Ephéméride | Fondation d’Amsterdam [27 Octobre]

27 octobre 1275

Fondation d’Amsterdam. Son nom yiddish est « mokum », c’est-à-dire « lieu sûr ».

« Et Israël habitera en sécurité » est la citation biblique utilisée par le rabbin d’Amsterdam Menasseh ben Israel (1604-1657) dans le premier livre en hébreu (un siddour) sorti de sa presse à imprimer en 1627.
La citation (Deutéronome 33:28 ) donna le ton aux annales des Juifs des Pays-Bas au cours des trois siècles qui suivirent. Menasseh lui-même était un Séfarade. Il faisait partie de la première vague de réfugiés juifs portugais à revenir à la tradition juive dans la République néerlandaise. Ils furent ensuite suivis par des Juifs ashkénazes d’Europe de l’Est, qui commencèrent à se diriger de plus en plus nombreux vers la fameuse cité d’Amsterdam.

Bien que la liberté dont jouissaient les Juifs d’Amsterdam n’était pas illimitée, leur situation pendant l’âge d’or hollandais du XVIIe siècle était remarquable – elle l’était certainement comparée à celle des Juifs presque partout en Europe, où la persécution, la discrimination et les ghettos étaient monnaie courante.

Le quartier juif d’Amsterdam a toujours eu quelque chose d’unique, regroupé autour des synagogues des XVIIe et XVIIIe siècles qui se trouvent toujours sur la place Jonas Daniël Meijer. Pendant la guerre de 80 ans (1568-1648), au cours de laquelle les Hollandais obtinrent leur indépendance de l’Espagne, les immigrants juifs de la péninsule ibérique étaient considérés avec une certaine méfiance, alimentée par les préjugés chrétiens traditionnels à l’égard des Juifs.
Mais les bourgmestres protestants ne perdaient pas de vue l’importance commerciale des Sefardim: leurs relations internationales et leur connaissance des langues qui donnaient un élan supplémentaire à la croissance économique de la ville.

Pendant ce temps, on fermait les yeux sur l’afflux de Juifs paupérisés venant d’Europe de l’Est. Ce n’était pas seulement une question d’économie; la tolérance qui marquait la Hollande, et Amsterdam en particulier, fut également un facteur clé.
En effet, les citoyens de la République néerlandaise jouissaient d’un degré considérable de liberté religieuse.
Une loi de 1579 stipulait que les gens ne pouvaient être persécutées pour leur foi.
Pendant des siècles, la ville commerçante d’Amsterdam fut un refuge pour les réfugiés de toutes obédiences. Outre les Juifs, catholiques et dissidents protestants bénéficiaient du climat de tolérance de la ville.
Sans les contraintes d’un ghetto ou de vêtements distinctifs qui étaient communément imposées ailleurs, les Juifs vivaient au milieu de la majorité non juive dans les mêmes quartiers.

Un large fossé séparait les riches Juifs portugais des pauvres immigrants juifs d’Europe centrale et orientale (Bohême, Pologne, Lituanie) et d’Allemagne, qui tiraient leur nom de ce qu’on appelait en hébreu « Ashkenaz ».
Bien que les premiers offices en rite ashkénaze aient eu lieu en 1635, une communauté indépendante ne fut créée qu’en 1639. Peu de temps après, les premières synagogues ashkénazes s’installèrent dans des maisons situées sur le Vlooyenburg et en face de celui-ci (aujourd’hui la mairie et le Muziektheater).
Les Juifs étant généralement exclus des guildes professionnelles, la plupart des nouveaux venus étaient contraints de gagner leur vie comme commerçants sur les marchés, marchands de rues, marchands ambulants, marchands de vieux vêtements, polisseurs de diamants, ouvriers d’imprimerie ou domestiques auprès des Juifs portugais.

Les Juifs réglaient leurs propres affaires intérieures et les chefs de la communauté – les parnassim – étaient responsables des indigents. Des fonds étaient recueillis grâce aux dons en échange d’honneurs à la synagogue, à la vente de viande cachère et, parmi les Portugais, à un droit (imposta) sur les importations.
Des subventions étaient proposées aux immigrants pour les encourager à poursuivre leur voyage et à s’établir hors d’Europe.
L’étendue de la pauvreté ne devint apparente qu’au XVIIIe siècle, lorsque la situation économique d’Amsterdam commença à se détériorer. En 1800, 36,7% de la population de la ville était secourue; 54% des 3000 Séfarades et 87% des 22000 Ashkénazes dépendaient de la charité (à l’époque, les Juifs représentaient plus de 11% de la population de la ville).

En 1674, les 5000 Juifs ashkénazes d’Amsterdam étaient déjà deux fois plus nombreux que les Séfarades. Il n’est donc pas étonnant que leur communauté ait eu besoin d’une nouvelle synagogue.
Elias Bouman (1636-1686) fut l’architecte de la Grande Synagogue, inaugurée le 25 mars 1671, peu de temps avant le début des travaux sur la bien plus grande Esnoga portugaise, située en face. Celles-ci, les premières synagogues monumentales construites en Europe et reconnaissables de l’extérieur, faisaient partie du paysage urbain.
En 1672, la communauté ashkénaze ouvrit son propre marché de la viande, dont les bénéfices étaient dédiés aux secours aux pauvres, aux institutions sociales telles que les hôpitaux, les orphelinats et les écoles, ainsi qu’aux salaires des médecins qui s’occupent des pauvres et des employés de la synagogue.
Aujourd’hui, la Grande Synagogue restaurée fait partie d’un complexe de quatre synagogues: Obbene Shul (1685-1686), Dritt Shul (vers 1700) et Neie Shul (1750-1752) avec son magnifique dôme, conçu par Frederik Maybaum. (décédé en 1768).
La Shoah a laissé ces bâtiments sans congrégation.
Depuis 1987, ils abritent le musée historique juif d’Amsterdam.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’Europe centrale et orientale était le pôle économique et social de la communauté juive ashkénaze. Jusqu’au XIXe siècle, les Pays-Bas continuèrent d’importer des rabbins, des chantres et des enseignants d’Allemagne et de Pologne.
Leur langue était le yiddish, bientôt parsemée de mots néerlandais. Les traductions de la Bible en yiddish et les éditions somptueuses et non censurées de livres en hébreu trouvaient un marché prometteur en Europe de l’Est: « Imprimé à Amsterdam » était un gage de grande qualité.
Mais c’est seulement vers la seconde moitié du XVIIIe siècle que de riches Juifs ashkénazes, tels que le marchand de tabac et le banquier Benjamin Cohen (1726-1800), confident du Stathouder Guillaume V, purent rivaliser avec la prééminence culturelle et économique séfarade.
La communauté ashkénaze d’Amsterdam, forte de 20000 habitants, était alors la plus importante d’Europe occidentale et centrale. C’est à peu près à cette époque qu’un groupe de penseurs, petit mais influent, commença à défier l’autorité des rabbins et des parnassim, ainsi que le mode de vie juif traditionnel en général.

En janvier 1795, les troupes françaises occupèrent la république. La devise « Liberté, égalité et fraternité » fit également son chemin aux Pays-Bas. Le 2 septembre 1796, à la suite d’un débat houleux, l’Assemblée nationale décida à l’unanimité d’accorder aux Juifs la totalité des droits civils.
En théorie, les Juifs pouvaient désormais exercer la profession de leur choix. Dans la pratique, même après la dissolution des guildes, en 1809, le processus fut lent.
La plupart des Juifs néerlandais continuèrent à vivre dans une pauvreté abjecte.
Lorsque l’indépendance fut restaurée en 1813, le gouvernement poursuivit la politique française de limitation de l’autorité des rabbins et des parnassim. La communauté juive fut contrainte de renoncer à son autonomie et les synagogues furent placées sous la juridiction du ministère de l’Intérieur: la communauté était devenue une confession religieuse reconnue.
Les partisans de ces changements, comme l’avocat Jonas Daniël Meijer (1780-1834), venaient des couches supérieures de la communauté. Une traduction néerlandaise de la Bible, des tentatives pour améliorer les services de la synagogue et l’innovation des sermons en néerlandais visaient tous à promouvoir l’intégration des Juifs dans la société néerlandaise. Ces développements reçurent le soutien total du nouveau gouvernement après le rétablissement de la souveraineté néerlandaise en 1813.

Alors qu’en Allemagne un débat fondamental sur les principes de base du judaïsme conduisitt à l’émergence des mouvements réformiste et conservateur, aucun changement de ce type n’eut lieu aux Pays-Bas. Néanmoins, le célèbre grand rabbin Joseph Hirsch Dünner (1833-1911), originaire de Cracovie et arrivé à Amsterdam en 1863, tenta de lier le judaïsme aux disciplines modernes et de les inclure dans le programme du séminaire rabbinique.
Abraham Carel Wertheim (1832-1897), banquier, homme d’affaires et philanthrope, put bien siéger au conseil d’administration du séminaire et être président de la communauté juive, mais il ne se préoccupa guère des lois et préceptes du judaïsme. L’élite juive libérale soutenait la séparation de l’église et de l’état. En conséquence, alors que les catholiques et les protestants hollandais formaient leurs propres organisations et écoles confessionnelles, les Juifs ne réalisèrent aucune avancée de ce type.

Avant la Seconde Guerre mondiale, le nombre de Juifs occupant des postes publics était minime. Seuls deux Juifs avaient jamais occupé des portefeuilles ministériels et seule une poignée avait siégé au parlement néerlandais. En dehors d’Amsterdam, qui était à 9% juive en 1930, les élus municipaux juifs étaient une rareté. Mais bien que les Juifs fussent traités avec une certaine froideur dans certains milieux, l’antisémitisme qui infectait l’Allemagne et l’Autriche ne se retrouvait pas aux Pays-Bas.

L’existence d’un grand prolétariat juif à Amsterdam offrait un terrain fertile aux idéaux socialistes. Beaucoup de Juifs rejoignirent le mouvement socialiste.
Henri Polak (1868-1943), surnommé le « rebbe » des ouvriers juifs du diamant, fut l’un de ceux qui persuadèrent le mouvement de poursuivre la voie parlementaire. Il figura parmi les fondateurs du Parti social-démocrate ouvrier néerlandais (SDAP) en 1894.
En 1906, plus de 29% des Juifs qui travaillaient à Amsterdam travaillaient dans le commerce du diamant – la ville était un centre mondial majeur de l’industrie – où ils formaient l’élite de la classe ouvrière juive. Les travailleurs du textile, les petits commerçants et les marchands ambulants étaient de moindre statut.

Vers 1900, près de 60000 Juifs, soit plus de la moitié de la population juive des Pays-Bas, vivaient à Amsterdam. En 1916 et 1926, les taudis de l’ancien quartier juif furent finalement nettoyés, grâce aux efforts du conseiller municipal socialiste Salomon de Miranda (1875-1942). Les Juifs se tournèrent vers de nouveaux quartiers ouvriers dans l’est et le sud d’Amsterdam.
Pendant ce temps, le sionisme faisait de nombreux convertis aux Pays-Bas. Les dirigeants orthodoxes s’opposaient à la fois au sionisme et au socialisme, réussissant ainsi à s’aliéner à la fois l’élite intellectuelle et les masses juives.

Quand Hitler arriva au pouvoir en 1933, les Juifs hollandais commencèrent à en ressentir les conséquences immédiatement. Prendre soin et héberger des réfugiés allemands et autrichiens devint une préoccupation majeure: environ 34000 d’entre eux arrivèrent aux Pays-Bas entre 1933 et 1940.
Le gouvernement laissa l’organisation et le financement de l’aide aux réfugiés à la communauté juive, mais exigea qu’elle fournisse une garantie. d’un million de florins. Une politique restrictive fut mise en place pour endiguer la vague croissante de réfugiés après les violences anti-juives de la « Nuit de Cristal » (8-9 novembre 1938): des groupes entiers furent renvoyés de l’autre côté de la frontière allemande.
Le gouvernement contraignit la communauté juive à interner les réfugiés à Westerbork, un camp de transit utilisé ensuite par les nazis pour les déportés vers les camps de la mort. Sauf parmi les socialistes, les Juifs, et en particulier les Juifs allemands, étaient de plus en plus considérés comme un problème.

L’invasion nazie (10 mai 1940) prit les Pays-Bas par surprise. Pour les Juifs hollandais, une minorité tolérée et jamais persécutée, cela fut un coup terrible. Le pays fut placé sous une administration civile dirigée par des antisémites virulents comme Arthur Seyss-Inquart (1892-1946) et Hans Rauter (1895-1949), qui adoptèrent rapidement une législation antijuive.
Le 18 octobre 1940, fonctionnaires et étudiants furent tenus de prouver qu’ils n’étaient pas d’origine juive. Le 22 octobre 1940, les entrepreneurs juifs durent enregistrer leur entreprise. Le 4 novembre 1940, tous les Juifs furent licenciés de la fonction publique. Même la Haute Cour, l’organe judiciaire suprême du pays, soumit et approuva la destitution de son propre président, Lodewijk Ernst Visser (1871-1942).

Seule une poignée de dirigeants chrétiens et d’étudiants protestèrent. Le 10 janvier 1941, les lois raciales de Nuremberg de 1935, qui définissaient comme juive toute personne ayant trois grands-parents de race juive, en plus des membres d’une communauté juive, fut étendue aux Pays-Bas.
Les règlements antijuifs étaient publiés exclusivement dans un journal hebdomadaire – le Joods Weekblad – créé à cet effet.
Après une escarmouche début février 1941, les Allemands bouclèrent le vieux quartier juif. Puis, imitant la politique nazie en Europe de l’Est, un Conseil juif, composé des dirigeants de la communauté d’Amsterdam d’avant-guerre, fut créé (13 février). Lors d’une rafle les 22 et 23 février, 425 jeunes Juifs furent rassemblés sur la place Jonas Daniël Meijer, avant d’être déportés à Buchenwald et à Mauthausen, où ils furent rapidement assassinés.

À Amsterdam, l’arrestation et la déportation de ces Juifs provoqua une grève dirigée par le parti communiste clandestin. Bien que brisée en trois jours, la grève de février est aujourd’hui reconnue comme une véritable protestation populaire contre l’injustice dont étaient victimes les Juifs.
À partir de ce moment, cependant, le filet se referma inexorablement autour des Juifs des Pays-Bas.
Le 3 juin 1941, des papiers d’identité obligatoires furent délivrés: ceux des Juifs étaient frappés d’un grand J.
Le 1er mai 1942, les Juifs furent obligés de porter un badge visible: une étoile jaune avec le mot Jood (juif).
Quelques mois plus tard, les nazis transformèrent le théâtre Hollandsche Schouwburg sur la Plantage Middenlaan (où des artistes juifs se produisaient pour un public exclusivement juif) en un point de rassemblement pour les Juifs en route pour le camp de transit de Westerbork.
Entre le 1er juillet 1942 et le 13 septembre 1944, un train de wagons à bestiaux scellés quittait Westerbork tous les mardis matin, emportant en moyenne 1000 personnes vers les camps d’extermination d’Auschwitz et de Sobibor ou à destination de Bergen Belsen et de Theresienstadt.

Sur les près de 80000 Juifs qui vivaient à Amsterdam en 1941, à peine 15000 survécurent à la guerre, cachés ou dans des camps de concentration. Sur les 140000 Juifs qui vivaient aux Pays-Bas au début de la guerre, moins de 30000 (21%) vivaient encore à la fin de la guerre.
Les taux de survie furent plus faibles seulement en Europe de l’Est.
En général, l’attitude envers les 5500 personnes rentrées des camps et les 16500 personnes qui avaient survécu dans la clandestinité (les autres survivants comprennent ceux qui avaient fui en Espagne, en Angleterre et en Suisse et les partenaires de mariages mixtes) était loin d’être compatissante dans les années d’après-guerre.
Ils furent longtemps confrontés à l’indifférence et à un manque de compréhension. Heureusement, les vestiges de l’antisémitisme disparurent rapidement disparu. Les Juifs réintégrèrent la vie publique. Le nombre de personnes nommées à des postes gouvernementaux fut supérieur au total de ceux occupés entre 1815 et 1940. Amsterdam a même compté quatre maires juifs.

La vie religieuse publique reprit dès la fin de la guerre. La communauté ashkénaze d’Amsterdam, qui compte aujourd’hui environ 3000 membres, suit le culte dans huit synagogues. Malgré sa petite taille (environ 500), la communauté portugaise parvient toujours à organiser des services à la Esnoga portugaise. Les deux sont des communautés orthodoxes traditionnelles.
Depuis 1966, la communauté libérale rétablie, qui compte environ 1200 membres, possède également sa propre synagogue. La communauté juive d’Amsterdam (environ 15000 personnes) est petite, mais diverse. Elle permet aux Juifs vivant dans la ville de mener une vie juive, d’être fiers de leur héritage juif unique et de se sentir en sécurité pour continuer à vivre à Amsterdam – qui n’a heureusement jamais cessé d’attirer de nouveaux arrivants. Pour les anciens et les nouveaux citoyens juifs d’Amsterdam, la ville est et reste « Mokum » – un endroit où il fait bon vivre.

(Source: Edward van Voolen, curateur du Musée historique juif d’Amsterdam)