29 mars 1945
Massacre de Schützen. Au premier jour de Pessakh, 58 Juifs au moins sont assassinés dans une forêt, à proximité du village autrichien de Deutsch Schützen.
Les chercheurs n’ont commencé que récemment à se focaliser sur les tueries nazies perpétrées au cours des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale.
A ce moment-là, les massacres de masse dans les chambres à gaz ou par les pelotons d’exécution des Einsatzgruppen et des régiments de police avaient pris fin.
Les victimes étaient maintenant abattues alors qu’on les poussait hors des camps sorties ou lors des marches qui suivirent, mourraient de faim ou succombaient aux épidémies. Cette forme de tuerie pendant la phase finale du régime se traduisit par un taux de mortalité élevé: environ 250 000 victimes, soit environ 35% de celles qui étaient encore dans le système des camps de concentration en janvier 1945.
Les ordres d’évacuation des camps ne provenaient pas des autorités locales, mais des échelons les plus élevés du gouvernement. Que les prisonniers survivent ou non au voyage importait peu.
L’extermination elle-même n’était pas organisée et contrôlée comme elle l’avait été auparavant; elle se déroulait maintenant de manière décentralisée, perpétrée par des tueurs parce qu’ils se trouvaient simplement sur place (Volkssturm, Waffen-SS, Hitler Jugend [HJ], responsables locaux du parti, policiers, etc.).
Empêcher les prisonniers des camps de concentration et de travail de tomber entre les mains de l’ennemi figurait probablement en tête de l’ordre du jour des dirigeants nazis, dont les motivations allaient de la peur à l’élimination des témoins de génocide et de crimes de guerre jusqu’à la prise d’otages qui pourraient servir de monnaie d’échange dans la négociation avec les puissances occidentales.
Les marches de la mort des Juifs hongrois se déroulèrent en deux étapes. La première dura d’octobre 1944 à janvier 1945, lorsque 50 000 des 240 000 juifs de Budapest ainsi que les hommes qui effectuaient encore des travaux forcés furent conduits dans des camps le long de la frontière austro-hongroise et forcés de construire une ligne de positions défensives. dénommée le Südostwall. La deuxième étape commença à la fin de mars 1945 avec les marches de la mort de ces camps vers Mauthausen et Gunskirchen.
En octobre 1944, la construction du Südostwall commença, des fortifications consistant en des pièges à tanks, des tranchées, des terrassements et des bunkers qui devaient s’étendre de Bratislava jusqu’au nord de l’Italie et repousser la marche de l’armée rouge vers l’ouest. En mars 1945, 102 000 personnes, dont 86 000 étrangers – Juifs hongrois pour la plupart – étaient au travail pour sa construction. Leurs conditions de vie variaient d’un endroit à l’autre, en fonction des politiques des commandants de camp et des équipes de gardes.
À Deutsch Schützen, les conditions de vie étaient considérablement meilleures que dans les autres camps situés le long du Südostwall. Les quelque cinq cents Juifs hongrois – tous des hommes – envoyés à Deutsch Schützen entre janvier et mars 1945 semblaient d’abord avoir eu de la chance. Leurs récits d’après-guerre décrivent leurs conditions de vie comme relativement tolérables. De leur point de vue, rien n’indiquait que leur vie était en danger imminent.
Le chef de la construction dans ce secteur était Bannführer (Jeunesse hitlerienne) Alfred Weber. Ses subordonnés étaient huit garçons des JH qui avaient été détachés à Deutsch Schützen à l’automne de 1944. Quatre SA gardaient les Juifs.
À la fin de mars 1945, le Front de l’Est avait presque atteint la frontière austro-hongroise. On pouvait entendre des tirs d’artillerie tous les jours. Selon toutes les indications, la guerre serait bientôt terminée et les travailleurs forcés juifs pouvaient l’attendre dans une sécurité relative à Deutsch Schützen.
À l’approche de l’Armée rouge à la fin de mars, le chaos régnait dans les villes situées le long de la frontière. D’innombrables personnes – des unités armées et des réfugiés civils – se précipitaient en masse vers l’ouest.
Parmi elles, le SS-Unterscharführer Adolf Storms. Il venait d’être dépassé par l’armée rouge en Hongrie, mais avait réussi à se faufiler à travers les lignes ennemies à la faveur de l’obscurité et à atteindre Deutsch Schützen, à l’intérieur du Troisième Reich, le soir du 28 mars. Peu de temps avant lui, deux autres SS étaient arrivés à Deutsch Schützen.
Ainsi, dans la soirée du 28 mars, Weber et les trois SS se réunirent dans la maison paroissiale pour discuter de la situation. Il était clair que ce n’était plus qu’une question de jours, peut-être même d’heures, avant que l’armée rouge prenne la ville.
Weber était responsable de 500 prisonniers qui, depuis la désertion des quatre SA quelques jours auparavant, n’étaient plus gardés.
Johann Kaincz, un des Jeunesses hitlériennes à l’époque, raconta plus tard que son supérieur, Weber, était perdu: « Weber répétait sans cesse, presque en soupirant, « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire des Juifs? » «
Dans la nuit du 28 au 29 mars 1945, Weber, Storms et les deux SS non identifiés parvinrent à une décision: tous les 500 travailleurs juifs devaient être fusillés.
L’exécution de tous les quelque cinq cents Juifs de Deutsch Schützen fut une décision isolée. Dans aucun des autres camps situés le long du Südostwall, les exécutions de tous les Juifs ne furent effectuées ni même planifiées. Les évacuations des camps se déroulèrent selon un schéma établi. Le plan élaboré par l’administration du district et mis en œuvre à partir du 28 mars demandait que ceux qui étaient capables de marcher effectuent une marche de deux à trois jours depuis les camps respectifs jusqu’à un point de rassemblement sous la garde d’une équipe locale. Seuls ceux qui étaient malades ou inaptes à marcher étaient abattus avant le départ des autres ou laissés derrière eux, généralement pour être tués plus tard par les unités de Waffen-SS battant en retraite.
La plus haute priorité était d’empêcher les Juifs de tomber entre les mains de l’Armée rouge. La rumeur selon laquelle les Juifs devaient être abattus circulait dans le village. Mais les jeunes garçons des Jeunesses hitlériennes n’étaient pas à la hauteur de cette tâche meurtrière – il n’y en avait pas assez, et ils n’avaient pas la force mentale nécessaire.
L’arrivée des SS changea la marge de manœuvre de façon décisive. Soudain et de façon inattendue, Weber avait une équipe de vétérans endurcis au combat avec lui. C’est leur présence qui permit de traduire une intention meurtrière en actes homicides. Non seulement les Waffen-SS n’avaient eu aucun scrupule à tuer des Juifs en Europe de l’Est; ils comptaient également parmi les principaux auteurs de crimes commis sur le territoire autrichien dans la dernière phase de la guerre qui coûta la vie à de nombreux Juifs.
Après que deux groupes totalisant une soixantaine d’hommes eurent été abattus, le massacre fut soudain interrompu. « Halte! Cessez le feu! » Ces ordres mirent fin aux tirs. Sur ce, les trois SS arrêtèrent leur opération dans les bois et retournèrent en ville.
La raison pour laquelle ce mode opératoire pour les tueries avait été choisi était le rapport numérique entre les victimes et leurs exécuteurs: trois SS armés de mitraillettes devaient affronter 500 Juifs.
Ils espéraient mener les tueries sans éveiller les soupçons en formant des groupes de vingt à trente travailleurs en les équipant de pelles et de bêches comme s’il s’agissait d’une mission de travail.
Du point de vue des meurtriers, abattre plus de victimes en même temps aurait été trop risqué – après tout, les Juifs avaient entre les mains des outils qu’ils auraient aussi pu utiliser comme des armes.
Il y avait le risque que, à la vue des SS armés et de la tranchée contenant les cadavres sans vie de leurs camarades, ils essaieraient de se défendre ou de fuir.
Mais la méthode choisie avait un inconvénient décisif: elle prenait du temps. Environ une heure s’était écoulée entre le moment où les hommes avaient été sélectionnés jusqu’à ce qu’ils gisent morts dans les bois.
Former des groupes de vingt à trente hommes signifiait qu’il aurait fallu plus de vingt heures pour assassiner les 500 personnes. Ainsi, le plan était pratiquement irréalisable. Et même pour les SS les plus endurcis, une « mission » comme celle-ci était trop demandé. De plus, le temps était essentiel puisque l’Armée Rouge n’était alors qu’à quelques kilomètres.
Les quelque quatre cents Juifs qui avaient échappé au massacre furent placés en colonnes et informés qu’ils partaient vers un autre site de travail.
Ainsi commença le chapitre suivant de leur histoire de souffrance – la marche de la mort. Le HJ-Führer, Weber, Storms et les deux autres SS les accompagnèrent lors de la marche de deux jours vers leur destination initiale, Hartberg.
Une fois les prisonniers arrivés à Hartberg, le détachement de gardes fut dissous. Les garçons de la HJ formèrent une escouade antichar commandée par Storms jusqu’à la fin de la guerre.
Les travailleurs forcés juifs de Deutsch Schützen ainsi que plusieurs autres groupes de Juifs qui avaient travaillé sur le Südostwall effectuèrent une marche forcée de plusieurs jours jusqu’au camp de concentration de Mauthausen et ensuite vers son camp subsidiaire de Gunskirchen.
On estime que 23 000 juifs hongrois périrent pendant ces marches de la mort – abattus en plein jour par des gardes ou succombant dans la souffrance à l’émaciation et à l’épuisement.
Alfred Weber fut capturé en Allemagne de l’Ouest en juillet 1955. Il avait le passeport de son frère sur lui. Il avait passé dix ans en fuite ou dans la clandestinité. Il fut inculpé d’incitation au meurtre et tentative de meurtre et de crimes de guerre.
Juste avant le procès, il désigna un témoin d’Edlitz, qui témoigna avoir vu un homme à Edlitz dans la matinée du 29 mars, bien qu’il ne put affirmer avec certitude s’il s’agissait de Weber. En outre, seuls deux membres des HJ-Führer pouvaient se souvenir que l’ordre d’assassiner les Juifs venait de leur supérieur, Weber.
Le jury déclara Weber non coupable.
En octobre 2009, Adolf Storms fut inculpé pour avoir « commis un homicide en collaboration dans au moins cinquante-sept cas; de les avoir en outre commis avec cruauté cruellement dans cinquante-sept instances et, dans un cas additionnel, insidieusement ».
Mais en juin 2010, avant que son cas puisse être jugé, Adolf Storms mourut à Duisburg à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
