Ephéméride | Samuel Rosenthal [7 Septembre]

7 septembre 1837

Naissance à Suwalki (Pologne) de Samuel Rosenthal, champion d’échecs.

En raison des défis intellectuels subtils qu’il pose, le jeu d’échec est devenu si populaire parmi les Juifs qu’on l’a appelé « le jeu juif ». Selon une source non vérifiée (Beis Hamedrash, cheder 6, maasiyot 3), « tout le monde sait que le roi Salomon a inventé le jeu d’échecs et l’appréciait ». Selon la même source, le roi Salomon était un jour en train de jouer aux échecs avec un de ses généraux, quand son attention fut distraite par un bruit. Profitant de la perturbation, le général déplaça l’une des pièces et gagna la partie. L’histoire se conclue en décrivant comment Shlomo piégea astucieusement le général et le força à avouer son méfait.

Les historiens supposent que les échecs sont originaires du nord-ouest de l’Inde au 6ème siècle. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le poème suivant attribué à Ibn Ezra fait référence à l’une des pièces en tant qu’éléphant:
« Le premier qui entre dans la bataille est le fantassin qui combat sur la grand route, marchant toujours droit devant lui tout en se déplaçant latéralement pour capturer. La reine dirige ses pas comme elle le souhaite dans toutes les directions. Elle soutient l’éléphant ou avance, etc…

Si ce poème est bien de la plume d’Ibn Ezra, alors c’est le plus ancien exposé des règles du jeu d’échecs existant.

La première preuve archéologique du jeu a été trouvée dans la Perse voisine, où les Juifs l’ont probablement rencontré pour la première fois. Vers l’an 1000 de notre ère, les échecs se sont répandus dans toute l’Europe et Rashi le mentionne explicitement dans ses « Kesuvos » (61b) où la Gemara dit qu’une femme assez riche pour ne pas avoir à tenir son ménage peut éviter de devenir folle d’ennui en jouant avec des chiots ou en jouant à « Nardeshir ». Rashi, mort en 1105, traduit cela par « Ash-kuki », un mot qui ressemble au français moderne « échecs ».

A des milliers de kilomètres, le Rambam (né trente ans après le décès de Rashi) mentionne le jeu dans le contexte de personnes invalidées comme témoins en raison de leur habitude de jouer au « kubyah » pour de l’argent (Perush Hamishnayos Shabbos 3: 3). Le Rambam dit que ce terme inclut le jeu de « statranj », ou d’échecs. En persan, Shatranj signifie « six formes », faisant allusion aux six différentes pièces du jeu d’échecs.

Le Rambam (Hilchos Eidus 6: 7) statue que jouer aux échecs pour de l’argent empêche une personne d’être témoin, car elle ne se consacre pas au « yishuv ha’olam ». Pour ce qui est de jouer aux échecs sans argent, les « Knesses Hagedalha » le permettaient, mentionnant que son rebbe et le « Mahari Basan » jouaient aux échecs. La « Chida, Reishis Chochmah » et d’autres interdsaitt de jouer aux échecs comme passe-temps, même sans argent, en raison du « Bitul Torah » (obligation de consacrer tout son temps libre à l’étude).

En raison de ses défis intellectuels, les échecs étaient considérés comme moins frivoles que les autres jeux. Lorsque la ville italienne de Crémone fut menacée par une épidémie de peste en 1711, trois rabbonim de la ville décrétèrent qu’il était interdit à quiconque âgé de plus de dix ans de jouer à des jeux dans la ville et cinq milles alentour à l’exception des échecs. L’interdiction dura six mois entre Sukkoth et Pessakh. En revanche, lorsque Frankfort fut frappée par la peste, les dirigeants interdirent le jeu d’échecs pendant quatorze ans.

Les échecs sont entrés dans les légendes juives. Une légende bien connue concerne le Rav Shimon Hagodol de Mayence, auteur du « Yalkut Shimoni ». Un Shabbat, un non-Juif vint allumer son four et kidnappa son jeune fils, Elchonon. Le garçon grandit et s’éleva dans la hiérarchie de l’Église jusqu’à être élu pape. Désireux de revoir son père, il promulgua des décrets contre les Juifs, sachant que son grand père ferait partie de toute délégation venue protester contre les décrets. Quand le Rav Shimon arriva, le pape lui proposa une partie d’échecs avant de se révéler comme son fils.

Mais l’histoire comporte une variante: « Cependant, beaucoup disent qu’au cours de la partie d’échecs, le Rav Shimon comprit qu’il était juif [en raison de sa maîtrise du jeu]. Beaucoup disent aussi qu’il réalisa que le pape était son fils, car il jouait comme son père le lui avait appris quand il commença à apprendre le jeu. » (L’histoire apparaît pour la première fois dans le « Maaseh Buch » imprimé à Bâle en 1672.)

Les échecs apparaissent également dans la tradition hassidique. On raconte que lorsque le Rav Simcha Bunim de P’shischa était marchand de bois dans sa jeunesse et rencontrait des Juifs qui s’étaient éloignés de la Torah, il jouait aux échecs avec eux et émettait des commentaires destinés à éveiller leur cœur.

Au cours d’une partie, il joua un mauvais coup et demanda la permission de se rétracter.

« Allez-y », a déclaré son adversaire.

Après quelques minutes, le Rav Simcha Bunim commit encore une erreur, mais cette fois son adversaire refusa de l’entendre.

« Je vous ai laissé quitte une fois », dit-il, « mais maintenant ce qui est fait est fait ».

Ce à quoi le Rav Simcha Bunim répondit: « Malheur à celui qui est si profondément enfoncé dans le péché qu’aucune supplique ne peut l’amener à changer sa conduite. »

Le Rav Simcha Bunim avait l’habitude de dire: « Les échecs nous apprennent qu’un joueur doit faire attention à tout ce qu’elle fait et peser soigneusement chacun de ses coups. Il en va de même dans la vie. Plus une personne est prévoyante et vigilante, mieux c’est pour elle.

Depuis le début des tournois officiels d’échecs au 19ème siècle, les Juifs ont généralement régné en maîtres.
Wilhem Steinetz fut le premier grand-maître juif des échecs. On dit étudia dans une yeshiva dans sa jeunesse. Il changea le style des échecs en le transformant en une science plus exacte et conserva la couronne de 1866 à 1894.
Puis vint le professeur Emanuel Lasker, un autre « yeshive bokher ». Il portale jeu à de nouveaux sommets et conserva la couronne pendant 27 ans, le plus long règne de toute l’histoire des échecs.

Les magazines d’échecs notèrent que la notoriété des Juifs dans les échecs augmentait d’année en année. Le « Chess Player’s Chronicle » observa en janvier 1891: « Il semble étrange que le championnat du monde d’échecs soit à nouveau disputé entre deux Juifs. La prééminence de nos frères dans ce jeu particulier est difficile à comprendre et devrait certainement démentir les accusations courantes selon lesquelles les Juifs n’aiment pas la compétition.

Quatorze ans plus tard, un article intitulé « Le jeu national juif » dans « l’American Chess Bulletin » de mars 1905 écrivait: « Si les Juifs ont un « jeu national », ce titre appartient sûrement au jeu royal des échecs. Le charme particulier des échecs, qui divertit en même temps qu’il instruit, attire depuis des temps immémoriaux la nation juive… Depuis plus de 50 ans, il n’y a eu aucun tournoi en Europe ou en Amérique sans qu’un Juif y occupe une place prépondérante, et aujourd’hui, comme cela a souvent été le cas auparavant, le champion du monde est l’un d’entre eux.

« Tout ceux-ci forment une sacrée équipe, qui, s’il était possible de les aligner, balaierai facilement toute équipe de même nombre composée par toutes les autres nations. Que pourrait-on dire de plus à l’appui de l’affirmation selon laquelle, dans le monde des échecs, le Juif règne en maître?

De fait, un dommage collatéral de l’antisémitisme de l’Allemagne fut une chute drastique de son standing aux échecs. Un article de 1938 traitait de la façon dont la persécution des Juifs faisait perdre à l’Allemagne et à l’Autriche leurs meilleurs talents: « Il reste à voir comment les événements récents affecterons les échecs autrichiens. Beaucoup, sinon la plupart des principaux maîtres en Autriche, comme dans beaucoup d’autres pays, sont de race juive. Les échecs allemands sont maintenant l’ombre de ce qu’ils étaient » (Australasian Chess Review, 30 mars 1938).

Au début de la Seconde Guerre mondiale, trois Juifs polonais, Miguel Naidorf, Savielly Kotanowski et Pualino Frydman, furent sauvés de la Shoah grâce à leur implication dans les échecs. Ils étaient engagés dans un tournoi international à Buenos Aires lorsque la guerre éclata et ne retournèrent pas en Europe.

Un autre participant au tournoi était Alexander Alekhine, champion du monde d’échecs d’origine russe à cette époque, qui à l’instigation des Nazis (ou sous la menace, son épouse juive résidant dans la France de Vichy), écrivit un certain nombre d’articles dénigrant « les échecs juifs » qui, selon lui, retardaient le développement du jeu. Un des articles commençait par poser la question: « Pouvons-nous espérer qu’après la mort de Lasker, le deuxième et probablement dernier champion mondial de descendance juive, les échecs aryens trouveront enfin leur voie après avoir été égarés par la pensée défensive juive? » C’était le même thème que les nazis avaient utilisaient contre « la physique juive », en se moquant des idées « juives » comme la relativité jusqu’à ce qu’ils réalisent qu’elles pouvaient être utilisées pour construire des bombes.

Après la guerre, Alekhine nia avoir écrit ces articles.

« Des faits qui sont allégués contre moi sont inexistants, notamment les articles parus dans le « Pariser Zeitung », écrivit-il. « Ici, je dois objecter fortement. Pendant trois ans, jusqu’à la libération de Paris, j’ai dû me taire. Mais à la première occasion, lors d’interviews, j’ai essayé de placer les faits dans leur véritable perspective. De ces articles, parus en 1941 lors de mon séjour au Portugal et connus en Allemagne, parce que reproduits dans « Deutsche Schachzeitung », je n’en ai écrit aucun.

Malgré ses protestations d’innocence, Alekhine fut exclu des tournois d’échecs jusqu’à sa mort en 1946.

Au milieu du XXe siècle, il y eut un célèbre champion d’échecs qui était un shomer shabbat et refusait de participer à des tournois le shabbat. Sammy (Smuel Chaim) Reshevsky arriva de Pologne aux États-Unis encore enfant. En 1950, il robtint le titre de grand maître international et fut sept fois vainqueur du championnat d’échecs des Etats-Unis. Reshevsky mourut en 1992.

Les prouesses juives aux échecs ont continué depuis. Un livre paru en 1978 révéla que, sur 476 joueurs de tournois majeurs depuis le 19ème siècle, environ la moitié était juifs ou d’ascendance juive et en 1998, le géant des échecs, Bobby Fischer, estima que trois des cinq plus grands joueurs d’échecs de tous les temps (Fischer inclus) étaient juifs et un autre à moitié juif. Compte tenu du fait que les Juifs constituent environ 0,2% de la population mondiale, ce n’est pas un mauvais bilan.

(Source: Edward Winter, « Chess and Jews », 2003)