17 avril 1389
L’année 1389 fut particulièrement dangereuse pour la communauté juive de Prague, car Pessakh et la Pâques chrétienne coïncidaient. Les chrétiens risquaient d’être enflammés par les interprétations haineuses de la Passion du Christ. À l’occasion, cela pouvait mener à une mise en accusation virulente des Juifs et déclencher une violence collective. Une atmosphère particulièrement odieuse pouvait se développer pendant les préparatifs juifs lorsque les Juifs faisaient cuire la matsah, qui selon un mythe chrétien récurrent devait être mélangée à du sang d’enfants chrétiens.
Comme d’habitude, il était interdit aux Juifs de paraître en public entre le Jeudi Saint et Pâques. Cependant, le quartier juif de Prague était à cette époque empli de gens dont certains étaient chrétiens.
À un certain moment, le Samedi Saint, une procession se fraya un passage à travers les petites ruelles apportant l’hostie à un chrétien mourant. Ainsi jaillit la fameuse étincelle qui mit le feu aux poudres, les chrétiens affirmant par la suite que des pierres leur avaient été lancées, répandant l’hostie sur le sol.
Quelle que fût la vérité derrière tout cela, elle tourna à la tragédie lorsque certains Juifs furent trainés en ville pour être punis.
Le dimanche de Pâques, les chrétiens, insatisfaits, envahirent le quartier juif, armés de pierres, d’épées et de haches. Après que le quartier eût été incendié, les Juifs se réfugièrent dans l’Altneuschul, où ils commencèrent à «sanctifier le Nom» (Kiddush ha-Shem) en tuant d’abord leurs enfants, puis eux-mêmes. C’était l’échappatoire traditionnelle depuis l’époque romaine, plutôt que de se soumettre à un massacre ou à des baptêmes forcés.
Le nombre de morts a récemment été estimé à environ 4 à 500, soit environ la moitié ou les deux tiers des Juifs de Prague à cette époque.
Et puis le pillage commença. Malheureusement, le roi, qui dépendait fortement des revenus de l’impôt sur la communauté juive, ordonna ensuite que les objets de valeur soient rassemblés au château. Selon une source des valeurs en quantité de cinq barils d’argent finirent dans les coffres du roi. Certains laissèrent même entendre que le roi avait été personnellement impliqué dans l’instigation des meurtres et des persécutions.
Le pogrom de Prague ne tombe pas dans le schéma général des pogroms européens, ni des premiers liés aux croisades et perpétrés par les musulmans comme par les chrétiens, ni de la vague plus tardive provoquée par la peste noire. C’était juste un de ces odieux événements récurrents, qui de temps en temps entachaient l’histoire de l’Europe médiévale.
Aujourd’hui, on peut visiter l’endroit, où les horribles tueries ont eu lieu.
Chaque année, la lamentation ou l’élégie spéciale, Et Kol ha-Tela’ah asher Mea’atnu, qui fut composée par Rabbi Avigdor Kara après les meurtres, est lue à Yom Kippour à Prague.
« La Passion des Juifs de Prague »
Une autre raison de se souvenir de ce pogrom particulier est un texte, qui fut écrit dans la foulée: « La passion des Juifs à Prague ». Récemment objet d’une étude méticuleuse par l’historienne de l’église Barbara Newman, ce texte curieux – la Passion – doit être classé comme une parodie, bien qu’il ne possède aucunement les aspects humoristiques, reliés à ce genre. Néanmoins, c’est tout de même une parodie dans la mesure où est racontée l’histoire des événements de Prague avec les Juifs dans le rôle de Jésus, mais avec la déformation supplémentaire, que le meurtre des premiers (par opposition à celui du second) était totalement justifié!
Les sources de la parodie sont des textes de la Bible, principalement les évangiles de Saint-Matthieu et Saint-Jean, à partir desquelles de longs passages sont sélectionnés et transformés. Plus de 90 versets bibliques sont cités, bien que souvent déformés. Par exemple, la prière de Jésus à Gethsémané est inversée. Alors que le véritable verset (selon Matthieu) est « Et pourtant non comme je le veux, mais comme vous voulez », le meneur de la foule chrétienne s’exclame que le résultat de la violence, ne sera pas comme les Juifs « veulent, mais comme nous le ferons « .
Selon Barbara Newman, une telle distorsion crée un espace littéraire pour le lecteur, à qui est constamment rappelée la nature radicale de la «vraie» passion, qui sert de caisse de résonance pour l’histoire de la Passion des Juifs à Prague. D’une part, il y avait la Passion à Prague au sujet des Juifs, que la populace, une bande d’émeutiers mercenaires et des magistrats impitoyables, croyaient avoir fait arriver. D’un autre côté, il y avait la Passion du Christ.
Newman est d’avis que cette caisse de résonance – la passion biblique – sape radicalement les points que l’auteur de la Passion de Prague tente de faire valoir. Elle croit que l’auteur anonyme «a vu dans les événements de Prague le renouvellement de la vengeance du Sauveur contre les Juifs». Selon Barbara Newman, la formule de la parodie, que l’auteur a choisie – la passion du Christ – a créé un «inconscient textuel qui, malgré les gros efforts de l’auteur, laisse filtrer la grâce de l’ironie et de la pitié».
Que l’auteur anonyme en ait eu conscience – ce qui n’est pas l’opinion de Barbara Newman – n’est pas facile à établir, dans la mesure où la Passion n’est actuellement pas disponible en dehors d’une traduction en tchèque.
Curieusement, l’un des manuscrits contenant la Passion de Prague, selon Barbara Newman, provient de la cathédrale et contient des œuvres anti-hussites.
Il est bien connu que le premier réformateur protestant, Jan Huss (1369 – 1415), est supposé avoir eu des relations amicales avec les Juifs à Prague et en particulier avec le rabbin Avigdor Kara. Et sur la pierre tombale d’Avigdor Kara – la plus ancienne du cimetière de Prague, son père reçoit l’épithète de martyr. Il a probablement été tué durant le massacre.
On se demande si la parodie était plus qu’une simple parodie de la Passion du Christ? Peut-être était-ce une parodie élégante des discours de haine des bourgeois de Prague vers 1400. On pourrait même se demander si Jan Huss ou un de ses amis ne l’a pas écrite?
Vraisemblablement, il étudiait déjà à l’Université pendant les Pâques fatidiques de 1389 et dût voir les événements de près. Et se sentir écoeuré!
