Ephéméride | Yossele Rosenblatt [9 Mai]

9 mai 1882

Naissance à Bila Tserkva (Ukraine) de Yossele Rosenblatt, un des plus grands chantres de tous les temps.

Il était si connu en Amérique, dit-on, que les lettres envoyées d’Europe avec comme simple adresse « Yossele Rosenblatt – Amérique », lui parvenaient sans retard.

Aucun autre hazzan n’a jamais atteint une popularité et une renommée comparables à celles de Yossele Rosenblatt tant parmi les auditeurs juifs que non-juifs , tout en restant totalement observant et en conservant son poste à la synagogue.
Certains sont devenus célèbres dans le monde entier, comme le célèbre ténor Richard Tucker, qui commença également sa carrière comme chantre. Tucker, cependant, n’était pas orthodoxe, et une fois qu’il fût devenu une étoile du Metropolitan Opera, il dirigea des offices seulement pour les fêtes de Rosheshone, Yom Kiper ou Peyssekh.

Rosenblatt, en revanche, bien qu’il ait refusé des offres pour chanter à l’opéra, devint une star du monde du divertissement dans les années 1920, tout en continuant à porter sa grande kipa noire et sa redingote. Il devint cher au coeur de tous ses auditeurs, que ce soit en personne ou à travers ses enregistrements. Son énorme popularité était toujours présente même des décennies après sa mort.

Yossele naquit en 1882 dans le shtetl ukrainien de Belaya Tserkov — le premier garçon de la famille après neuf filles. Son père, un Ruzhiner hassid qui avait fréquenté la cour du Rebbe de Sadagora, était lui-même un hazzan.
Ayant identifié le talent extraordinaire de son jeune fils, le père de Yossele commença à faire des tournées avec son fils pour aider à compléter le revenu familial. Le père faisait l’office comme hazzan, mais c’était l’enfant prodige, Yossele, que les foules venaient entendre.

Quand il eut dix-huit ans et se fut marié, Rosenblatt obtint son premier poste permanent à Munkacs, en Hongrie. Son génie créatif de compositeur avait déjà commencé à s’épanouir, et il trouva bientôt l’atmosphère de Munkacs trop confinée.
Lorsque le poste d' »Oberkantor » (chantre en chef) dans la ville plus avancée de Pressburg, en Hongrie, devint disponible, Rosenblatt, qui n’avait encore que dix-huit ans, fut choisi plutôt que cinquante-six autres candidats.

Rosenblatt possédait une voix de ténor d’une grande beauté et d’une portée extraordinaire, avec un falsetto remarquablement agile. De plus, il avait l’oreille absolue et pouvait lire la partition musicale la plus difficile d’un coup d’oeil. Le timbre doux de sa voix, le superbe contrôle qu’il affichait – en particulier dans les passages ornés – et sa marque de fabrique, le « sanglot », inspiraient les fidèles et ravissaient le public de concert.
Une grande partie de ce qu’il a chanté, et plus tard enregistré, était de sa propre composition, influencée de manière significative par sa culture hassidique.

Ses cinq années à Pressburg virent la composition et la publication de 150 récitatifs et pièces chorales, et en 1905 le premier de ses nombreux enregistrements.
Mais s’il y était heureux, les besoins d’une famille grandissante et la nécessité de soutenir plusieurs parents qu’il avait emmenés chez lui l’obligèrent à chercher un poste mieux rémunéré. Il le trouva à Hambourg, en Allemagne, où il fut de nouveau été acclamé instantanément. Il y resta encore cinq ans.

À cette époque, la renommée de Rosenblatt avait commencé à atteindre le Nouveau Monde, à la fois à travers ses enregistrements et les récits des voyageurs, y compris les délégués au Congrès sioniste de 1909 qui se tint à Hambourg.
En 1911, le conseil de la Première congrégation hongroise « Ohab Zedek », l’une des principales synagogues de New York dont le chazzan venait de démissionner, l’invita à officier pour la congrégation pour deux Shabbat, en lui payant tous ses frais de voyage et en lui garantissant des honoraires substantiels. Le succès de Rosenblatt à Ohab Zedek, qui était alors dans Harlem et plus tard, dans l’Upper West Side de Manhattan, fut immédiat, et il télégraphia bientôt à sa femme pour lui dire d’emmener la famille en Amérique.

À New York, sa réputation se répandit rapidement. Non seulement « Ohab Zedek » était débordée à chaque fois qu’il officiait (parfois il fallait appeler la police pour contrôler la foule qui tentait d’entrer dans la synagogue), mais Rosenblatt devint le hazzan préféré pour tous les événements philanthropiques et commémoratifs juifs de la ville.
En mai 1917, une foule de 6 000 personnes remplit le théâtre de l’Hippodrome pour recueillir des fonds pour les Juifs qui souffraient en Europe à cause de la guerre. Bien qu’il y eût beaucoup de conférenciers éminents, c’est Rosenblatt qui attirait le monde, et un montant incroyable de 250 000 $ fut collecté.

C’est cet événement qui attira l’attention du New York Times sur Rosenblatt. « Le cantor est un chanteur aux pouvoirs naturels et à l’éloquence émouvante », rapporta le journal. Dans un post-scriptum remarquable par sa vision du judaïsme orthodoxe de l’époque, le Times notait que malgré le fait que Rosenblatt chantait « des prières et des chants … le public écoutait la tête découverte ».

Le concert à l’Hippodrome fut le coup d’envoi d’une tournée dans trente villes pour la campagne de secours aux victimes de guerre. L’apparition de Rosenblatt à Chicago marqua un nouveau tournant dans sa carrière.
Cleofonte Campanini, le directeur général de l’Opéra de Chicago, invité à ce concert, fut si impressionné par le talent de Rosenblatt qu’il lui rendit visite immédiatement après le concert et lui offrit 1 000 $ par spectacle s’il voulait chanter le rôle d’Eléazar dans l’opéra de Halévy, « La Juive ».

Il est certain que Rosenblatt fut tenté. Campanini décrivit soigneusement les termes d’un contrat qui devaient, selon lui, garantir que Rosenblatt n’aurait pas à compromettre sa Yiddishkeit de quelque façon que ce fût. Il pouvait garder sa barbe; il n’aurait pas à apparaître le shabbat ou les jours de Yom Tov; on lui fournirait de la nourriture cachère, et s’il ne se sentait pas à l’aise d’apparaître sur scène avec des femmes païennes, comme le pensait Campanini, il serait convenu que ses partenaires seraient des sopranos juives comme Alma Gluck ou Rosa Raisa.

À la fin, cependant, Rosenblatt ne put se résoudre à donner son accord. Mais ne voulant pas offenser Campanini, il demanda au président d’Ohab Zedek, Moritz Newman, de rédiger la réponse finale. Newman écrivit à Campanini que « … la position sacrée du révérend Rosenblatt dans la synagogue ne lui permettait pas de monter sur une scène d’opéra ».

L’offre – et son refus – provoqua une tempête. Les journalistes de la presse nationale, ainsi que les quotidiens et hebdomadaires juifs, rivalisaient pour comprendre comment Rosenblatt pourrait refuser une telle offre de gloire et de fortune. Dans une interview accordée à la revue spécialisée Musical America, Rosenblatt déclara: « Le chantre du passé et la star d’opéra du futur ont mené une lutte acharnée en moi. » Mais « soudain une voix a murmuré dans mon oreille, ‘Yossele, ne le fais pas!' »

Devenu une célébrité, Rosenblatt était demandé partout. Quelques semaines plus tard, sur les marches de la New York Public Library, il interpréta « The Star Spangled Banner », suivi de « Keili, Keili », pour soutenir la campagne de vente de timbres d’épargne pour la guerre. Lorsqu’il eut fini, Enrico Caruso, la grande star de l’opéra, s’avança et l’embrassa.

Bien que l’opéra fut privé de ses talents, ni Rosenblatt ni sa congrégation ne voyaient d’obstacle à donner des concerts de musique juive ou profane. Il aspirait à être pour les Juifs « ce que John McCormack était pour les Irlandais » et était fier d’être présenté comme le « ténor juif » plutôt que comme le ténor russe, allemand ou hongrois. Il apprit rapidement quelques airs d’opéra et un répertoire d’autres chansons ethniques, et en mai 1918, donna son premier récital au Carnegie Hall.

Les critiques des journaux de New York, qui rappelaient tous son refus de chanter avec l’Opéra de Chicago, étaient pour la plupart en extase. « Le ténor juif triomphe en concert », claironnait l’e « New York American », ajoutant que « Le cantor Rosenblatt avait révélé une voix d’une beauté exceptionnelle, soulevant des tonnerres d’applaudissements dans un répertoire éloigné de son domaine habituel ». Le Morning Telegraph affirmait que son interprétation de « Questa o Quella » de Verdi « n’aurait guère pu être dépassée par un ténor vivant ». Quelques critiques, cependant, étaient moins enthousiastes au sujet de ses tentatives dans les airs d’opéra, mais tous étaient confondus par l’agilité vocale montrée dans les morceaux de hazzanut et de chansons en Yiddish.

À partir de ce moment, Rosenblatt fit partie intégrante de la scène culturelle new-yorkaise et les apparitions de « Cantor Rosenblatt » étaient régulièrement répertoriées dans le New York Times avec celles d’autres artistes célèbres de l’époque.
Afin de contrecarrer les offres d’autres congrégations, Ohab Zedek payait maintenant à Rosenblatt le salaire record de 10,000 $ par an. Rosenblatt recevait également d’énormes honoraires de concert et de royalties pour ses enregistrements. Mais au fur et à mesure que ses revenus augmentaient, sa philanthropie et sa générosité envers les divers membres de sa famille qu’il soutenait, en plus de ses huit enfants, augmentaient de même. Les nombreuses organisations juives qui sollicitaient son aide non seulement obtenaient des concerts à leur profit, mais recevaient souvent des dons de sa propre poche. Et sa maison voyait passer une procession ininterrompue de gens dans le besoin, qui savaient qu’ils ne repartiraient jamais les mains vides.

Mais Rosenblatt poussait la générosité jusqu’à l’excès, et en 1922, il accepta d’investir dans un projet de journal yiddish douteux. Malgré tout ce qu’il gagnait, l’entreprise exigeait davantage et, en janvier 1925, Rosenblatt fut obligé de déclarer faillite. La bienveillance du public envers lui était si grande que peu s’interrogèrent sur sa sincérité quand il annonça qu’il emploierait « le seul cadeau qui me reste, dont personne ne peut me priver – ma voix », pour gagner l’argent pour payer ses créanciers.

Dans cet esprit, il commença une série épuisante d’apparitions dans des spectacles de variétés, alors la forme de divertissement la plus populaire en Amérique. En règle générale, le programme comprenait la projection d’un film muet et d’un film d’actualités ainsi que divers artistes tels que des chanteurs, des acrobates, des comédiens et des scènes d’enfants et d’animaux.

Afin de distinguer sa performance de celles des autres avec leurs décors criards, leurs accessoires et leurs roulements de tambour, Rosenblatt, qui était généralement le plus regardé, insista pour se présenter sur une scène nue, tous éclairages allumés. Il chantait un mélange de chansons sentimentales telles que « Keili, Keili » en hébreu et en yiddish, « The Last Rose of Summer » en anglais, « Les bateliers de la Volga » en russe et « La Campana » en italien. Il était la sensation partout où il apparaissait dans tout le pays.

Les artistes avec qui il partageait le spectacle étaient impressionnés par son « jeu » très inhabituel. Un collègue de Cincinnati rapporta que lorsque le chantre eut fini de chanter, « sans un signe de tête ou un salut, il se tourna vers les côtés et marcha … vers la sortie de la scène et dans la rue ». Pendant ce temps, les spectateurs applaudissaient follement et réclamaient des bis. Le tumulte était si grand que le directeur dût baisser l’écran et montrer les actualités pour les calmer.

Bien sûr, certaines des difficultés auxquelles Rosenblatt devait faire face en tournée étaient très différentes de celles des autres artistes.Ttrouver des restaurants casher où manger était toujours une priorité majeure. Mais il pourrait, par exemple, être dans un train à Pourim, idans l’impossibilité de rejoindre une synagogue pour Ma’ariv ou Shacharit. Auquel cas il se lisait la Megillat Esther pour lui-même sur son propre rouleau.
Les directeurs de théâtre devaient expliquer pourquoi la tête d’affiche n’allait pas apparaître dans les spectacles du vendredi soir et du samedi, et son itinéraire devait être établi de manière à ce qu’il puisse être à Ohab Zedek pour toutes les fêtes juives. En 1926, Rosenblatt démissionna de la shul, et accepta une offre de 15 000 $ pour officier dans un auditorium de Chicago juste pour les fêtes de début d’année.

En 1927, lorsque Warner Brothers commença à produire le premier film parlant, « The Jazz Singer », avec Al Jolson comme vedette, Rosenblatt apparaissait comme le choix évident pour jouer le père de Jolson, le hazzan âgé.
Malgré la rémunération proposée de 100 000 $, il refusa le rôle parce qu’il aurait fallu chanter Kol Nidrei dans un faux décor. Contrairement à une croyance populaire, il n’accepta même pas de doubler la voix chantée de Warner Oland, l’acteur qui joua le hazzan.
Pourtant la renommée de Rosenblatt était si grande à cette époque, que les producteurs étaient déterminés à lui donner un rôle dans le film et ils insistèrent jusqu’à ce qu’il eut accepté de se présenter comme lui-même, chantant une chanson yiddish, « Yahrtzeit Licht » dans un contexte de concert. Malgré son rôle minuscule, « Cantor Rosenblatt » fut payé comme une star.

Le vaudeville étant en déclin, et las de ne pas avoir sa propre synagogue où officier, Rosenblatt devint le hazzan de la Congrégation « Anshe Sfard » à Borough Park, Brooklyn, en 1927. Mais après le krach boursier de 1929, Anshe Sfard fut incapable de le payer. Il retourna finalement à Ohab Zedek (maintenant dans son nouvel immeuble sur West 95th Street), la seule congrégation qui pouvait encore se le permettre. Pourtant, cela ne dura pas et sa situation financière s’aggrava.

Puis, en 1933, on lui offrit un rôle de film qu’il pouvait accepter. L’idée proposée par la production de « Dream of my People », était que Rosenblatt chante ses propres compositions sur les sites bibliques correspondant aux paroles de ces prières. Le film était conçu pour montrer aux Juifs d’Amérique la Terre Sainte, avec ses sites sacrés, ses villes nouvellement construites et ses colonies. Les producteurs étaient certains d’avoir un succès certain entre les mains. Pour Rosenblatt, visiter Eretz Yisrael était la réalisation d’un rêve de toute sa vie.

En plus de son travail pour le film, Rosenblatt donna des concerts et officia dans les grandes shuls et yeshivot de Jérusalem, Tel Aviv et d’ailleurs, enchantant tous ceux qui l’entendaient. Il passait ses après-midi de Shabbat dans la maison du Rav Kook, le grand rabbin de ce qui était alors la Palestine, qui fut profondément ému par son chant. Parmi ceux qui vinrent assister à un de ses concerts se trouvait le grand poète hébreu, Haim Nachman Bialik. En entendant Rosenblatt chanter son fameux « Shir Hama’alot », Bialik proposa qu’il devienne l’hymne national du peuple juif.

Rosenblatt décida d’entreprendre une tournée de concerts en Europe pour recueillir des fonds qui lui permettraient de s’installer en Eretz Yisrael, comme lui et sa femme avaient décidé de le faire.
Le shabbat, 17 juin 1933, il prononça un discours lors d’un service d’adieu à la synagogue Hurva à Jérusalem. Le jour suivant, après avoir tourné une scène près de la mer Morte, Rosenblatt subit une crise cardiaque soudaine. Peu de temps après, il mourut, à l’âge tragiquement jeune de cinquante et un ans.
Plus de 5 000 personnes assistèrent à ses funérailles sur le Har Hazetim, et des scènes de l’enterrement furent finalement incluses dans le film qu’il n’avait pu terminer. Le Rav Kook prononça l’éloge funèbre, et deux des plus célèbres collègues de Rosenblatt, Mordechai Hershman et Zavel Kwartin, chantèrent

Quelques jours plus tard, à New York, quelque 2500 fidèles atterrés et en deuil assistèrent à un service commémoratif au Carnegie Hall. Deux cents collègues hazzanim de Rosenblatt se rassemblèrent sur la scène pour chanter sa musique et le El Malei Rakhamim.

Quatre vingt cinq ans après son décès, l’impact de Yossele Rosenblatt sur la hazzanut, en particulier, et la musique juive, en général, continue de se faire sentir. Beaucoup de ses pièces sont devenues des incontournables dans les répertoires des hazzanim ashkénazes et sont régulièrement chantées dans les services à la shul et les concerts. Ses enregistrements ont été réédités à plusieurs reprises.
Le plus grand compliment que l’on puisse faire à un aspirant hazzan est d’espérer voir en lui « un second Yossele ».
Mais il n’y a pas encore eu de deuxième Yossele qui ait conquis le cœur du public comme il l’a fait.