Ephéméride |Joseph Süss Openheimer [4 Février]

4 février 1738

Exécution publique du banquier et Juif de cour, Joseph Süss Openheimer.

Joseph Süss Openheimer naquit à Heidelberg en 1698. Il était le fils de R. Issachar Süsskind Oppenheimer, chanteur et chef d’une troupe ambulante de chanteurs et de comédiens, et de Michele, fille du lecteur R. Salomon de Frankfort-sur-le-Main.
Le père de Joseph mourut prématurément, laissant le garçon à la garde d’un oncle, qui entreprit sa formation et son éducation. Joseph avait peu de goût pour les études, mais il manifesta un fort penchant pour les affaires et obtint un emploi dans de grandes maisons de commerce juives à Francfort-sur-le-Main, Amsterdam, Prague, Vienne et ailleurs, où il put acquérir un aperçu de la vie de la noblesse.
Dès son plus jeune âge, il scandalisa ouvertement ses coreligionnaires par ses violations des lois religieuses juives. Sa grande connaissance des affaires et son intelligence lui assurèrent le poste de conseiller et responsable des affaires auprès d’un législateur nommé Lauz à Mannheim. Par la suite il fournit le papier timbré pour la cour de l’Electeur du Palatinat, et ensuite la monnaie pour Darmstadt. En 1734, l’Electeur le nomma fournisseur en chef de la Cour et des armées. Les relations d’affaires d’Oppenheimer l’obligeaient à maintenir deux résidences, une à Mannheim et une à Frankfort-sur-le-Main. En 1732, par l’intermédiaire d’Isaac Simon de Landau, il fit la connaissance du prince Carl Alexander de Wurtemberg, alors général impérial et gouverneur de la Serbie. Gagnant la faveur du prince et de sa femme, Oppenheimer fut nommé fournisseur en chef de la Cour et des armées et gardien de la fortune privée du prince.

Lorsque le prince Carl devint duc de Wurtemberg (décembre 1733), il se trouva entouré de nombreux opposants. Sa position devint délicate et ses mesures contrecarrées par l’intrigue, et il lui devint nécessaire de s’adjoindre des conseillers intègres et capables. Conformément à cette politique, il nomma Oppenheimer son conseiller confidentiel, dont la fonction spéciale était d’aider le duc à mettre en ordre ses finances. Le 9 janvier 1734, le prince nomma Oppenheimer résident et fournisseur privé. En vertu d’un accord conclu entre le duc et Oppenheimer à Heilbronn le 5 juin 1734, ce dernier prit en charge, à partir du 1er juillet, le contrôle de la Monnaie, garantissant ainsi au duc une augmentation substantielle de ses revenus. La gestion d’Oppenheimer généra des profits inattendus, et la confiance du duc envers lui augmenta; tandis que les adversaires du prince voyaient d’un oeil mauvais, l’habileté avec laquelle Oppenheimer enrichissait le duc et conduisait à succès les diverses entreprises financières privées confiées à sa direction par son maître.
En 1735, une nouvelle source de revenus fut apportée au duc grâce au monopole de l’impression des cartes à jouer, accordé à Moïse Drach et à sa compagnie pour un forfait annuel.

Oppenheimer avait obtenu pour les Juifs des contrats d’approvisionnement pour l’armée du Rhin. Il en résulta une hostilité accrue envers les Juifs augmenta dans le pays et des plans furent établis pour provoquer la disgrâce d’Oppenheimer. Des plaintes ont été déposées contre sa gestion de la Monnaie. Ces griefs furent renforcés par le fait que le duc ne récoltait pas alors les profits qu’il espérait, bien que cela ne fût dû qu’aux nombreuses améliorations qu’Oppenheimer avait été obligé de faire ainsi qu’à diverses circonstances fâcheuses dont Oppenheimer n’était pas responsable. Après de longues discussions, un nouvel accord fut conclu sur la Monnaie (oct. 1735), non moins avantageux pour la bourse du duc que l’ancien accord. Pourtant, les difficultés liées à la Monnaie augmentèrent inévitablement en raison d’une crise monétaire qui frappait alors toute l’Allemagne. Au Württemberg, Oppenheimer fut accusé d’avoir frappé des pièces de monnaie moins titrées que la norme et en quantités plus grandes que celles autorisées, pour s’enrichir lui-même et le duc. Oppenheimer demanda donc au duc de faire effectuer un audit approfondi et demanda à être relevé de la charge de la monnaie. Après avoir obtenu l’avis d’experts, le duc proclama publiquement (20 mars 1736) qu’Oppenheimer n’avait pas causé la crise de la Monnaie. Les conseillers Boesenius et Hallwachs se chargèrent de la révision comptable et la firent traîner en longueur jusqu’à ce qu’Oppenheimer insiste à nouveau pour être déchargé et déclare son intention de quitter le pays et le service du duc.

Le duc donna alors un témoignage éclatant de sa confiance en Oppenheimer en le nommant conseiller privé des finances. Grâce à sa nouvelle dignité, Oppenheimer put installer à Ludwigsbourg un grand nombre de familles juives, malgré les fortes objections des États, auxquelles le duc ne prêta aucune attention, et malgré la loi qui interdisait aux Juifs de s’établir dans le pays.
Les difficultés monétaires continuelles du duc, son désir d’être financièrement indépendant des États et les plans militaires qu’il avait en vue l’obligeaient à rechercher toujours de nouvelles sources de revenus, et il avait besoin du conseil d’Oppenheimer. Par décret du 22 décembre 1736, un «conseil tutélaire» fut nommé chargé de tenir un registre des dots de mariage et de surveiller le partage des biens en cas de décès, certaines taxes étant imposées dans ces cas. Il était également de la responsabilité de ce conseil de déterminer où et comment ce décret avait été violé et d’imposer les amendes nécessaires. Par ce décret, une sorte de surveillance était instituée sur la propriété de toute personne ayant des biens, ce qui causa un vif mécontentement. Les plaintes s’accumulèrent contre l’injustice des commissaires tutélaires, qui acceptaient des pots-de-vin et opprimaient ceux qui ne voulaient pas les corrompre.

Dans la même année, 1736, le duc publia un autre règlement qui excita fortement les gens du pays et dont la responsabilité fut attribué à Oppenheimer. C’était l’institution de commissions chargées d’examiner la conduite de certains fonctionnaires, de leur infliger des amendes ou de les destituer, de nommer de nouveaux titulaires et de redistribuer de telles fonctions. Ces commissions devinrent une menace; elles conduisirent au chantage et à la corruption. Certains soudoyaient les commissaires pour être maintenus en fonction; d’autres, pour être nommer; d’autres, pour échapper à la punition ou à la disgrâce. Un « Gratialamt » fut établi, où les demandes de postes étaient reçues ainsi que les « dons de gratitude » qui les accompagnaient. Le duc autorisa Oppenheimer à accepter les considérations des requérants, lui et son maître se partageant ces reçus entre eux.

Les sommes recueillies par ces procédés étaient devenues si importantes vers la fin de 1736 que les fonctionnaires et le peuple, l’Église et l’aristocratie, les propriétaires fonciers et les marchands, bref tous ceux qui possédaient ou gagnaient de l’argent, devenaient de plus en plus irrités contre les décisions du conseil tutélaire, des commissions et du «Gratialamt», et tout le mal en fut attribué aux mauvais conseils d’Oppenheimer.
L’amertume générale s’intensifia lorsque le duc décréta (13 janvier 1737) que l’exportation et l’importation des cuirs et des peaux devaient être contrôlées – qu’un bureau de contrôle devrait imposer certaines taxes et percevoir de lourdes amendes en cas de violation de la loi. Cinq jours plus tard, le duc décréta que tous les salaires seraient payés promptement et régulièrement par les principales caisses, qui devraient toujours être munies des sommes nécessaires par le conseiller privé des finances (Oppenheimer), mais que, en retour, trois kreutzer par florin (5%) devrait être déduit de tous les salaires. Les sujets remontés appelèrent cette déduction le « Judengroschen ». Quelques jours après (21 janvier 1737), le duc ordonna que tous les Juifs qui devaient voyager à travers le Wurtemberg soient autorisés à entrer et à sortir du pays moyennant le paiement des taxes habituelles, et que les Juifs qui avaient l’intention de rester dans la capitale devait se rapporter au Conseiller privé des finances Oppenheimer, qui en conférerait alors avec le duc.

Les fonctionnaires civils essayèrent d’obtenir l’abolition du « Judengroschen », mais le duc confirma explicitement son ordre dans un décret du 1er février suivant. A tous ces règlements, destinés à remplir la bourse privée du duc, vinrent s’ajouter le monopole des cafés, du ramonage, du commerce du tabac, du sel, du vin et des épices. En outre, il y avait diverses taxes sur les timbres, une loterie et une taxe sur la vente des billets pour les fêtes de carnaval. Pour ceux qui avaient besoin d’un conseil juridique, un « Fiscalamt » fut créé, qui percevait des frais dans tous les cas. Il était en outre prévu d’organiser une banque dans laquelle tous les fonds du clergé et des fondations ecclésiastiques seraient déposés.

Les États n’acceptèrent aucun de ces schémas et institutions, en insistant sur leurs droits constitutionnels, auxquels le duc ne prêta aucune attention. Des étrangers récoltaient les bénéfices de tous les monopoles. Le soupçon des protestants que le duc envisageait un coup d’état pour faire de la religion catholique celle du pays s’ajoutait à tous ces griefs. A Oppenheimer (le « Juif Süss ») fut attribuée la cause de tout cela. Sa vie luxueuse exaspérait les gens, et une longue déclaration de griefs fut envoyée au duc dans le but de placer le Juif en disgrâce. Mais le duc déclara, par un décret du 12 février 1737, « que le Conseiller privé des finances Oppenheimer était un fidèle serviteur de son prince et de l’État, et qu’il agissait de toutes les manières au bien-être des deux, ce pourquoi il méritait la reconnaissance de tous.Puisqu’il était, au contraire, persécuté par l’envie et la mauvaise volonté à tel point que des tentatives avaient même été faites pour le mettre en défaveur du duc, ce dernier lui accordait sa protection spéciale et interdisait expressément la poursuite de telles attaques. »

Cependant Oppenheimer, apercevant le danger qui le menaçait, dressa ses comptes, les soumit au duc, qui les déclara corrects (8 mars 1737) et se prépara à quitter le pays. Le 11 mars 1737, le duc l’appella à Ludwigsburg pour passer la dernière nuit avec lui. A neuf heures et demie, le duc mourut subitement et Oppenheimer fut convié à accompagner le colonel Röder à Stuttgart pour avertir la duchesse.
La même nuit, tous les Juifs de Stuttgart, dont Oppenheimer, furent arrêtés. Après une vaine tentative de fuite, il fut conduit à Neuffen et de là à Asperg, où, après avoir été jugé, il fut condamné à être pendu (17 décembre 1737). Le 4 décembre, le pasteur Rieger s’efforça de le convertir au christianisme, mais Oppenheimer resta ferme, bien que très affaibli par l’emprisonnement et fort perturbé mentalement.

La sentence de mort fut confirmée le 25 janvier 1738, par le régent du duché, le prince Rudolph. Oppenheimer, qui n’avait aucune idée du sort qui lui était réservé, fut emmené à Stuttgart le 30 janvier 1738, le lendemain on lui lut sa sentence, et il fut exhorté à se repentir et à accepter la foi chrétienne. Oppenheimer, cependant, déclara: « Je vais mourir comme Juif, je subis la violence et l’injustice. »
De nouveau deux ministres et un Juif baptisé, un lecteur à Tübingen, tentèrent de le convertir au christianisme, mais Oppenheimer résista fermement.
Le 3 février, il se prépara à la mort en présence du lecteur et de quelques Juifs. Le lendemain, il fut conduit à la potence spécialement érigée pour lui, au milieu des réjouissances de milliers de personnes.
Une dernière tentative fut faite pour le convertir, mais comme elle s’avérait aussi infructueuse, il fut tiré vers l’échelle par les bourreaux.
Clamant à haute voix « Shema ‘Yisrael », il fut placé de force dans une cage attachée au sommet, et la corde qui avait été placée autour de son cou fut tirée.
On retira la corde après un quart d’heure, une chaîne fut placée autour de son cou et la cage verrouillée.
Aucun de ses co-accusés chrétiens ne fut exécuté, leurs peines étant soit remises, soit atténuées.

Les historiens modernes considèrent aujourd’hui que son exécution fut un assassinat judiciaire.

Telle fut la fin du Juif Süss historique. Mais un autre Juif Süss revint sur le devant de la scène au XXe siècle. (à suivre)