Ephéméride |Erich Salomon [28 Avril]

28 avril 1886

Naissance à Berlin d’Erich Salomon, inventeur du photo-journalisme.

Le premier paparazzi de l’histoire a oeuvré bien avant que le mot ne soit inventé : c’est dans les années 1930 que l’Allemand Erich Salomon connaît la gloire avec ses photos volées d’hommes politiques et de personnalités. Caché derrière un paravent, l’appareil planqué dans un chapeau ou un attaché-case, cet homme élégant et passe-partout surprend les délégués des grandes nations qui baillent ou ronflent lors des interminables séances de nuit, aux conférences internationales.

Erich Salomon est né dans une famille juive allemande prospère, bien assimilée à la société berlinoise. Son père était banquier; sa mère venait d’une lignée d’éditeurs de premier plan. Il étudie d’abord la zoologie, puis s’oriente vers l’ingénierie avant de s’orienter vers le droit en 1913. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, il est enrôlé dans l’armée du Kaiser et capturé peu après lors de la première bataille de la Marne. Il passe les quatre années suivantes dans des camps de prisonniers de guerre, où il sert d’interprète et acquiert la maîtrise du français, ce qui s’avérera plus tard indispensable pour accéder aux conférences.

Dans les années d’après-guerre, la fortune de la famille fond dans les tempêtes inflationnistes qui ont dévasté l’économie allemande, et Salomon est forcé de vivre de ses talents. Il fonde un service de location de voitures avec chauffeur et de motos électriques. L’entreprise échoue, mais une publicité où il propose de donner gratuitement des conseils juridiques et financiers à des clients pendant qu’il les conduit, attire l’attention de la maison d’édition Ullstein et, en 1925, elle lui propose un emploi dans leur département de promotion. Chez Ullstein, Salomon est immédiatement fasciné par la photographie, et commence bientôt à prendre des photos pour les quotidiens du groupe Ullstein. Après avoir expérimenté et maîtrisé la technique de prise de vue d’intérieur à la lumière existante, Salomon n’a aucun mal à convaincre Ullstein de le laisser couvrir le procès à sensation d’un tueur de policiers pour le Berliner Illustrierte.

Toute photo prise dans la salle d’audience, où la photographie est interdite, serait un scoop majeur pour le journal, mais celles avec lesquelles Salomon revient sont extraordinaires. Salomon y parvient en cachant son appareil photo dans un chapeau melon, en découpant un trou pour l’objectif. Le dernier jour, quand un préposé à la cour s’aperçoit finalement de ce qu’il fait et exige ses négatifs, Salomon a recours à un truc qu’il devait utiliser encore et encore. Il remet des plaques non exposées, se confond en excuses et part avec les clichés exposés dans ses poches.
En 1928, un an seulement après avoir commencé à s’intéresser à la photographie, la carrière de Salomon est lancée.

Bientôt, Salomon couvre un autre procès pour meutre sensationnel. Cette fois, Salomon, devenu un créateur de gadgets confirmé, cache son Ermanox dans un attaché-case équipé d’un ensemble complexe de leviers pour déclencher l’obturateur. Lorsque ces photos sont largement publiées dans toute l’Europe, il quitte son poste de collaborateur chez Ullstein pour devenir un professionnel à son compte.
La même année, il couvre sa première série de conférences internationales: le sommet de Lugano, une session de la Société des Nations à Genève et la signature du pacte de désarmement Kellogg-Briand à Paris, où il entre
calmement dans la salle et prend le siège du délégué polonais absent.
A ses heures perdues, il fréquente les événements diplomatiques et mondains à Berlin.

Grâce sa persévérance obstinée, à ses manières discrètes et ses résultats spectaculaires, Salomon rencontre de moins en moins d’obstacles à sa présence dans les cénacles d’où tous les autres photographes sont exclus.
En effet, de nombreux hommes d’état commencent à acceptation de bonne grâce son omniprésence. A l’ouverture d’un rassemblement international, le ministre français des Affaires étrangères, Aristide Briand, amuse ses collègues délégués en regardant autour de lui et en s’écriant: « Où est le Dr Salomon? Nous ne pouvons pas commencer sans lui. Les gens vont penser que cette conférence n’est pas importante du tout! »

En 1931, Salomon atteint l’apogée de sa carrière. Pour célébrer son quarante-cinquième anniversaire et la publication de son livre « Contemporains célèbres à des moments d’inattention », il organise une fête pour quatre cents membres de la société berlinoise dans l’élégant hôtel Kaiserhof.
Mais sa célébrité dans sa patrie est de courte durée. Un an plus tard, il revient d’un deuxième voyage en Amérique pour trouver Hitler ayant installé son quartier général au Kaiserhof et la République de Weimar, à l’agonie. Salomon, comme beaucoup d’autres, se prépare bientôt à partir.

Il décide de s’installer en Hollande, pays natal de sa femme. Depuis la Haye, il couvre de nombreux événements clés. Il continue également à voyager. La Grande-Bretagne le fascine particulièrement, et il s’y rend fréquemment pour photographier les dirigeants du gouvernement et de l’opposition ainsi que les membres de la famille royale.
À la fin des années trente, il est invité à venir en Amérique par le magazine Life qui vient de prendre son essor et recruté beaucoup de ses photographes.
Il envisage d’émigrer, mais il ne cesse de remettre à plus tard. Bientôt, il est trop tard pour partir.
En mai 1940, le Blitzkrieg nazi engloutit les Pays-Bas en quatre jours. Le photographe candide qui avait été la coqueluche de la société berlinoise quelques années auparavant est maintenant obligé de porter l’étoile jaune.
En 1943, Salomon et sa famille se cachent. Ils sont trahis par un releveur de compteurs qui a noté une augmentation de la consommation de gaz.

Selon les dossiers de la Croix-Rouge, Erich Salomon, son épouse et leur fils cadet sont morts à Auschwitz en juillet 1944, un mois après le débarquement des Alliés en Normandie.

Le photographe a marqué son temps par son talent bien plus que par son audace. En refusant les figures imposées du portrait posé de l’époque, il a jeté les bases d’un genre nouveau, le photo-journalisme. Ses images sur le vif se veulent moins scandaleuses que réelles : on y voit des politiciens qui dorment, mais aussi qui déclament avec flamme leurs discours, qui débattent avec véhémence ou qui se concentrent sur leur tâche sans se soucier de l’appareil.

Au bout du compte, les images de Salomon auront malgré leur humour donné une vision plutôt positive des institutions si décriées de son temps : la Société des nations et son pacifisme mou, la République de Weimar et son régime impuissant. Salomon fait corps avec cette fin de régime, et peu de ses images disent la montée du nazisme – à part une photo terrifiante du Reichstag où toute une rangée est occupée par les députés du NSDAP en uniforme.