Ephéméride | Otto Preminger [11 Octobre]

11 octobre 1944

Première de « Laura », le film qui établit Otto Preminger comme le maître du film noir.

Otto Preminger nait le 5 décembre 1905 à Vienne, en Autriche. Son père était procureur et avait été procureur général de l’empire austro-hongrois. Preminger entreprendra plus tard de suivre ses traces. Encore adolescent, Preminger suit son amour naissant pour le théâtre et commence à figurer dans des pièces de théâtre autour de Vienne.

A 17 ans, sa vie prend un tournant décisif lorsque le grand metteur en scène de théâtre Max Reinhardt lui assigne un rôle important dans une production du « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare. Impressionné par le talent de Preminger, Reinhardt lui confie la direction de l’un de ses théâtres deux ans plus tard. Entre-temps, il a obtenu son diplôme en droit (à l’instar de son frère, qui deviendra un jour agent à Hollywood), mais il n’exercera jamais.

Preminger quitte bientôt la scène pour les coulisses et met en scène plusieurs pièces qui lui valent une attention critique et populaire. À la fin de la vingtaine, il est l’un des producteurs-metteurs en scène de théâtre les plus renommés de toute l’Europe.
Il réalise sa première incursion dans le cinéma en 1931, en réalisant « Die Grosse Liebe », mais le théâtre restera son centre d’intérêt au cours des années suivantes.

Au milieu des années 1930, à l’invitation d’un producteur, Preminger traverse l’océan pour diriger des productions théâtrales à Broadway. Une autre raison de ce départ est qu’il est parfaitement conscient de la menace nazie qui pèse sur les Juifs dans son pays natal.
Il fait ses débuts à Broadway avec « Libel » (mis en scène en 1936), qui lui vaut de bons résultats, mais il obtient ensuite des succès retentissants avec notamment « A Midsummer Night’s Dream », « Margin for Error » et « Moon Is Blue ».

Au cours de cette même période, Preminger noue une relation avec la Twentieth Century Fox et réalise plusieurs films de série B avant d’être renvoyé et de reprendre sa carrière à Broadway. Il revient cependant à Hollywood en 1942, et y débute sa carrière d’acteur au cours de laquelle il campe paradoxalement un nazi dans chacun de ses trois premiers rôles: « The Piper Pied » (1942), « Margin for Error » (1943), « They Got Me Covered (1943). Une décennie plus tard, il apparaîtra dans « Stalag 17 » (1953), où il jouera encore une fois un nazi.

Mais le succès le plus marquant et le plus durable de Preminger est sans doute celui de la réalisation du thriller noir « Laura » (1944), qui donne le ton à la vague imminente du film noir.

«  »I shall never forget the weekend Laura died. » Dès l’ouverture, le spectateur est envoûté. Plus qu’une simple enquête policière, c’est un film d’atmosphère. Atmosphère obsessionnelle autour de son héroïne, superbement renforcée par la musique de David Raskin avec son unique thème, repris, modulé, agrémenté de différentes manières. Thriller mélodramatique et romantique, le film est entièrement construit autour de l’amour proche du fétichisme éprouvé par ses protagonistes pour Laura, bloc de beauté, femme sublime exempte du moindre défaut (elle n’existe en fait qu’à travers le regard des autres). Un rôle en or pour une Gene Tierney qui illumine l’écran de sa beauté à couper le souffle et de son élégance sophistiquée. Autour d’elle, ceux qu’elle fascine n’éprouvent les uns pour les autres que rivalité, jalousie et suspicion. L’occasion pour Preminger de brosser de beaux portraits psychologiques, en particulier celui de Lydecker, aussi cynique que fragile, interprété tout en nuances par Clifton Webb.
Toute la distribution d’ailleurs est extraordinairement convaincante, magnifiquement dirigée par un réalisateur qui, pour la première fois, bénéficie de moyens financiers en accord avec son immense talent. En s’octroyant le luxe de mettre de côté l’intrigue – on a tout à fait l’impression qu’il s’en désintéresse -, en se focalisant sur la fascination qu’engendre Laura, la distance qui sépare les êtres et la perversion que peuvent atteindre les rapports humains, Preminger signe ici un film dont on ne se lasse pas, qui se bonifie à chaque vision. Un chef-d’œuvre d’une extrême richesse, plein d’ambiguïtés, d’un noir bien plus pathétique, dépravé et diabolique qu’un classique polar. »
(Marianne Spozio)

« Laura » vaut à Premingersa première nomination aux Oscars comme meilleur réalisateur et débouche sur une série de thrillers, tels que « Black Angel » (1945) et « Where the Sidewalk Ends » (1950).

Mais alors que Preminger est maintenant officiellement reconnu comme cinéaste de classe mondiale, sa réputation ne s’arrête pas là. Il est aussi perçu comme une sorte de tyran, avec un énorme ego sur le plateau qui lui vaut le sobriquet de « l’Ogre Otto » et laisse dans son sillage une longue suite d’acteurs en colère. Il poursuit sa rivalité avec le patron de la Fox, Darryl Zanuck, qui l’avait précédemment limogé du studio.

Pas homme à reculer, Preminger s’appuie sur son succès pour réaliser les types de films qu’il souhaite réaliser et se dresser contre le Code de production étouffant de la « Motion Picture Association of America » (MPAA), le fameux Code Hays qui prescrit les règles de la bienséance à l’écran.
« The Man with the Golden Arm » (1955), qui met en vedette un Frank Sinatra héroïnomane, et « Anatomy of a Murder », drame de 1959, nominé pour sept Oscars, dont celui de Meilleur film. Preminger s’en prend aussi à la fameuse liste noire hollywoodienne issue du macarthysme , notamment en engageant le scénariste excommunié Dalton Trumbo pour écrire son film « Exodus » (1960).

Après le succès d’Exodus au box-office, Preminger dirige le drame politique, « Advise & Consent » (1962), qui reçoit également un accueil favorable. Pour son film suivant, « The Cardinal » (1963), il est honoré d’une deuxième nomination aux Oscars de meilleur réalisateur. Suit le film épique « In Harm’s Way » en 1965 sur la Seconde Guerre mondiale.

Après être brièvement apparu sous le pseudonyme de M. Freeze lors de la saison 1966 de la série télévisée « Batman », Preminger revient au fauteuil de réalisateur. Mais la majorité de ses films de cette période sont généralement considérés comme de moins bonne qualité que ses productions précédentes.

Parmi les derniers films de Preminger figurent la comédie de 1968, « Skidoo », et le thriller de 1975, « Rosebud », tous deux des échecs au box-office et aux yeux de la critique. « The Human Factor » (1979) est une adaptation du roman du même nom de Graham Greene. Ce sera le dernier film réalisé par Preminger.

Au cours des années suivantes, Preminger commence à souffrir de la maladie d’Alzheimer et développe également un cancer auquel il succombera finalement le 23 avril 1986.