Ephéméride | Fred Zinnemann [14 mars]

14 mars 1997

Disparition à Londres de Fred Zinnemann, cinéaste de la résistance.

Zinnemann, plus que tout autre metteur en scène, a produit des films historiques sur la montée et la résistance au fascisme, la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale, et leur impact d’après-guerre sur l’Europe et l’Amérique.
Dans une certaine mesure, les antécédents de Zinnemann ont déterminé son intérêt pour le cinéma. Comme de nombreux réalisateurs européens émigrés juifs, Zinnemann a perdu des membres de sa famille pendant l’Holocauste, y compris ses parents d’origine polonaise, le Dr Oskar et Anna Zinnemann.

Fred Zinnemann apprit que son père avait été déporté à Belzec, en Pologne, où il fut assassiné fin 1941. Anna, accompagnée de sa nièce, le Dr Helena Hirschhorn, fut déportée à Auschwitz où elle mourut très probablement début 1942.
D’après les éléments laissés par Zinnemann à Yad Vashem des années plus tard, Helena s’était portée volontaire pour accompagner sa tante.
Zinnemann dissimulait ses sentiments personnels au sujet de l’assassinat de ses proches, mais dans une interview de 1978, il admit que son fort sentiment de « culpabilité de survivant » avait motivé son travail de cinéaste.

Pendant quatre décennies, il tenta de convaincre les producteurs hollywoodiens de refaire le film yiddish classique, le Dybbuk d’Anski. Il ajoutait: « Je ne suis pas religieux au sens de fréquenter la synagogue, mais j’ai dans le sang une très forte tradition juive. Je ne peux pas prétendre être à la hauteur de cette vie religieuse, mais cela me donne de la force dans tout ce que je fais, et il en a toujours été ainsi. »

L’originalité du point de vue de Zinnemann sur la résistance antifasciste saute aux yeux quand on considère l’historiographie et l’idéologie de la Résistance. L’accent est mis très largement sur l’Europe occidentale et la France. L’intérêt académique pour les variantes américaines du fascisme et de la résistance est relativement récent, bien que l’intervention des Américains dans les croisades européennes contre le fascisme soit un sujet populaire en littérature (Hemingway), en histoire (la Brigade Abraham Lincoln dans la Guerre d’Espagne) et au cinéma (Casablanca, 1942).
L’Espagne est presque négligée en raison des arrangements embarrassants des alliés avec le régime de Franco pendant et après la guerre en Europe.
En Europe, la commémoration des victimes de la persécution nazie commença en 1943-1944 avec les efforts de rapatriement des gouvernements de Belgique, et des Pays-Bas, en exil à Londres.

Après la guerre, les gouvernements durent décider comment gérer la population des ressortissants de retour et déterminer qui étaient des héros nationaux, des résistants, des victimes ou des collaborateurs.
Les officiels français étaient confrontés avec l’identification massive des communistes comme LE parti de la résistance.
En août 1945, presque tous les prisonniers étaient retournés dans leur pays d’origine, mais il y eut des réactions différentes aux résistants politiques, aux travailleurs forcés, aux travailleurs volontaires et bien sûr aux survivants juifs.

En Belgique, des tentatives furent faites pour reconnaître « le critère de la souffrance » qui « élevait toutes les victimes au rang de héros de la Nation » et incluait les déportés juifs, les communistes et les résistants politiques catholiques.
Comme le parti catholique voulait une part à égalité dans la représentation des héros publics, les aides d’Etat et le capital politique qu’ils constituaient, ils rejetèrent la définition inclusive, pour une autre qui définissait soigneusement les « prisonniers politiques » comme les grands héros de la Résistance et ceux qui méritaient le plus reconnaissance publique et pensions.
En excluant les Juifs, les francs-maçons et les athées antifascistes d’avant-guerre, et le nombre élevé de résistants communistes assassinés, les catholiques étaient maintenant bien représentés.
Comme l’a conclu Pieter Lagrou, « contraint de céder sur l’inclusion des communistes au pouvoir, le Parti populaire chrétien accepta le compromis que constituait la marginalisation des survivants juifs. »

On pourrait soutenir que les histoires de Résistance de Zinnemann commémoraient non seulement le rôle important des communistes dans la résistance à Hitler (La Septième croix), mais aussi rétablissaient les victimes juives via Karel et ses pairs orphelins déplacés (Les Anges marqués), comme des survivants reconnus et héroïques de l’oppression nazie.
De fait, il reconnaissait un « critère de souffrance » inclusif pour constituer ses héros de la Résistance.

Alors que les actes de résistance de George Heisler sont définis de manière plus conventionnelle (agitation politique, internement, évasion, travail politique continu), Karel et sa mère survivent au système des assassins et vivent à nouveau en famille.

La Septième Croix: (The Seventh Cross, 1944, d’après le roman d’Anna Seghers)

Allemagne 1936 : Hitler et les Nazis sont au pouvoir depuis Janvier 1933, les premiers camps de concentration sont ouverts, essentiellement pour les opposants politiques. De celui de Westhoffen, près de Mayence, 7 déportés s’évadent. La chasse à l’homme est lancée. Le premier évadé repris est celui qui a dirigé l’évasion : après sévices et tortures, il est accroché à un tronc d’arbre sur lequel une planche est clouée, le transformant ainsi en croix. Il meurt mais son esprit vagabonde et soutient l’un des évadés, Georges Heisler (Spencer Tracy) à qui il enjoint de croire qu’une étincelle de bienveillance existe encore chez certains Allemands. Le commandant du camp fait dresser 6 autres croix. 5 évadés sont repris, battus à mort, et placés sur les croix. Georges Heisler réussit à entrer dans Mayence, sa ville natale, il parvient à échapper à la Gestapo, à la vigilance des habitants et, blessé, affamé, erre dans la ville à la recherche d’un réseau de résistants qui le cherche aussi. Il finit par trouver de l’aide auprès d’inconnus (une costumière de théâtre, un médecin juif, une servante d’auberge, un ouvrier) puis d’un ami d’enfance qui prend tous les risques pour le sauver. Cet ami va parvenir à entrer en contact avec le réseau de résistance et Georges, qui a retrouvé confiance en l’Homme, peut s’enfuir vers la Hollande et la liberté, décidé à reprendre la lutte contre le nazisme au nom de ceux qui l’ont aidé. Le film se clôt sur la 7e croix.

Les Anges marqués: (The Search, 1948)

En 1946, dans l’Allemagne vaincue et détruite, Ralph Stevenson (Montgomery Clift), un soldat américain, recueille un garçon tchèque de 9 ans, Karel Malik, que la guerre a rendu méfiant et qui vient de s’enfuir d’un centre de regroupement des enfants perdus où il n’avait pas voulu révéler son identité. Ralph finit par gagner la confiance de Karel et lui apprend l’anglais. Une grande amitié naît entre le soldat et son jeune protégé qu’il baptise Jim. Le soldat doit retourner en Amérique et voudrait adopter l’enfant. Parallèlement, la mère de Malik, séparée de lui alors qu’ils étaient déportés à Auschwitz, continue de le rechercher alors que le centre duquel Malik s’était échappé le croit noyé lors de sa fuite.

Dans ses mémoires évoque ses souvenirs de tournage avec les enfants en termes poignants:
« C’était un énorme défi de persuader les enfants de jouer dans le film. J’ai dit à de nombreux groupes que nous avions besoin de leur aide pour réaliser un film qui, nous l’espérions, serait une aide pour les enfants du monde entier, mais que cela impliquerait de raviver des souvenirs douloureux. S’ils étaient volontaires, parfait: s’ils ne le voulaient pas, c’était tout à fait OK.
Ils se sont tous portés volontaires. C’était pour la plupart des enfants juifs à ce moment-là. Les autres étaient retournés dans leur pays, mais les enfants juifs n’avaient nulle part où aller. Ils devinrent extrêmement tendus et très, très bouleversés quand nous avons commencé à leur raser la tête, à les habiller des vieilles loques des camps de concentration et à les photographier avec des numéros d’identification. En même temps, nous pouvions voir ce qu’ils apporteraient au film …
La même chose est arrivée plus tard; beaucoup d’enfants savaient que les nazis avaient déguisé leurs chambres à gaz mobiles de sorte qu’elles paraissaient être des ambulances. Quand les enfants furent enfermés dans un véhicule de la Croix-Rouge pendant l’une de nos scènes, leur panique fut horriblement réelle.

C’était aussi l’époque où les enfants juifs étaient regroupés et, graduellement et secrètement, traversaient la frontière pour l’Italie. Cette activité devait être officieuse en raison du blocus britannique encore existant contre les immigrants juifs en Palestine. Les enfants étaient guidés par des émissaires de l’Agence juive, qui devinrent plus tard une partie du gouvernement d’Israël. »

Le système d’identification et de classification des résistants après la guerre mettait également à l’écart les réalisations des femmes, en particulier en France. Comme l’a souligné Margaret Collins Weitz, de nombreuses résistantes déportées dans des camps en Allemagne n’avaient pas de survivantes de leurs réseaux pour sauvegarder leurs histoires.
La commémoration publique de la Résistance s’est concentrée sur les maquisards armés où les femmes étaient souvent empêchées de se battre. Et beaucoup de femmes, torturées, internées et profondément marquées par leurs expériences, préféraient oublier. Jusqu’à récemment, l’historiographie de la Résistance ignorait pratiquement la présence des femmes, mais avec la prolifération des mémoires féminines, des histoires populaires et l’intérêt pour l’histoire orale, dans les années 1970, le public commençait à écouter les voix des femmes. Avec « Julia », Fred Zinnemann mit l’accent sur le rôle des femmes.

Julia (1977)

Basé sur un chapitre des Mémoires de la dramaturge américaine Lillian Hellman intitulés Pentimento, Julia conte, avec force ellipses, les grandes étapes de l’amitié qui l’unit des années 1910 aux années 1940 à « Julia », pseudonyme d’une riche héritière en porte-à-faux avec les valeurs de son temps. Le nazisme gagne du terrain en Europe, ce qui amène Lilly, en visite, à relever le défi de sa vie : transporter en secret, à la demande de son amie, 50 000 dollars afin d’aider la résistance.
La tension est à son comble dans les scènes se déroulant dans le train Paris-Berlin, puis dans la séquence du café Albert, à Berlin, où Julia et Lilly se retrouvent enfin. Elles se prennent la main, échangent regards et confidences, mais doivent se quitter abruptement, car elles sont surveillées.
(avec Jane Fonda, Vanessa Redgrave et Jason Robards)

Les héros antifascistes de Fred Zinnemann sont souvent des héroïnes solitaires telles que Gabrielle van der Mal (Audrey Hepburn) et Lisa (Diana Lambert) dans « The Nun’s Story » (Au risque de se perdre) ou l’insaisissable Julia. Son héros de la Seconde Guerre mondiale le plus connu, adoré dans sa ville natale américaine, était en réalité un quisling qui trahissait son unité alors qu’il était interné dans un camp de prisonniers allemands (Van Heflin, « Act of Violence »).
À l’opposé, le principal héros de la Résistance était un communiste allemand, George Heisler (Spencer Tracy).
La Septième Croix se distingue des films allemands classiques ou plus récents sur la résistance interieure anti-nazie (« Canaris: Master Spy » », 1954, Der 20. Juli, 1955″, « Valkyrie », 2004, « Sophie Scholl », 2005).
Tandis que ces films allemands recherchent et valorisent des résistants « privilégiés » comme l’amiral Wilhelm Canaris de l’Abwehr, le comte Klaus von Stauffenberg et, plus récemment, Sophie Scholl, dirigeante étudiante de la « Rose blanche », les résistants allemands de Zinnemann ne reçoivent ni accolades ni reconnaissance après la guerre, mais restent anonymes.
Tous ont des voix, et bien qu’elles ne soient pas entendues dans les récits historiques traditionnels ou les célébrations publiques, leurs voix entrent en résonnance avec l’histoire de la résistance européenne au fascisme.
« Le courage a besoin de témoins », explique Gabrielle dans « The Nun’s Story » (1959), et la caméra de Zinnemann et sa manière unique de montrer l’histoire de la Résistance constituent parmi les témoignages les plus puissants de la lutte contre le national-socialisme au XXe siècle.

Zinnemann était unique comme réalisateur de films sur la Résistance en ce qu’il se concentrait sur les gens ordinaires, évitait l’héroïsme conventionnel et l’action militaire, et montrait des résistants à des systèmes qui semblaient trop puissants pour être vaincus. Julia, l’héroïne de la Résistance la plus évidente et la plus active de ses films, est tuée et on ne se souvient d’elle qu’à travers la voix de Lillian Hellman. Il n’y a pas de « Happy end’.

Le légendaire « High Noon » (Le train sifflera 3 fois) mérite-t-il d’être classé parmi les films de résistance de Zinnemann?
Sans doute, mais de résistance, cette fois, contre la montée des tendances fascisantes au sein de la société américaine de l’époque. Le film est une dénonciation du maccarthysme, l’attitude lâche des habitants de la ville est une allégorie de l’attitude des professionnels du cinéma qui rejetaient leurs collègues inclus dans la Liste noire de Hollywood.
Carl Foreman, le scénariste du film, fut d’ailleurs convoqué par la Commission des activités anti-américaines pendant qu’il écrivait le script. Foreman, fils d’une famille ouvrière juive, qui avait été membre du Parti communiste, l’avait quitté depuis dix ans mais refusa de «donner des noms» et fut considéré comme «témoin non coopératif» par la commission. A la suite de quoi, il fut banni de Hollywood pendant 6 ans.
La meilleure preuve que « High Noon » n’était pas un simple western exaltant un héroïque shérif solitaire est que John Wayne le traita de film anti-américain.