Ephéméride |Maria Barbara Carillo [18 Mai]

18 mai 1721

A Madrid, Maria Barbara Carillo, la victime la plus âgée de l’histoire de l’Inquisition, est conduite au bûcher à l’âge de 95 ans.

Carillo appartenait à une grande famille de descendants de Juifs baptisés de force et fut condamnée à mort pour hérésie, pour avoir pratiqué le judaïsme en secret. Antonio Carillo, 55 ans, fut brûlé dans le même autodafé ainsi que Ana Maria de Morales, son épouse, 56 ans et plusieurs autres qui pourraient avoir été des parents de Maria Barbara Carillo. Un autre Carillo, Gaspar, le fils d’Antonio et Ana Maria, fut «réconcilié» et condamné à ramer sept ans dans la marine royale, avant d’être jeté en prison.

L’Inquisition n’est pas née en Espagne et ne ciblait pas les Juifs à l’origine. Dans les années 1200, le pape établit la « Sainte Inquisition contre l’Hérésie Dépravée » pour s’occuper des sectes chrétiennes sécessionnistes. Il restait relativement impuissant, car les souverains séculiers, méfiants de l’intervention papale dans leurs propres affaires internes, ne lui permettaient pas l’accès à leurs pays.
Pendant plus de 200 ans, très peu d’hérétiques furent brûlés sur le bûcher. En 1481, cependant, après avoir obtenu une promesse du Pape que l’Inquisition resterait sous le contrôle de la Couronne, assurant ainsi que les biens confisqués des hérétiques reviendraient au trône, Ferdinand et Isabella établirent l’Inquisition à Séville.
Alors qu’il est communément supposé que l’Inquisition fut amenée en Espagne par crainte que les Juifs tentent d’influencer les « conversos » de quitter la foi chrétienne, un historien éminent est d’avis qu’en 1481 la conscience juive avait pratiquement disparu parmi les « conversos », et que les Juifs ne se lancèrent pas dans de telles tentatives. Au contraire, croit-il, l’Inquisition était une excroissance des attitudes de la population vieille chrétienne de l’Espagne. Selon les mots d’un historien espagnol, « l’Inquisition était une expression authentique de l’âme du peuple espagnol ».

Une fois le tribunal était constitué, une période de grâce de 30 jours était accordée pendant laquelle les confessions spontanées d’actes répréhensibles ne faisaient l’objet que de peines légères, telles que de petites amendes. Cependant, un repentant devait accepter d’espionner ses amis et parents, et s’il ne produisait pas de preuves, il était soupçonné d’être un hérétique et pouvait être puni de la peine de mort. Naturellement, ce système encourageait une grande corruption, car les gens fabriquaient de fausses preuves contre autrui soit par peur, par jalousie et par haine, soit pour recevoir une récompense.
Pour aggraver les choses, aucun accusé n’était autorisé à connaître l’identité de ses accusateurs, ni même les preuves contre lui, et n’avait donc aucun moyen de réfuter les accusations, qui étaient toujours crues par le tribunal.
Un avocat de la défense était autorisé, mais était pratiquement impossible à obtenir, car défendre l’hérésie était également considéré comme hérétique, et passible de la peine de mort, décourageant ainsi tous les défenseurs potentiels.

L’Inquisition fit connaître les signes de comportement hérétique à surveiller et à signaler par les Chrétiens fidèles, tels que: changer de linge le vendredi, acheter des légumes avant Pessakh, bénir des enfants sans faire le signe de la croix, jeûner le Yom Kippour et s’abstenir de travailler le jour du shabbat.
Il est intéressant de noter que les Juifs qui ne s’étaient jamais convertis au christianisme ne tombaient pas sous la juridiction de l’Inquisition et pouvaient pratiquer leur religion librement et ouvertement. Seuls les « conversos », pas toujours de leur plein gré, étaient considérés comme des hérétiques pour avoir abandonné le credo chrétien et pratiqué le judaïsme.

Si les inquisiteurs n’arrivaient pas à obtenir des aveux d’un suspect hérétique, ils employaient la torture. Fait intéressant, aussi horribles que ces tortures pouvaient être, elles étaient conçues pour ne pas répandre le sang, une pratique interdite par la loi chrétienne.
Dans la torture à la corde, par exemple, les mains de la victime étaient attachées derrière elle et la corde était reliée à une poulie. Des poids étaient attachés aux jambes de la victime, et elle était élevée jusqu’au plafond. Quand la corde était soudainement relâchée, ses bras et ses jambes étaient douloureusement disloqués.
La torture de l’eau consistait à déposer un linge humide sur la bouche et les narines du prisonnier et à faire couler un petit filet dans sa gorge. Lorsque la victime s’étouffait et avalait le tissu dans sa gorge, il était brutalement arraché, provoquant une douleur atroce.
La torture par le feu était également employée, dans laquelle les pieds de la victime étaient enduits d’un matériau inflammable et maintenus près d’un feu, provoquant une brûlure lente et douloureuse. Si l’accusé s’évanouissait pendant l’interrogatoire, un médecin se trouvant à proximité le ranimait. Si le fonctionnaire qui administrait la torture causait la mort de la victime, il n’était pas tenu pour responsable.
Dans l’ensemble, personne n’était à l’abri des griffes de l’Inquisition – même les enfants et les femmes enceintes subissaient ces tortures horribles.

Les châtiments imposés par l’Inquisition comprenaient des amendes, la confiscation de tous les biens, l’humiliation publique et la flagellation.
La plus sévère de toutes les punitions étaient la condamnation à mort. Puisque l’Église ne répandait pas de sang, mais sauvait seulement les âmes, les victimes étaient livrées aux autorités séculières pour exécution.
On préférait les morts sans effusion de sang, comme l’étranglement et le brûlage vif.

Périodiquement était tenu un « auto-de-fe » (acte de foi), dans lequel toutes les victimes d’une région étaient punies ensemble. Ceux-ci étaient devenus de grands spectacles publics, dans une atmosphère de fêtes, où les gens venaient en famille pour suivre les débats et se moquer des victimes. Les condamnés portaient des sambenitos jaunes, des surtouts, peints de croix rouges et de la lettre X.
Ceux qui avaient reçu la peine de mort portaient des tuniques peintes de flammes et de diables.
La procession traversait la ville jusqu’à l’endroit où les juges avaient pris place. Les affaires impliquant des peines moindres étaient jugées d’abord, puis celles des victimes qui seraient étranglées avant d’être brûlées, et enfin celles des condamnés à être brûlés vifs.

Le premier auto-de-fe eut lieu à Séville en 1481, et le dernier en 1850 au Mexique.
En 1680, le plus spectaculaire de tous les autos-de-fe eut lieu pour célébrer le mariage du roi Carlos et de sa fiancée. À cette époque, l’Inquisition s’étendit aux colonies espagnoles et portugaises du Nouveau et de l’Ancien Monde, avec des victimes brûlées à La Havane, Mexico, Buenos Aires, et Goa, en Inde.
Après 350 ans, l’Inquisition fut finalement abolie en Espagne en 1834. Au total, plus de 400 000 personnes furent accusées d’hérésie et 30 000 d’entre elles furent exécutées.

En 1483, le confesseur personnel de la reine Isabelle, le prêtre dominicain Tomas de Torquemada, fut nommé chef de l’Inquisition. D’origine « converso », Torquemada était un haineux fanatique et totalement incorruptible. Contrairement à d’autres moines, il respectait ses vœux de pauvreté, ne mangeant jamais de viande, ne portant pas de linge de corps, ne dormant jamais sur quelque chose de plus moelleux qu’une planche.
C’est précisément son zèle total pour la cause du christianisme qui fit de Torquemada un ennemi si implacable. Il transforma personnellement l’Inquisition en l’institution terrifiante qu’elle allait devenir. Sous son administration, l’Inquisition amassa d’énormes biens confisqués à ses victimes, dont une grande partie servit à financer la guerre pour conquérir le dernier bastion musulman de Grenade.

Très vite, Torquemada commença à prendre des mesures pour affaiblir la communauté juive non convertie et finalement l’expulser d’Espagne. En 1485, il obligea tous les rabbins, sous peine de mort, à dénoncer les « conversos » qui pratiquaient le judaïsme, et à prononcer une malédiction rabbinique contre tout Juif qui n’aurait pas informé l’Inquisition d’un tel comportement.
Cet édit cruel divisa les Juifs d’Espagne. Alarmé par le pouvoir croissant de l’Inquisition, cette année-là, un groupe de « conversos » complota de tuer l’inquisiteur de Saragosse, Pedro de Arbues, espérant susciter un soulèvement populaire contre l’Inquisition. Cependant, l’assassinat eut l’effet inverse. Les citadins furieux, se déchaînèrent dans les rues, tuant de nombreux « conversos ». Tous les conspirateurs furent capturés et exécutés, et l’Inquisition devint encore plus forte.

En 1486, Torquemada demanda à Ferdinand et Isabelle d’expulser les Juifs d’Espagne, mais ils refusèrent. Torquemada avait donc besoin de créer une sensation pour empoisonner l’atmosphère, attiser la colère publique contre les Juifs et forcer leur expulsion.
En 1490, l’Inquisition monta de toute pièce l’histoire de l’Enfant Saint de La Guardia. Plusieurs Juifs et « conversos » furent accusés d’avoir kidnappé un garçon de sept ans dans la ville de La Guardia et de l’avoir emmené dans une grotte, pour extraire le cœur de l’enfant et l’utiliser dans des rites magiques destinés à renverser l’Espagne chrétienne et en faire un pays juif.
Bien qu’aucun corps ne fut jamais trouvé, tous les accusés admirent les accusations sous la torture. À la fin de 1491, pour la première fois des Juifs non convertis furent brûlés sur le bûcher dans un spectaculaire auto-de-fe, que les gens vinrent de loin admirer. Avant d’être exécutés, les Juifs furent punis spirituellement en étant excommuniés de l’Église catholique, à laquelle ils n’avaient jamais appartenu. Torquemada ne perdit pas de temps pour envoyer des récits de l’épisode dans toute l’Espagne, portant la frénésie anti-juive de la population au point d’incandescence.

Le mythe de l’Enfant Saint de La Guardia entra dans l’histoire de l’Espagne, où il contribua à maintenir l’antisémitisme vivace pendant des siècles. Les détails qui manquaient sur le nom, l’âge, le lieu de naissance et le lieu du meurtre du «Saint-Enfant» étaient obligeamment fournis par des contributeurs bénévoles. L’absence embarrassante de cadavre fut attribuée au fait que le corps de l’enfant était monté au ciel, avec son âme.
En 1989 encore, un livre sur l’histoire de l’Espagne citait l’épisode comme justification de l’expulsion des Juifs.

En 1993, l’auteure Erna Paris visita La Guardia et décrivit ce qu’elle y avait vu:
« L’église est un hommage glorieux à l’Enfant Saint, patron de La Guardia, dont le jour de la fête vient de passer. Une statue de l’enfant orne une alcôve et des bougies votives brillent à ses pieds. Un prêtre s’approche, impatient de parler du titre gloire de son église. L’enfant, m’explique-t-il, avait cinq ans et s’appelait Juan. Il fut kidnappé par les Juifs et crucifié. Cet acte, dit le prêtre, fut la raison ultime de l’expulsion des Juifs d’Espagne. La grotte où il fut martyr n’est pas loin d’ici. Je peux le voir si je le souhaite, dit-il en souriant. « L’histoire est-elle vraie? » demandai-je au prêtre.
« Eh bien », répondit-il lentement, « les Juifs ont admis avoir emmené l’enfant dans la grotte, je suppose que c’est tout ce que nous pouvons savoir », conclut-il en détournant la tête.