Ephéméride | Julien Benda [26 Décembre]

Portrait de Julien Benda

26 décembre 1867.

Naissance à Paris de Julien Benda, écrivain, essayiste et polémiste français, auteur du célèbre essai, « La trahison des clercs ».

Julien Benda naît en 1867 dans un milieu aisé. Son grand-père, Sigmund Benda, banquier belge originaire de Fürth, un temps président du consistoire israélite, se suicide en mars 1848 après avoir fait faillite. Son père, Camille Benda, qui se préparait à une carrière d’ingénieur, doit alors gagner sa vie. Arrivé à Paris en 1849, il débute comme employé de son oncle avant de monter la société d’exportation qui fera sa fortune. Il épouse en 1857 sa cousine Anne Caroline Weinschenk, issue de la communauté juive du Marais. Le couple, qui n’était pas religieux, était attaché aux valeurs léguées par la Révolution.

Au Lycée Charlemagne, où il est condisciple de Léon Daudet, il brille particulièrement en latin et en grec. Sa passion pour les mathématiques le conduit à préparer l’École polytechnique, mais il échoue à l’examen d’entrée. Il restera marqué par le modèle de rigueur d’esprit que représentent les mathématiques pures découvertes pendant ses deux années de Mathématiques spéciales. Il intègre l’École centrale, mais son peu de goût pour les sciences appliquées le fait abandonner à la fin de la deuxième année. Il s’inscrit alors à la Sorbonne, où il passe une licence d’histoire. C’est là que le prendra l’affaire Dreyfus, alors qu’il hésitait à poursuivre ses études.

La mort de son père en 1890 lui laissant de quoi vivre de ses rentes, il mène une vie mondaine, vêtu avec élégance, fréquentant les salons, en particulier celui de sa cousine Pauline Benda (connue comme actrice et romancière sous le nom de Madame Simone), voyageant et lisant. À partir de 1913, après la faillite de la maison d’exportation dont il avait hérité, c’est de son métier d’écrivain qu’il devra vivre.

Il livre son premier texte au « Siècle » le 15 janvier 1898, deux jours après le fameux « J’accuse » d’Émile Zola. Tout en s’associant au mouvement des « intellectuels » et en assumant les mots d’ordre de « justice » et de « vérité » contre l’illégalité du procès, Benda se réserve une place singulière à l’intérieur du camp dreyfusard. Dans les nombreux articles qu’il écrit pour « La Revue blanche » et qu’il réunit ensuite en un volume intitulé « Dialogues à Byzance » (1900), il s’interroge sur la valeur symbolique de l’erreur judiciaire de 1894 ainsi que sur la réaction de 1897; sur les deux mentalités et les deux morales dont l’affaire a fait éclater l’opposition, sous forme de conflit entre esprit d’autorité et esprit de discussion; sur le sens et les implications des nouveaux phénomènes culturels par rapport aux institutions républicaines. Dans la mobilisation en faveur d’Alfred Dreyfus, il salue l’avènement d’une « sensibilité intellectuelle » et l’apport d’une méthode et d’un système de valeurs fondés sur la recherche de la vérité.

Selon lui, en tant que nouveau sujet de la scène politique les intellectuels ont produit une autre interprétation du cas judiciaire et des événements; leur action ne pouvait être que positive, leur morale étant favorable au développement de la démocratie et au bonheur des hommes. D’où la mission que leur attribue Benda: connaître et comprendre la morale dont les adversaires sont porteurs, en saper l’action à la base, s’opposer aux attitudes sentimentales et rhétoriques, à l’esprit de salon, bref à ce qu’il résume par le mot « littérature » et par les noms de Maurice Barrès et de Jules Lemaitre.

Benda collabore ensuite aux « Cahiers de la Quinzaine » de Charles Péguy et publie en 1910 un roman, « L’Ordination », qui manque de peu d’obtenir le prix Goncourt.

Dans différents essais publiés dans les années 1910-1920, il milite, aussi bien sur le plan littéraire qu’esthétique, pour un retour au classicisme, au rationalisme, à l’intelligence pure, par opposition au bergsonisme dominant qui se manifeste alors dans le goût pour l’inexprimable, l’irrationnel, le psychologique. Dans son ouvrage « Le Bergsonisme ou une philosophie de la mobilité » (1912), il entreprend une critique du « dogme de la mobilité de la pensée » et du style romantique en philosophie.

Autant que le militaire, l’homme de lettres est aux yeux de Benda l’ennemi de l’intellectuel, par son incapacité à aborder les questions avec la rigueur adéquate. Au conflit entre deux formes de sociétés et de morales (civile et militaire), il fait correspondre le conflit entre deux cultures: la culture scientifique, ou d’idées, fondée sur le respect du document et sur l’esprit critique, apanage d’une aristocratie intellectuelle; et la culture des gens de lettres, faisant appel au pouvoir de la suggestion, de la séduction, de la passion, produit d’une sensibilité populaire et féminine. Ce « logicien égaré parmi des gens de lettres » (comme il se définit lui-même dans son autobiographie) n’a de cesse d’attaquer la culture de son temps, philosophique et littéraire.

Dans « Belphégor », publié en 1918 mais écrit avant la guerre, il critique les tendances littéraires de son époque qui préfère la religion de l’émotion et de l’action à la spéculation pure. Il oppose au premier romantisme, « plastique », le romantisme « musical », irrationnel, symboliste et décadent, dont il dénonce la persistance dans la littérature du XXe siècle.

Dans « La France byzantine », qu’il fait paraître en 1945 mais qu’il a écrite pendant son exil de Carcassonne sous l’Occupation allemande, il accuse de gratuité, d’incohérence, de subjectivisme, de mysticisme, d’hermétisme, de préciosité toute une littérature issue de la théorie de l’art pour l’art.

A la « furie du mouvant », dans laquelle il voit le trait caractérisant la modernité, il oppose son propre « fixisme », enraciné dans le rationalisme cartésien, dont il fait le pivot d’un véritable système: l’antithèse irréductible entre « statique » et « mouvant » structure toutes ses réflexions critiques et théoriques, à partir de sa contestation de la philosophie bergsonienne jusqu’à une tentative de discours métaphysique. A une culture qu’il considère comme responsable d’avoir provoqué le cataclysme des notions morales et des valeurs intellectuelles, il oppose une figure de l’intellectuel gardien des valeurs — le clerc —, capable d’intervenir dans les conflits pour y défendre la justice et la vérité; et prêt à recevoir le mépris et la répression.

« La Trahison des clercs », son livre le plus connu avec lequel, en 1927, il inaugure une longue collaboration avec la Nrf, est un réquisitoire contre l’emprise des passions politiques au détriment de la raison et d’autres passions; et contre une tendance de la culture à devenir « culture des égoïsmes ». Il y accuse les intellectuels d’avoir trahi la cause de l’esprit en cédant aux attraits de l’engagement politique — ce qui ne signifie d’ailleurs pas, dans sa pensée, que le clerc doive se désintéresser des affaires temporelles. C’est aussi un diagnostic des dangers que courent les démocraties modernes, et il s’achève par un cri d’alarme: un monde qui renonce à toute référence et à tout contrôle éthiques court à sa perte, non seulement morale mais aussi matérielle, car c’est un monde livré à toutes sortes de conflits: de nation, de race, de religion, de classe et de groupe.

Cependant, Benda ne bannit pas la passion de l’univers du clerc. Il lui réserve la passion de l’idée et la passion de la connaissance; il lui réserve aussi la passion de la justice et de la démocratie. Sa critique de la violence ne se confond jamais avec l’abstentionnisme et le pacifisme. Au contraire, les valeurs dont il proclame le caractère éternel et absolu l’autorisent à chaque fois à choisir, à distinguer — du point de vue moral mais en se situant sur le terrain politique — entre la cause juste et la violation du droit.

À partir de cette critique sociale et politique, il développe une conception philosophique plus structurée qui trouve son expression dans « La Fin de l’éternel » (1928) et surtout dans son « Essai d’un discours cohérent sur les rapports de Dieu et du monde » (1931). Entre Dieu, entendu comme l’être indéterminé, et le monde, entendu comme l’ensemble des phénomènes distincts, il y a selon lui un dualisme radical exprimé par les deux volontés du « Dieu infini » et du monde. Dans le monde contemporain, il voit la disparition progressive de la volonté d’un retour au « Dieu infini » et donc la prédominance du contingent et de l’irrationnel. Sa conclusion pessimiste est que le monde phénoménal n’a plus besoin du Dieu infini.

Pendant la Première Guerre mondiale, il contesta à Romain Rolland une incapacité de distinguer entre amour et justice, justice et abstention. Il attaque de nouveau l’auteur d’ « Au-dessus de la mêlée’ — et avec lui le philosophe Alain et tous les mouvements pacifistes — au cours des années trente, dénonçant une attitude de « belles âmes » qui ouvre la voie aux régimes totalitaires.

La défense de la démocratie est pour Benda un impératif absolu, fondé sur la conviction de la supériorité morale des principes démocratiques, et sur la considération que la Charte des droits de l’homme contient les prémisses pour la réalisation historique des valeurs idéales de la justice, de la liberté, du bonheur de tous. Dans le fascisme et le nazisme, il voit la réalisation d’une culture de la force dont il a toujours dénoncé le danger. Il se fait clerc militant, et à partir de 1935 il accorde son soutien à la gauche, militant notamment aux côtés de certains intellectuels antifascistes.

En 1947, dans son ouvrage « Tradition de l’existentialisme ou philosophie de la vie », il critique agressivement l’Existentialisme comme philosophie de l’accidentel et du caduc.

(Sources: Wikipedia et La républiques des idées)

Julien Benda est mort à Fontenay-aux-Roses le 7 juin 1956, à l’âge de 89 ans.