants
En mainte larme tombée
Ne seront plus odorants,
Ni des parfums de Sabée,
Et vos visages, déteints
De leur naturel albâtre,
N’auront souci que leurs teints
Soient peinturés de cinabre.
L’or crêpé de vos cheveux,
Qui sur vos tempes se joue,
De mille folâtres noeuds
N’ombragera votre joue.
Nous n’entendrons plus les sons
De la soupireuse lyre,
Qui s’accordait aux chansons,
Que l’amour vous faisait dire,
Quand les cuisantes ardeurs
Du jour étant retirées,
On dansait sous les tiédeurs
Des brunissantes soirées,
Et que ceux-là dont l’amour
Tenait les âmes malades,
Faisaient aux dames la cour
De mille douces aubades,
Contant les affections
De leurs amitiés fidèles
Et les dures passions
Qu’ils souffraient pour l’amour d’elles.
Las ! que tout est bien changé !
Nous n’avons plus que tristesse.
Tout plaisir s’est étrangé
De nous, et toute liesse.
Notre orgueilleuse Cité,
Qui les cités de la terre
Passait en félicité,
N’est plus qu’un monceau de pierre.
Dessous ses murs démolis,
Comme en communs cimetières,
Demeurent ensevelis
La plus grand’part de nos frères;
Et nous, malheureux butin,
Allons soupirer captives,
Bien loin dessous le matin,
Sur l’Euphrate aux creuses rives,
Où confites en tourment,
Toute liberté ravie,
En pleurs et gémissement
Nous finirons nôtre vie.
Deux siècles et demi plus tard, Verdi reprendra le thème dans l’impérissable « Va pensiero » de son opéra « Nabucco ».
