15 mars 1900
Des morceaux du corps de l’étudiant Ernst Winter sont découverts dans un lac près de Konitz en Prusse. Un bras est trouvé dans un cimetière. La rumeur du meurtre rituel se répand. C’est le début de la célèbre affaire de Konitz.
Ernst Winter, fils d’un architecte de Prechlau, était élève du lycée de Konitz. Bien qu’âgé seulement de dix-neuf ans, il était connu pour ses moeurs dissolues.
Le 11 mars 1900, il quitte sa pension après le dîner et ne revient pas. On pense immédiatement que le jeune homme était tombé à travers la glace en patinant sur le lac. En conséquence, le lac est fouillé et, le 15 mars, ont découvre des parties de son corps. Son bras droit est trouvé dans le cimetière, où quelqu’un l’avait jeté par-dessus la clôture; et le 15 avril sa tête est récupérée dans une mare.
Le corps avait été démembré par quelqu’un possédant une connaissance de l’anatomie; Aussi le soupçon se retourne-t-il contre les bouchers locaux, surtout contre le boucher chrétien Hoffmann, dont la fille avait été souvent aperçue en compagnie de Winter, et dont un membre de la famille avait été menacé Winter à cause de ses assiduités auprès de la jeune femme.
Les antisémites, cependant, essayent dès le départ de détourner la suspicion contre les habitants juifs, et comme aucune preuve n’implique aucun Juif, ils accusent la police de les protéger.
Le 9 mai 1900, la « Staatsbürgerzeitung », le principal organe antisémite de Berlin, déclare: « Personne ne peut s’empêcher d’avoir l’impression que les organes du gouvernement ont reçu l’ordre de poursuivre l’enquête d’une manière calculée pour épargner les Juifs. »
C’est le contraire qui est vrai. Les détectives et les juges acceptent avec empressement les déclarations les plus improbables impliquant les Juifs, tandis que les témoins chrétiens dissimulent des faits importants.
La femme du surintendant du lycée, Rohde, dans le mouchoir de laquelle la tête de Winter a été retrouvée, ignore l’appel de la police demandant au propriétaire de ce mouchoir de se faire connaître. C’est par un simple accident qu’on découvre la propriétaire.
De plus, deux jeunes hommes qui ont été vus pour la dernière fois en compagnie de Winter n’ont jamais révélé leur identité.
Un Juif, Wolf Israelski, est arrêté sur l’accusation fumeuse selon laquelle, deux jours avant la découverte de la tête, on l’avait vu marcher en direction de l’endroit où la tête avait été trouvée, avec un sac sur le dos dans lequel se trouvait un objet rond.
Malgré ses dénégations, et alors que l’état de conservation de la tête prouve de façon concluante qu’elle doit avoir séjourné dans la glace pendant un certain temps, Israelski est emprisonné pendant près de cinq mois jusqu’à ce que son procès établisse son innocence.
Le boucher Hoffmann, qui avait également été arrêté, est libéré, et le conseil municipal, dont il est membre, lui fait un accueil chaleureux lors de sa première apparition après sa libération.
Le langage de la cour, dans son jugement de relaxe contre Hoffmann, est formulé de telle manière que l’accusation de meurtre rituel est indirectement confirmée.
Parmi les motifs de relaxe, le tribunal juge que l’acte doit avoir été perpétré par plusieurs personnes et selon un plan prémédité.
Le Dr Müller, le médecin du comté (« Kreisphysikus »), émet l’opinion que Winter avait été saigné à mort, ce qui, comme le prouveront les investigations ultérieures, est intenable. Cette opinion est publiée dans la « Staatsbürgerzeitung » avant la clôture de l’enquête judiciaire; et pour cet abus de confiance, le fils de Müller, qui avait communiqué le document à la presse, sera censuré par un jury d’honneur (« Ehrengericht »).
Le 8 juin de la même année, un hangar près de la synagogue de Konitz est incendié; et deux jours plus tard, des déprédations sont commises contre la synagogue et contre les maisons juives au point que l’armée doit intervenir.
Des émeutes similaires, mais d’un caractère moins grave, ont lieu à Czersk (22 avril), Stolp et Bütow (21-22 mai), Tuchel (10 juin) et Komarczyn (17 juin).
Un vieil homme nommé Landecker, de Cammin, est sans aucune provocation assommé avec une fourche. Dans tous ces cas, les peines infligées aux émeutiers ou aux assaillants sont très légères, tandis que les Juifs, quand ils viennent devant la cour, rencontrent un sentiment hostile et reçoivent de lourdes peines pour les moindres délits.
Un fonctionnaire du comté à qui un Juif se plaint des insultes dont il a été victime dans la rue, lui répond: « Vous pouvez facilement obtenir un appaisement, si vous dénoncez le meurtrier. »
Un bedeau de synagogue qui s’était défendu avec un bâton contre une foule qui l’assaillait est condamné à une année de prison, et une sentence similaire est infligée à un apprenti juif parce qu’il avait battu un garçon qui l’avait raillé.
Un citoyen très respecté, Jacob Jacoby de Tuchel, est condamné à un an de prison pour parjure (10 octobre), car il a juré avoir traité des jeunes gens qui l’avaient poursuivi avec des cris de « Hep-Hep! » de voyous seulement après qu’ils l’aient insulté, alors que les jeunes gens avaient juré que c’était lui qui les avait injurié en premier.
Cette condamnation choque tellement l’opinion publique que l’empereur la commue en six mois de prison, et révoque la partie par laquelle le condamné est privé de ses droits civils (mars 1901).
Le pire des cas de persécution était celui de Moritz Lewy, décrit plus loin.
Très indulgente est l’attitude des autorités envers deux dangereux agitateurs qui tentent d’exploiter l’affaire, le comte silésien Pückler et le pasteur poméranien Krösell.
Le premier, qu’un tribunal jugera dément ultérieurement, se livre dans diverses villes à de violentes diatribes contre les Juifs, dans lesquelles il déclare, entre autres, que les Juifs doivent être chassé hors du pays à coups de matraques et que les chrétiens doivent patauger dans du sang juif jusqu’aux chevilles.
Le pasteur Krösell, qui devra abandonner plus tard son ministère pour échapper à une expulsion en raison de sa vie immorale, délivre dans le voisinage des conférences sur le meurtre rituel de Konitz et sur l’immoralité de la littérature rabbinique, mais ni les autorités ecclésiastiques ni les autorités de l’Etat n’interviennent, et la population apprécie tellement son travail, qu’en 1903, il est élu au Reichstag.
Au Reichstag, où l’affaire fait l’objet d’une interpellation (8, 9 Février 1901), le ministre de la justice de Prusse, Schönstedt, se limite à la défense des autorités contre l’accusation de protection des Juifs, mais il évite de prononcer le moindre mot de condamnation à l’encontre de l’accusation de meurtre rituel, et même de déclarer qu’il n’y avait aucune raison de supposer ce motif dans le cas d’Ernst Winter.
Les antisémites ne sont naturellement freiné par aucun scrupule dans leur désir de tirer parti de cette opportunité. Le dirigeant politique, Liebermann von Sonnenberg, déclare dans un discours public: « Les chrétiens ne se sont pas encore habitués à supporter sans murmures le meurtre de jeunes chrétiens de manière non naturelle par des Juifs dans les murs de leurs villes. »
Les journaux antisémites, y compris les organes du parti clérical comme « Germania », et ceux des conservateurs comme la « Kreuzzeitung », attisent encore le fanatisme religieux et alimentent le préjugé selon lequel, le gouvernement avait été acheté par les Juifs.
Une association pour l’enquête sur le meurtre est formée à Konitz. On répand une accusation selon laquelle la commission d’enquête n’a pas inspecté le bain rituel près de la synagogue et laissé de côté une chambre dans la maison du boucher Adolf Lewy, dans laquelle sa femme était censée être souffrante.
L’accusation est infondée. Non seulement toutes les pièces de la maison de Lewy et tous les coins de la synagogue ont été fouillés, mais la commission avait prélevé un échantillon de sang dans la cour qui servait à tuer les volailles, ajoutant ainsi aux soupçons de la population.
On avait, de toute évidence, cherché à égarer la police sur les traces du meurtre car plusieurs vêtements appartenant à la victime avaient été conservés, sans être découverts, dans une maison de la ville jusqu’en janvier 1901, et retrouvés ensuite à différentes dates dans un parc public.
Les membres d’une famille très respectée de Cammin, les Rosenthal, sont enfermés en prison pendant six mois, parce qu’une servante avait témoigné avoir entendu Rosenthal dire qu’il se pendrait à un crochet du plafond, parce qu’il ne pouvait plus supporter le remords d’avoir participé au meurtre.
L’enquête prouvera que c’était un faux témoignage intentionnel. Dans la chambre, indiquée par la servante, il n’y avait pas de crochet, mais l’affaire contre la fille sera classée au motif de folie (1902).
La manière habile dont le corps de Winter avait été démembré avait immédiatement orienté les soupçons vers des bouchers, et Adolf Lewy, dont la maison se trouvait à proximité du lac où le tronc de Winter avait été repêché, est l’un d’eux.
Cependant, l’état des restes trouvés dans l’estomac de Winter montre qu’il ne pouvait pas être mort plus tard que sept heures du soir. Par chance, Adolf Lewy et son fils Moritz ont un alibi irréfutable pour les heures pendant lesquelles le meurtre a été commis. Mais les antisémites, qui désirent leur implication, témoignent que Lewy a été souvent vu en compagnie de Winter.
Lewy nie avoir connu Winter, mais admet qu’il a pu lui avoir parlé et même avoir marché avec lui sur une certaine distance, comme des témoins en avaient témoigné, sans le connaître par son nom.
Au procès pour parjure de l’élève d’école normale, Speisiger, Lewy renouvelle sa déclaration selon laquelle il ne connaissait pas Winter, alors que divers témoins assurent qu’ils les ont vu ensemble.
Lewy est arrêté le 6 octobre 1900. Les accusations portées contre les Lewy reposent sur le témoignage d’une personne de mauvaise réputation, dénommée Masloff, et de sa belle-mère, dénommée Ross.
Masloff prétend qu’il était passé devant la cave de Lewy, le soir du meurtre, et avait été attiré par un gémissement et une lumière inhabituelle qui en filtrait. Allongé sur le sol, il avait observé des gens avec des restes humains sur l’établi de boucher et avait vu trois d’entre elles quitter la maison avec un paquet et se diriger vers le lac.
Le témoignage est manifestement faux et contient beaucoup de contradictions que Masloff tente d’expliquer par une prétendue confession selon laquelle il s’était rendu sur les lieux pour commettre un cambriolage.
Des personnes qui étaient passées près de la maison de Lewy à peu près au moment où Masloff prétendait être allongé sur le sol à observer la cave n’avait remarqué personne.
Qu’un homme soit resté une heure et demie sur le sol par une froide nuit de mars était hautement improbable. Le meurtre n’avait pu être commis à une heure si tardive, et les investigations conduites dans la cave n’ont révélé aucune preuve d’un tel acte ni aucun signe d’un nettoyage en profondeur qu’il aurait rendu nécessaire.
La femme Ross semble avoir été l’instigatrice de la conspiration, vraisemblablement motivée par la récompense promise pour la découverte du meurtrier. Elle avait travaillé chez les Lewy et prétendait avoir vu l’étui à cigares d’e Winter avec sa photographie en possession de la famille.
Il est cependant prouvé qu’aucun photographe de Winter n’existait. Masloff est condamné à un an et sa belle-mère à dix-huit mois de pénitencier pour parjure (25 octobre 1900); mais le jury signe une pétition demandant leur grâce, que l’empereur n’accordera pas.
L’accusation contre les Lewys, fondée sur de faux témoignages, est maintenant réfutée, mais le gouvernement dans son désir de se débarrasser de l’accusation de protection des Juifs, porte l’affaire au tribunal (25 septembre 1901), lorsque l’affaire est classée. Entretemps Moritz Lewy est jugé pour parjure pour avoir nié qu’il connaissait Winter.
Bien qu’il s’en tienne à ses déclarations initiales et en dépit du fait qu’il ne pouvait avoir d’autres raisons de se parjurer que la crainte de se mettre en difficulté, il est condamné à quatre ans de pénitencier (13 février 1901). Il est néanmoins libéré le 12 octobre 1903 par grâce de l’empereur. Son père était depuis longtemps parti pour Berlin, son commerce entièrement ruiné. De nombreux Juifs de Konitz font de même et la population juive chute de 481 à 350 entre 1900 et 1903.
De grande importance est l’enquête effectué à Dantzig par le collège royal de santé (Königliches Medizinalkollegium) pour la Prusse occidentale, qui montre que Winter a été étranglé à mort, et que, contrairement à la déclaration du médecin du comté, sa mort n’était pas le résultat de la cde sa gorge tranchée. Cette opinion, rendue le 7 septembre 1901, est confirmée par la plus haute autorité médicale, le Conseil scientifique de santé publique, le 15 janvier 1902. Il est démontré en outre que la jalousie était, selon toute vraisemblance, le motif du meurtre.
Une fois de plus, c’était pour des raisons politiques évidentes que l’appel du père de Winter devant la cour supérieure de Marienwerder est jugé suffisamment fondé pour justifié un nouveau procès, qui a lieu le 4 juin 1902 et qui prouve l’absence totale de fondement de toutes les accusations portées contre les Juifs.
Le gouvernement se montre lui-même plus déterminé à poursuivre pour diffamation envers les autorités. Bruhn, l’éditeur, et Bötticher, le rédacteur en chef, de la « Staatsbürgerzeitung, », qui a dès le début, accusé le gouvernement de protéger les Juifs, sont condamnés pour diffamation, le premier à 6 mois et le second à une année en prison (11 octobre 1902).
Tous deux seront cependant élus au Reichstag en 1903. Auparavant, GA Dewald, éditeur berlinois, avait été condamné à six mois de prison pour avoir, à l’occasion du premier anniversaire de l’assassinat de Winter, publié des cartes postales montrant Winter suspendu par les pieds dans la cave de Lewy et les Juifs prêts à lui trancher la gorge.
Le procès Konitz connaîtra une triste suite. Le 28 septembre 1903, Abraham Levy, un linotypiste juif polonais, est assassiné à Steegers, en Prusse occidentale, par deux ivrognes, qui le raillaient au sujet du meurtre et qui, lorsqu’il leur répond par des insultes, le battent à mort.
L’un des coupables sera condamné à un an de prison, tandis que l’autre sera relaxé (13 janvier 1904).
(Source: Jewish Encyclopedia, 1906)
