Ciné-club du 10 mars 2024 à 11 h.: La Commissaire

le chef d’oeuvre d’Alexandre Askoldov, maudit parmi les maudits. (ST en français).

Adapté d’une nouvelle de Vassili Grossman, interdit par les autorités soviétiques dès sa sortie, il fait au fil des années l’objet d’un traitement spécial. Comme si l’ukase de 1967 ne suffisait pas, douze ans plus tard, Souslov, l’idéologue du Comité central du parti communiste, ordonne que toutes les copies ainsi que le master soient détruits. Pourtant, personne n’a vu ce film et l’histoire semble déjà oubliée. Le personnel du Goskinofonds, sorte de cinémathèque soviétique, prend sur lui de cacher une copie. Une bobine par ci, une par là.

Puis Gorbatchev arrive au pouvoir et instaure la glasnost et la perestroika. La censure cinématographique est démantelée, tous les films redeviennent accessibles. Tous sauf un: La Commissaire. Au festival du film de Moscou de 1987, Askoldov parle de son film à Wim Wenders et à Jorge Luis Borges qui interviennent auprès de Gorbatchev pour pouvoir voir le film. Une projection est organisée en hâte, ouverte uniquement aux étrangers, avec traduction simultanée en voice-over par des personnes qui n’ont donc pu se préparer correctement. Wenders et Borges insistent et le film est présenté à de nombreux festivals étrangers où il reçoit un accueil dithyrambique. Prix et honneurs se succèdent.

Askoldov n’y croyait plus. En 1967, après l’interdiction de La Commissaire, il avait été exclu du parti communiste, condamné pour dilapidation des biens de l’Etat, interdit de studio.

Mais que raconte donc La Commissaire? Pourquoi la vindicte soviétique s’est-elle abattue sur ce film?

Simplement, en 1967, alors que les rapports entre l’URSS et Israël sont au plus bas, ce film n’est pas défendable. Son tort? Il raconte une histoire des années vingt dans laquelle une famille juive se montre généreuse à l’égard d’une commissaire politique de l’Armée rouge, obligée de quitter l’armée parce qu’elle est enceinte. Surtout, des images du film laissent entendre que les pogromes de la Guerre civile, perpétrés par les Blancs, mais aussi parfois les Rouges, préfiguraient la Shoah par les Nazis et leurs collaborateurs locaux.

C’est le premier film d’Askoldov. Ce sera le dernier. Et il est plus que prometteur. Le nom d’Askoldov était appelé à s’inscrire dans la tradition des grands réalisateurs russes visionnaires. Sa carrière fut brisée net et il ne tourna plus jamais.