5 novembre 1905
Parution du premier numéro de « Der Moment », un des deux plus grands quotidiens yiddish publiés à Varsovie avant la guerre.
« Der Moment » est l’un des deux plus anciens et des plus importants quotidiens en langue yiddish publiés à Varsovie. Son premier numéro parut le 5 novembre 1910 et il continua de paraître même après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il cessa de paraître le 22 septembre 1939.
Le fondateur du journal fut Noach Pryłucki (1882-1941), dirigeant de la « Yiddishe Folkspartay » (Parti Populaire Juif), en Pologne, qui prônait l’autonomie culturelle nationale comme solution à la poursuite d’une existence juive dans les pays de la diaspora. Officiellement, le directeur du journal tout au long de sa parution fut le père de Noach Pryłucki, Zvi (1862-1942), pionnier de la presse quotidienne yiddish à Varsovie et fondateur du journal « Der Veg » (Le Chemin), 1905-1907).
Au cours de ses premières années, le journal maintint une orientation apolitique, même s’il faisait montre d’une nette tendance pro-sioniste et, d’une opposition aux tendances assimilationnistes.
Hillel Zeitlin (1871-1942) était l’éditorialiste le plus en vue du journal. Sholem Aleichem contribua régulièrement au « Moment » au cours des deux premières années de son existence. Parmi les autres auteurs du journal à ses débuts figuraient des écrivains et des personnalités culturelles renommées. Leurs contributions aidèrent le nouveau journal à rivaliser avec son concurrent plus chevronné et plus prospère, « Haynt » (« Aujourd’hui », 1908-1939).
Le format du journal était assez modeste, un peu comme les autres périodiques qui paraissaient à l’époque. Les éditions des jours de semaine contenaient généralement de quatre à huit pages au cours des premières années et pouvaient aller jusqu’à dix pages durant l’entre-deux-guerres. « Der Moment » doublait sa pagination pour les numéros publiés le vendredi et à la veille des fêtes.
En plus des rubriques d’actualité, centrées tant sur des sujets juifs que des sujets d’intérêt général, le journal publiait régulièrement des commentaires sur les nouvelles, les affaires courantes et diverses questions littéraires. Comme il était d’usage dans la presse de l’époque, et pour atteindre un lectorat aussi large que possible, la rédaction de « Der Moment » s’efforça, tout au long de son existence, de publier simultanément deux romans en feuilleton quotidiennement.
En général, le premier roman était une oeuvre d’un écrivain célèbre et talentueux (comme Zalman Shneour, 1886-1959), le second d’un auteur anonyme dont le but était simplement d’attirer les lecteurs par une intrigue compliquée et à rebondissements.
Les éditions de fin de semaine et de fêtes comprenaient également des suppléments traitant de la culture, de la littérature, du théâtre, du sport, de la maison et de la famille, de l’humour, etc. Sans surprise, le journal s’intéressait principalement aux événements qui se déroulaient à l’intérieur des frontières polonaises et en particulier dans la ville de Varsovie. De ce fait, « Der Moment » représente une source très importante pour l’étude de la vie des Juifs dans la plus grande communauté juive d’Europe.
Le succès du journal et sa diffusion, qui atteignait chaque jour vingt à vingt-cinq mille exemplaires au cours des années 1920, encouragèrent la rédaction à produire une édition tabloïde du soir de quatre pages seulement, intitulée « Varshever radio » (1924-1939), qui attira un large public et devint très rentable.
En 1916, « Der Moment » devint l’organe non officiel du Parti Populaire Juif (dont le chef, comme indiqué ci-dessus, était Noach Pryłucki). A ce titre, Pryłucki se donnait comme objectif de lutter d’abord et avant tout pour le droit à l’autonomie culturelle juive (d’abord sous régime allemand jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, puis sous le gouvernement polonais), pour la reconnaissance du yiddish comme langue juive nationale et pour un système éducatif moderne dispensé dans cette langue.
Sur cet aspect culturel, il y avait un point de convergence et de coopération entre les revendications du Parti Populaire Juif et celles du Parti Socialiste Juif, le « Bund ». Cependant, contrairement à la presse socialiste yiddishiste et antisioniste déclarée, « Der Moment » montrait une attitude favorable envers le sionisme, l’installation des Juifs en Palestine et même la langue hébraïque.
Tout au long de ses années de publication, le journal consacra une large place à des reportages et des commentaires sur les événements qui se déroulaient en Palestine et dans le monde juif. Au niveau politique national, le journal s’éleva fréquemment contre les politiques anti-juives adoptées par le gouvernement polonais, en particulier dans le domaine économique, et contre les incidents d’antisémites dans la société polonaise. Comme porte-parole d’un parti politique identifié à la petite bourgeoisie, « Der Moment » exprimait largement les intérêts de la classe marchande (en particulier des petits commerçants) et des négociants.
En raison de la mauvaise gestion financière du journal et de la crise économique mondiale, « Der Moment » s’effondra financièrement en 1931 et la seule solution envisageable consista à le transformer en une coopérative appelée « Di Prese ». Néanmoins, le journal ne se remis jamais complètement de cette crise.
L’influence décroissante du Parti Populaire Juif au sein du public juif, la compétition constante avec « Haynt » et diverses publications infructueuses placèrent « Der Moment » à la croisée des chemins.
À partir de 1935, le journal devint l’organe de la Nouvelle Organisation Sioniste, le mouvement révisionniste dirigé par Vladimir Zeʾev Jabotinsky (1880-1940), dont les articles parurent par la suite régulièrement dans « Der Moment ».
En 1939, un de ses principaux éditorialistes fut le poète et journaliste Uri Zvi Grinberg (1896-1981), un partisan du Parti révisionniste, qui vivait alors à Varsovie. En 1937, un administrateur judiciaire (lui-même également révisionniste) fut nommé pour gérer le journal et les relations de travail avec la rédaction tombèrent à leur point le plus bas. Une grève générale fut déclenchée par le directeur de la rédaction, Zvi Prylucki, et les cadres qui ne s’identifiaient pas au Mouvement révisionniste.
Un compromis forcé entre les parties permit à « Der Moment » de continuer à apparaître régulièrement.
L’incendie du siège du journal, touché par un obus allemand à la veille de Yom Kippour, le 22 septembre 1939, mit un terme définitif à son existence.
(Source: Professeur Nathan Cohen, Université de Tel-Aviv)
