Ephéméride | Proclamation d’indépendance de la Lituanie [16 Février]

16 février 1918

Proclamation d’indépendance de la Lituanie. Elle rétablissait un état indépendant de Lituanie régit par des principes démocratiques, avec Vilnius comme capitale. L’état indépendant de Lituanie dura de 1918 à 1940. Établie sous les meilleurs auspices, la situation des Juifs se termina en cauchemar.

La plupart des dirigeants politiques juifs lituaniens avaient soutenu les revendications d’indépendance. Les relations politiques lituaniennes et juives durant cette période étaient assez étroites, les Lituaniens cherchant un soutien juif pour les revendications nationales contre les revendications russes et polonaises rivales.

En raison de l’émigration et de la déportation massive de quelque 120 000 Juifs lituaniens en Russie durant la Première Guerre mondiale, et surtout de l’annexion du district de Vilna par la Pologne en 1920, le nombre de Juifs en Lituanie indépendante tomba à 155000 (7,6% de la population totale). Seulement 25 ans plus tôt, 212 666 Juifs vivaient dans la seule province de Kovno (qui abrite 83% des Juifs de Lituanie indépendante). Néanmoins, les Juifs restaient la plus grande minorité nationale.

La plupart des Juifs lituaniens actifs étaient employés dans le commerce, l’industrie et l’artisanat, avec seulement une petite minorité dans l’agriculture, les professions libérales et les transports.
Les Juifs participaient aux élections lituaniennes, qui étaient encore démocratiques avant le coup d’État ultranationaliste de Voldemaras-Smetona en décembre 1926, et plusieurs occupèrent des positions dans le gouvernement.
En fait, les gouvernements lituaniens successifs formés entre 1918 et 1924 comprenaient tous un ministère spécial des affaires juives. Dans le premier gouvernement lituanien de 1918, Jakub Wygodzki était ministre des affaires juives, Shimshon Rosenboim était ministre adjoint des Affaires étrangères et Naḥman Rachmilewitz était sous-ministre du commerce. Entre trois et huit représentants juifs ont été élus dans chacun des trois parlements lituaniens avant le coup d’État, mais, après 1921, aucun Juif n’occupa de poste ministériel, sauf en tant que ministre des affaires juives.

Le ministère des Affaires juives naquit des discussions judéo-lituaniennes pendant la guerre, qui aboutirent en août 1919 à la Conférence de paix de Paris à un engagement lituanien en huit points concernant les droits nationaux juifs.
En plus d’un département ministériel pour représenter les intérêts juifs, les Juifs se voyaient promis l’égalité civique; une représentation proportionnelle au parlement; la reconnaissance du yiddish et de l’hébreu comme langues officielles; l’observance sans entraves du shabbat et des fêtes juives; l’administration autonome d’organisations culturelles, religieuses et de protection sociale; le soutien de l’Etat aux écoles juives; et le droit de taxer les juifs pour financer les institutions juives.
Des promesses similaires furent faites aux autres minorités ethniques. Cependant, bien que plusieurs de ces garanties furent mises en œuvre durant les trois premières années de l’indépendance lituanienne, l’assemblée constituante lituanienne refusa de les incorporer dans la constitution adoptée en 1922. Une fois l’indépendance reconnue internationalement, les dirigeants politiques de plus en plus nationalistes n’avaient plus besoin du soutien des minorités, et ils firent en sorte de transformer le pays, d’une fédération de nationalités autonomes en une ethnocratie lituanienne.
En 1924, non seulement le ministère des Affaires juives fut supprimé, mais la reconnaissance légale qui avait été étendue à de nombreuses institutions juives, y compris le pouvoir d’imposition des communautés juives, fut révoquée.

Malgré tout, les premières années de l’indépendance lituanienne furent marquées par une explosion remarquable de l’activité politique et culturelle juive collective. La période commença avec la première conférence des communautés juives, réunie en janvier 1920. La conférence désigna un Conseil national composé de 34 représentants de l’ensemble du spectre politique et social. Un comité exécutif fut élu pour mettre en œuvre des résolutions économiques, politiques et culturelles. Des douzaines d’employés et de spécialistes fournissaient un soutien professionnel au comité.

Le ministère des Affaires juives et le Conseil national investirent des efforts et des ressources considérables pour éduquer plus de 13 000 enfants juifs d’âge scolaire primaire.
En même temps, ils évitèrent la controverse linguistique entre les partisans du yiddish et les défenseurs de l’hébreu. Dans les petites villes, où un nombre limité d’élèves permettait d’établir et de maintenir une seule école, les compromis en matière de langue et de programme étaient courants. Ces écoles étaient souvent appelées pshore-shuln (écoles de compromis).
Sur 160 écoles élémentaires dans lesquelles plus de 10 000 élèves étudièrent au cours de l’année scolaire 1920-1921, 68 étaient des phshore-shuln, 46 appartenaient au système sioniste Tarbut, 30 au système religieux Yavneh et 16 au système scolaire de la Kultur-lige yiddishiste.
Après que les autorités eurent aboli les activités de la Kultur-lige en 1924 en raison d’une supposée infiltration communiste de sa direction, certaines de ses écoles furent supervisées par la Yidishe Bildungs Geselshaft (Société juive d’éducation), dirigée par des membres du Parti populaire. Au fil du temps, les phshore-shuln fermèrent leurs portes; certains de leurs professeurs et élèves rejoignirent le réseau Yavneh, d’autres le Tarbut.

À la suite du coup d’État de 1926 et de l’arrivée au pouvoir du Parti nationaliste, les communautés juives furent restreintes à des organisations réduites qui se consacraient principalement à satisfaire des besoins religieux. La communauté juive lituanienne resta sans représentation officielle. Seule une poignée de personnalités acceptables pour les autorités, ainsi que les dirigeants de l’Organisation des anciens combattants de la guerre d’Indépendance (qui comptait 3 000 membres) pouvaient parfois intercéder auprès du gouvernement au nom des intérêts juifs.

Les sionistes (des révisionnistes de droite au Po’ale Tsiyon de gauche) constituaient le plus grand groupe politique de la communauté juive lituanienne. Près de 50 000 personnes participèrent à l’élection des délégués au XIXe Congrès sioniste (1937) et les mouvements de jeunesse sionistes comptaient 8 625 membres à leur pic (1931).

Le groupe religieux orthodoxe Agudas Yisroel était surtout intéressé par le maintien de ses établissements d’enseignement. A l’inverse, la Kultur-lige, qui inclinait vers la gauche politique, ainsi que les membres du Folkspartey et du Bund, soutenaient les écoles yiddish et encourageaient la création culturelle en yiddish.
Le minuscule Parti communiste, avec ses 514 membres juifs en 1933, opérait dans la clandestinité. Cependant, à la fin des années 1930, les communistes avaient repris le quotidien bien établi Folksblat, qui avait été fondé et publié par les Folkistes. De fait, les années 1930 virent un renforcement marqué des cercles politiques juifs de gauche.

La communauté juive lituanienne créa des centaines d’organisations, d’entreprises, d’associations et d’institutions qui se consacraient aux questions religieuses, éthiques, professionnelles, économiques et artistiques. En 1938, le nombre de ces organisations fonctionnant avec la permission des autorités lituaniennes était de 215 (soit 28% de toutes les organisations socioculturelles légalement reconnues du pays)!

Le principal terrain de tension entre les Juifs et leurs voisins en Lituanie était économique. À mesure que l’urbanisation progressait, les Lituaniens se retrouvèrent en concurrence avec les marchands et les artisans juifs. Le slogan « La Lituanie aux Lituaniens » fut clamé de plus en plus fortement à mesure que l’autoritarisme du gouvernement s’affirmait et que la crise économique mondiale s’intensifiait après 1929.
En 1938, les articles 73 et 74 de la Constitution garantissaient aux Juifs les droits à l’éducation, à la culture et au bien-être furent abrogés. Les étudiants juifs de l’Université de Kaunas durent occuper des bancs séparés dans les amphithéâtres. Les restrictions imposées aux juifs dans les facultés de médecine, d’agriculture et d’ingénieurs, firent chuter considérablement le nombre d’étudiants juifs (de 1206 en 1932 à 500 en 1939).
Les passages à tabac des Juifs dans les rues n’étaient pas rares. Pourtant, contrairement à la Roumanie et la Pologne, il n’y eu pas de pogroms en Lituanie avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il y eut aussi une certaine coopération entre les intellectuels lituaniens et juifs au cours de cette période. Par exemple, une anthologie de la littérature lituanienne fut publiée en hébreu, et une collection de dainas lituaniennes (chansons folkloriques) fut publiée en yiddish.

En l’absence d’un organe représentatif officiel de la communauté juive lituanienne, une petite organisation fonctionnait secrètement. Plusieurs personnalités ayant une grande expérience publique et politique dirigeaient cette organisation.
En raison de leurs efforts et de leurs liens étroits avec l’establishment lituanien, les dirigeants nationaux publièrent souvent des déclarations destinées à rassurer les citoyens juifs dans une situation de tension et d’animosité croissante. Néanmoins, les actes de violence, ainsi que les calomnies dans les médias, persistèrent.

À la fin d’octobre 1939, lorsque Vilnius retourna à la Lituanie et que l’armée lituanienne entra dans la ville, des habitants, peut-être encouragés par les autorités lituaniennes, lancèrent de violentes attaques contre les Juifs.
Si l’on compte les 80 000 Juifs de la province de Vilna, où quelque 12 000 réfugiés juifs avaient fui la Pologne (avec plusieurs milliers d’autres à destination de Kaunas), la population juive de Lituanie comptait alors environ 250 000 personnes, soit environ 10% de la population.
Parmi les réfugiés se trouvaient 2 600 étudiants de yechivas et leurs enseignants, 2 065 membres de mouvements de jeunesse sionistes, environ 1 500 activistes de partis sionistes et 560 militants du Bund et d’autres organisations.
Des écrivains, des intellectuels, des dirigeants politiques et des personnalités de différents milieux se trouvaient également parmi les réfugiés. Leur objectif principal était de partir le plus tôt possible pour d’autres pays, principalement à l’étranger. Beaucoup réussirent à quitter la Lituanie, principalement par l’URSS ou la Scandinavie.

(Source: Dov Levin, YIVO)