MIRE GOLA (1911-1943)

CJN_19-MIRE GOLAMiré Gola nait à Rzeszow, dans le district de Lvov, en Galicie, en Pologne (aujourd’hui Ukraine), dans une famille marchande aisée qui est religieuse, hassidique, mais imprégnée de culture générale. Son père avait instauré une ambiance humaniste et ouverte dans la famille, et Miré étudie dans des écoles polonaises, où elle est une étudiante modèle, gagnant parfois des prix. Elle se distingue même dès l’enfance par son intelligence et ses nombreux talents, en particulier dans l’écriture et la parole. Elle développe également des dons pour le leadership dès la petite enfance.

Toute jeune, elle rejoint le groupe local du HaShomer Hatsaïr, devenant l’une de ses membres les plus actifs et les plus importants. Elle excelle dans ses études et termine ses études secondaires avec distinction. Mire était extrêmement dévouée aux membres du groupe sous sa responsabilité, allant jusqu’à utiliser l’argent qu’elle gagnait en donnant des cours particuliers pour payer les frais de scolarité de l’école secondaire de ceux qui ne pouvaient pas se le permettre.

À l’âge de dix-sept ans, elle est élue à la direction principale du HaShomer en Galicie et s’installe à Lvov, où se trouve la direction. Grâce à ses pouvoirs de persuasion, ses parents se rangent finalement à son choix.

En 1932, ses parents décident de déménager en Belgique et insistent pour que Miré les accompagne, mais elle refuse et s’enfuit de chez elle le jour de leur départ.

En 1932, elle est exclue du HaShomer en raison de sa position radicale concernant les relations avec l’Union soviétique. En 1939, son ami Olek Hausman la rejoint. Elle l’épousera plus tard. À cette époque, elle commence à être active au sein du Parti communiste et en 1936 participe à l’organisation d’une grève à l’usine de Kontakt, où elle est employée. Elle est arrêtée avec douze autres dirigeants de la grève et condamnée à six mois de prison. A sa libération, sa famille essaye en vain de la persuader d’abandonner son activité clandestine. Elle continue son activité à Przemysl, fondant des cellules communistes dans les villages environnants jusqu’à ce qu’elle soit prise dans une arrestation de masse avec quelques douze autres jeunes femmes. Le gouvernement polonais de droite organise un procès au cours duquel les accusés, qui ont refusé d’accepter un avocat, sont immédiatement réduits au silence quand ils tentent de parler pour eux-mêmes. Les proches de Miré qui assistent à son procès confieront plus tard à un ami que seule Miré a parlé pendant une heure et demie sans être interrompue. Elle parle de la grandeur et de la dignité de la Pologne et c’est seulement après avoir captivé l’attention de son public qu’elle présente son message sur l’égalité et la lutte des classes. Son discours a tellement d’impact que deux jours plus tard, le procureur général lui rend visite dans sa cellule et lui offre trois roses. Elle est néanmoins condamnée à douze ans de prison.

Miré continue ses activités même en prison, luttant pour l’amélioration des conditions des prisonniers et améliorant les relations entre eux et les gardiens. En 1938, elle et ses collègues sont transférés avec son groupe à la prison Fordon près de la frontière allemande.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate le 1er septembre 1939, les gardiens de la prison s’enfuient en laissant les portes de la prison vérouillées. Conduites par Miré, les femmes réussissent à ouvrir la porte et à fuir avant l’arrivée des Allemands. Miré a appris que Olek est à Varsovie et s’y rend pour apprendre qu’il est parti pour Bialystok, qui se trouve alors sous contrôle soviétique. Après s’être reposée quelques jours à Varsovie, elle se rend à Bialystok pour le retrouver. Ils voyagent ensemble jusqu’à Lvov, qui est également sous contrôle soviétique, et là ils se marient. Les autorités soviétiques la nomment membre du conseil municipal et commissaire. Sa famille est informée qu’elle a également servi d’arbitre dans les conflits de travail parmi les militants. Après la conquête allemande de juin 1941, Olek doit interrompre ses études au collège technique. Il s’enfuit vers l’est pour rejoindre l’Armée rouge et on n’a plus jamais entendu parler de lui.

Miré, qui est proche de la fin de sa grossesse, n’a pu se joindre à lui. Elle doit trouver une cachette à l’extérieur de Lvov, où elle est trop connue et où les Allemands la recherchent. Elle trouve finalement un abri dans un sous-sol délabré où elle accouche seule, préparant de l’eau chaude, délivrant l’enfant et coupant le cordon ombilical elle-même. Elle parvient à survivre pendant deux ou trois mois avant de demander à des parents, la famille Spiner, à ce moment enfermés dans le ghetto de Cracovie, de venir à son aide. Ils envoient immédiatement envoyé un ami polonais de la famille, qui l’amène à Cracovie après un voyage épuisant avec le bébé dans un wagon de chemin de fer bondé. Arrivée dans sa maison à l’extérieur du ghetto, elle se rend dans la cuisine pour chauffer du lait pour son fils, seulement pour le voir mourir dans ses bras. Tenant le cadavre de son bébé, elle rejoint sa famille dans le ghetto. On est début 1942.

Miré a besoin de quelques mois de repos pour retrouver ses forces physiques et émotionnelles. Elle se retire en elle-même et reste à l’écart pendant deux mois à écrire des poèmes à son fils et à son mari. Après un certain temps, les thèmes de ses poèmes changent, expriment le rétablissement et la volonté de recommencer. Croyant que Olek est encore en vie, elle lui écrit une longue lettre qu’elle laisse à son cousin Vuschka Spiner. Elle y raconte tout ce qui lui est arrivé, exprimant sa douleur et sa déception face à la trahison de ses camarades de confiance à Lvov, qui l’ont menacée de la livrer aux Allemands.

Miré et Spiner vont travailler dans une usine allemande. Spiner rapporte que c’est le moment où ils commencent à se livrer à des activités de sabotage et de résistance, à percer des boîtes de nourriture destinées à l’armée allemande. Ils cessent leur activité lorsque Miré décide qu’elle est trop risquée.

Alors que Miré séjourne dans la maison de Spiner dans le ghetto, elle discute avec le mari de Vuschka Spiner, Dolek Liebeskind, chef du mouvement Akiba, sur la façon, le lieu et le moment appropriés pour agir contre les Allemands. Miré a toujours soutenu que le but des déportations est l’anéantissement des Juifs et qu’ils doivent donc se défendre. Elle décide finalement de quitter le ghetto et de reprendre contact avec ses camarades communistes qui, conformément à un ordre de Staline, ont repris l’activité en tant que PPR (Polska Partia Robotnicza, le Parti des travailleurs polonais) en janvier 1942.

Dans une lettre du 20 novembre 1942 à ses parents, qui sont alors en Suisse, Miré écrit: «Je suis maintenant avec de vieux amis de mon mari et moi. Par leur intermédiaire, j’ai trouvé du travail dans mon ancien métier [la publication d’un journal et de brochures de propagande]. Mon travail m’a rendu l’indépendance et la paix intérieure dont j’ai manqué après la mort de mon enfant.

Miré cherche à recruter sa famille et les amis qu’elle s’estc fait dans le ghetto, tels que Dolek Liebeskind, Shimshon Draenger et Adolf (Avraham) Leibovich (“Laban”), les militants de l’Akiba et du Dror, pour la lutte anti-nazie. Elle apprend que ses camarades du parti hésitent parce qu’ils estiment que le temps de l’action n’était pas venu (ils ne sont pas suffisamment équipés). Cela lui cause beaucoup de peine. En tant que juive, elle est convaincue que son peuple est engagé dans une course contre la montre et doit agir rapidement pour éviter l’anéantissement. C’est grâce à ses efforts que Dolek et ses collègues réussissent à obtenir une petite aide du PPR sous forme de guides dans la forêt, de cachettes pour quelques amis à l’extérieur du ghetto, principalement ceux d’une autre organisation, Iskra (en russe : Étincelle), dirigé par Heshek (Zvi) Bauminger, qui a fusionné avec le PPR. Tova Draenger crédite Miré de “l’envie des membres d’Akiba de sortir et de se battre aux côtés du PPR”, bien que cette envie ait été de courte durée, ne durant que jusqu’à ce que les membres d’Akiba soient déçus par le PPR. Ils voient en Miré Gola «un superbe exemple d’une femme d’esprit raffiné, expérimentée [dans la clandestinité] et une combattant courageuse. Ils croyaient que sa personnalité et son esprit unique reflétaient les valeurs du parti. Ils ne tardent pas à s’apercevoir que non seulement les risques pris ne sont pas égaux, mais que le niveau d’engagement n’est pas égal non plus. … Ils n’ont fourni aucune aide, que ce soit sous forme d’armes, de formateurs ou de guides, ni d’assistance financière. ” Miré est extrêmement blessée par cela, mais Aharon (Dolek) Liebeskind (1912-1942) et Shimshon Draenger concluent qu’il est Impossible de travailler avec un parti dont l’idéologie était étrangère à la leur et de se soumettre à son contrôle.

Miré est responsable de la communication entre son groupe clandestin, sous le commandement de Heshek Bauminger, et le siège de la Gwardia Ludowa, l’aile militaire du PPR. Elle poursuit également son travail dans l’éducation et la propagande, en éditant le journal du parti.

Le 22 décembre 1942, deux groupes de résistants juifs, Iskra, auxquels appartient Miré, et HeHaluz haLohem, sous le commandement de Liebeskind, menent une importante attaque contre les autorités allemandes à Cracovie, capitale du Generalgouvernement. L’opération est nommée Cyganeria d’après le café réservé que fréquentent les officiers allemands. Bien que l’opération ait eu divers objectifs, son succès principal réside dans les nombreuses pertes parmi les officiers allemands. Cependant, des informateurs font capturer de nombreux dirigeants et membres du HeHaluz haLohem. Iskra continue à mener des opérations, bombarder des cibles en dehors de la ville, en grande partie sous l’influence de Miré. En février 1943, Heshek Bauminger est capturé dans sa chambre, où il était malade. Il réussit à tirer sur ses attaquants, en gardant la dernière balle pour lui-même. Au début du mois de mars 1943, Miré est capturée à l’imprimerie du PPR qu’elle avait établie à Cracovie et emprisonnée à Montelupich, connue comme l’une des prisons les plus sévères. D’autres membres sont capturés après l’opération Cyganeria. Après quatorze jours d’isolement et de torture terrible, au cours desquelles elle ne révèle rien, elle est transférée à la cellule 15 dans l’aile féminine, où ses collègues de HeHaluz haLohem sont détenues. Genia Meltzer-Scheinberg a raconté dans son témoignage que l’aspect de Gola horrifia les autres femmes dans la cellule. Ses cheveux et ses ongles avaient été arrachés et elle avait l’air grise et épuisée. Mais là aussi, Miré gagne le respect de ses bourreaux, comme elle l’avait fait dans les prisons où elle était détenue avant la guerre.

Dans sa cellule, Gola écrit des poèmes en yiddish et en hébreu, dont certains sont dédiés à son mari et son enfant mort. D’autres poèmes sont de caractère révolutionnaire et elle les apprend à ses compagnons de cellule. Parmi eux: «Au lieu du progrès»:

Je savais

Que les mitrailleuses sont meilleures que les mots les plus forts

Et que les rangs de soldats sont meilleurs que les lignes de poésie les plus fiables.

Je savais

Qu’une rime écrite même dans la douleur la plus brûlante

Ne peut pas se comparer au tambour des combattants

Montant au combat.

Et cela aussi je le saurai:

Le drapeau rouge flottant dans le vent tempétueux

Est plus précieux que toute chose chantée.

Mais comment puis-je l’aider si j’ai laissé les mots, rassemblés dans la douleur,

Éclater en chanson avant que mon coeur se brise

O poèmes, vous êtes comme des armes qui aspirent en vain.

Alors laissez mon cri torturé être: au combat! au combat!

Miré devient immédiatement très proche des femmes du HeHaluz haLohem et elle est particulièrement appréciée de leur chef Tova Draenger. Lorsque les femmes sont transférées au sous-sol, elles comprennent que la fin est proche. Tova et Miré conçoivent l’idée d’une évasion quand elles seront emmenées au camion qui les amènerait à la “Colline de la mort” à Plaszow. Genia rapporte qu’elles ne croyaient pas réussir. Leur intention était d’«empêcher les Allemands de les conduire à leur mort et de faire savoir au monde que les femmes juives ont organisé cette évasion».

Le plan est que lorsqu’elles seront emmenées dans la rue vers le camion, l’une d’entre elles donnerait le signal et toutes commenceraient à courir, en utilisant l’élément de surprise pour échapper à leurs gardes. À l’aube du 19 avril 1943, la plupart des femmes sont extraites de la cellule du sous-sol et exécutent leur plan lorsqu’elles sont conduites au camion. Il est tôt le matin, trop tôt pour se cacher parmi les masses de gens dans la rue. Lorsque le signal est donné, les femmes s’enfuient pendant que les gardiens les poursuivent en ouvrant le feu. La plupart des femmes sont tuées dans leur course. Génia Meltzer-Scheinberg se coince entre une porte et un mur de cour. Tova Draenger disparait. Miré, qui a été blessée au bras, atteint le portail où Génia se cache, mais décide qu’il n’y a pas assez de place pour les deux. Elle quitte la cour et traverse la rue. Soudain, un coup de feu retentit et Miré tombe morte.

En 1946, le gouvernement polonais a attribué à titre posthume à Mire Gola sa plus haute décoration pour la valeur militaire, l’Ordre Virtuti Militari.

(Source: Jewish Women’s Archive)