Ephéméride | Shmuel Salomonovitch Polyakov [24 Décembre]

24 décembre 1837

Naissance à Doubrowna (Biélorussie) de Shmuel Salomonovitch Polyakov, futur roi des chemins de fer russes et co-fondateur de l’ORT.

L’histoire de sa vie évoque les biographies de nombreux oligarques post-soviétiques d’aujourd’hui. Grâce à son esprit d’entreprise – et surtout aux pots de vin – Polyakov réussit à construire et exploiter un empire des chemins de fer. Puis, après avoir fait fortune, il commença à donner beaucoup d’argent, dans le but apparemment de se faire un nom pour la postérité.

Samuel, ou Shmouel, Polyakov, est né à Dobrousha, en Russie biélorusse, dans la Zone de résidence. Il était le deuxième des trois fils de Salomon Polyakov, qui gagnait sa vie comme collecteur d’impôts privés auprès des fabricants de spiritueux. Samuel commença par travailler pour son père, mais quand les recettes fiscales s’effondrèrent, après les réformes de 1861, il se reconvertit dans la fourniture de matériaux et de main d’oeuvre pour les travaux de construction, puis devint lui-même entrepreneur de construction.

Selon Sergei Witte (lié aux intérêts commerciaux de Polyakov avant son entrée dans le gouvernement), Samuel Polyakov commença l’édification de son empire commercial comme propriétaire d’une station postale privée dans le gouvernorat de Kharkov en Ukraine. Polyakov rendit «un genre de service important» au ministre des Postes et Télégraphes, Ivan Tolstoï, qui s’occupa plus tard des intérêts commerciaux de Tolstoï et, en retour, «Tolstoï lança Polyakov dans sa carrière».

Ce type de relation entre hommes d’État et entrepreneurs juifs était courant dans la Russie d’après l’abolition du servage. Tolstoï au moment de sa mort (1867) aurait possédé un demi-million de roubles (€10 millions d’aujourd’huien actions Polyakov. Les «services» mentionnés par Witte consistaient à gérer une distillerie de vodka sur des terrains vagues appartenant à Tolstoï, et le «lancement» fut assuré par le contrat de construction de la ligne ferroviaire locale Grushovka-Aksay, propriété de la Horde des Cosaques du Don, achevée en 1863.
En 1863-1865 Polyakov exécuta des contrats de sous-traitance de construction pour le « roi » de chemin de fer Karl von Meck.
Finalement, en 1866, Tolstoï récompensa Polyakov par la construction du chemin de fer principal Kozlov-Voronezh-Rostov-sur-le-Don. Polyakov s’enrichit considérablement avec ce projet en facturant à l’état 75 mille roubles par kilomètre de voie, huit fois plus que le prix de revient réel. Cette ligne fut suivie par la ligne Koursk-Kharkiv-Azov, la ligne Gryazi-Oryol et d’autres.

Polyakov fut le pionnier de la construction de voies ferrées à grande vitesse, en introduisant les nouvelles normes de gestion de projet promues par son nouvel allié au gouvernement, le ministre Pavel Melnikov.
La ligne principale Koursk-Kharkiv-Azov (780 verstes, commandée en deux étapes en juillet et décembre 1869) fut construite en un temps record de 22 mois. Elle fournissait la première liaison ferroviaire fiable vers les mines de charbon de Donets Basin où Polyakov avait des intérêts substantiels.
Pendant la guerre russo-turque (1877-1878), Polyakov fut chargé de construire deux lignes de chemin de fer vers le front, Bendery-Galaţi et Frăteşti-Zimnica. La rapidité de construction de ces chemins de fer valut à Polyakov une médaille à l’Exposition universelle de Paris de 1878 et plus de 20 millions de roubles du gouvernement, y compris un bonus de 4,5 millions pour le temps gagné.

En conséquence, dans les années 1870, Samuel avait rejoint le cercle des sept rois du chemin de fer de la Russie tsariste. L’ascension de ces «rois» fut rendue possible par la préférence du gouvernement pour la propriété privée des chemins de fer et un soutien généreux aux entrepreneurs ferroviaires. L’État garantissait inconditionnellement les émissions d’obligations par les compagnies ferroviaires, assurant un flux constant de nouveaux investisseurs. Pendant la période de concession, le propriétaire-exploitant avait droit à tous les bénéfices de l’entreprise. Cette pratique prit fin avec la guerre de 1877-1878, lorsque le gouvernement opta pour la propriété et le contrôle directs des nouvelles compagnies ferroviaires.

En plus des voies nouvellement construites, Polyakov fit l’acquisition de voies existantes, y compris le premier chemin de fer commercial russe de Saint-Pétersbourg à Tsarskoïe Selo, la résidence impériale d’été (acheté en 1880).
Bien que ses compagnies étaient des sociétés publiques, il les dirigeaient comme si elles avaient été sa propriété personnelle. Aucun de ses frères ou enfants n’avait d’actions ou d’influence dans les sociétés de Polyakov.
Les manœuvres financières de Polyakov, bien que légales, étaient discutables. Son premier chemin de fer (Kozlov-Voronezh) fut techniquement mis en place comme une entreprise municipale, mais toutes les actions étaient émises au seul nom de Polyakov. Les statuts de l’entreprise furent approuvés une année entière après le début des activités du chemin de fer, ce qui permit à Polyakov de se soustraire à sa responsabilité envers les autres actionnaires. Polyakov utilisa son «expertise» pour amasser des actions d’autres compagnies de chemins de fer qu’il utilisaient comme garantie contre des prêts de banques étrangères, en misant sur la hausse attendue de la valeur des actions.
Il gonflait artificiellement les coûts de la constructions en échange de pots de vin aux fonctionnaires de l’État, généralement payés avec des actions de chemin de fer.

Ses actions philanthropiques commencèrent à la fin des années 1860, par la création d’un institut des métiers des chemin de fer et d’un lycée, tous deux à Yelets, une ville de la province de Lipetsk. Il créa aussi un institut et une école d’exploitation minière. En récompense de ses contributions, Polyakov espérait être nommé baron, mais le plus grand honneur qu’il obtint fut la médaille de l’Ordre de Saint-Vladimir de troisième classe.

L’assassinat d’Alexandre, le 1er mars 1881, provoqua une vague de pogroms. En août 1881, Polyakov et Horace Günzburg organisèrent la première conférence des représentants juifs de tout l’Empire, pour rechercher une stratégie d’action pour les Juifs russes. Ces conférences et d’autres qui suivirent adoptèrent une attitude contre l’émigration juive et en faveur de l’émancipation. Poliakov souscrit à « l’argument émancipationniste standard », selon lequel la promotion de l’émigration ferait plus de mal aux Juifs, car elle donnerait aux antisémites une raison parfaite pour traiter les Juifs restants comme « irrévocablement étrangers ».

Polyakov fut également, avec les hommes d’affaires juifs Horace Guinzberg et Nikolai Bakst, l’un des fondateurs de l’organisation ORT (acronyme de Общество Ремесленного Труда), la Société pour la société et le travail agricole, qui gère aujourd’hui encore une chaîne d’écoles professionnelles en Israël, en France et dans le monde.
Il participa également à la construction de la Grande Synagogue Chorale, l’une des plus grandes d’Europe.

Polyakov mourut brutalement d’une attaque alors qu’il assistait à des funérailles, le 7 avril 1888. Il avait 50 ans

Six mois plus tard, la réputation de Polyakov subit des dommages posthumes lorsqu’un train transportant le tsar dérailla alors qu’il circulait sur la ligne Koursk-Kharkiv, près de la gare de Borki. Vingt et une personnes perdirent la vie, mais Alexandre III et sa famille survécurent. Dans l’opinion publique, c’est Polyakov, qui n’était plus là pour se défendre, qui fut tenu pour responsable de l’accident en raison de la mauvaise qualité de la ligne.