25 juillet 1924
Naissance à Nuremberg d’Arnold Weiss, l’homme qui a découvert le testament de Hitler.
Weiss est né Hans Arnold Wangersheim dans une famille de juifs assimilés de la classe moyenne qui vivait paisiblement en Franconie allemande depuis près de quatre siècles. Le père de Weiss, Stefan, couvrait le sport dans le journal du soir de Nuremberg, et ses chroniques sur les heurs et malheurs des clubs locaux lui donnaient une petite aura de célébrité. Les Wangersheim vivaient modestement dans un quartier ouvrier où les forces naissantes du fascisme et du communisme se disputaient férocement et souvent violemment l’affection des habitants.
Weiss avait 6 ans quand ses parents divorcèrent en 1930.
La mère de Weiss, Thekla Rosenberg, elle-même athlète et joueuse de tennis accomplie, reçut la garde du jeune Arnie et de ses deux soeurs, Beate et Evelyn, mais pas de soutien financier de Stefan, qui renonça à toute responsabilité parentale.
À l’époque, la Grande Dépression faisait rage des deux côtés de l’Atlantique. Dans l’Allemagne de Weimar, le fardeau supplémentaire des réparations de guerre exigées par le traité de Versailles à la fin de la Première Guerre mondiale rend la situation particulièrement désastreuse. La mère de Weiss avec son salaire de comptable, n’avait pas les moyens d’élever trois enfants. Le jeune Arnold fut donc placé dans un orphelinat.
L’orphelinat juif orthodoxe auquel Weiss fut envoyé en 1930, se trouvait dans la banlieue de Nuremberg, une ville du nom de Furth.
Avec sa kippa et ses papilllotes, Weiss devint une cible naturelle pour les voyous locaux, en particulier les jeunes durs des Jeunesses hitlériennes, qui étaient tous trop impatients de pratiquer sur les orphelins juifs ce que leurs dirigeants adultes prêchaient.
C’est de ce triste point de vue que Weiss observa l’ascension nazie. Au milieu des années 1930, les rangs de l’orphelinat avaient doublé, les parents juifs ayant commencé à disparaître dans le réseau en expansion de camps de prisonniers nazis. En 1935, alors qu’il n’avait pas donné de ses nouvelles depuis plus de deux ans, son père vint lui rendre visite. Il l’emmena se promener le long du canal et là mit ses mains sur sa tête dit une prière. « Nous ne nous reverrons probablement jamais, dit-il, je vais essayer de quitter l’Allemagne. C’est la dernière fois qu’Arnold le vit. » Stefan Wangersheim fut arrêté peu de temps après.
Simultanément se produisit un afflux massif de nouveaux élèves dans la seule école juive de Furth, car les Juifs étaient expulsés de toutes les autres institutions d’enseignement. Parmi eux, Henry Kissinger et son frère cadet.
En 1938, les rangs de l’orphelinat avaient presque triplé. Les dents de certains enfants commençaient à tomber du fait de la malnutrition.
Puis un jour de février 1938, le salut. On lui remit une valise en carton et d’emballer ses affaires car il partait en Amérique. La manière dont Weiss fut choisi pour faire partie du petit contingent pour l’Amérique reste un mystère, car les États-Unis, comparés à la Grande-Bretagne, la Russie et d’autres refuges, imposaient des restrictions strictes à l’accueil de réfugiés juifs.
Après bien des pérégrinations, il finit par atterrir dans le Winsconsin, où il fut recueilli par une famille qui l’entoura de toute l’affection nécéssaire.
Le soldat qui retourna à Nuremberg en 1945 avec la 45ème division était une personne différente du réfugié qui était parti sept ans auparavant. Il avait un nouveau nom, emprunté au maillot d’une star de football de l’Université du Wisconsin; une nouvelle famille à Janesville; une nouvelle nationalité et une nouvelle langue maternelle, avec l’accent du Middle West. Ce n’était plus un garçon, obligé de fuir la tyrannie nazie. C’était un homme, membre de l’armée la plus puissante que le monde ait jamais vue, et c’était à son tour de donner la chasse.
Pratiquement toutes les personnes dont il avait été proche étaient mortes: le directeur de l’orphelinat, sévère mais bon, les enfants avec lesquels il allait se coucher, les amis avec lesquels il était allé à l’école. Ses oncles avaient préféré se tirer une balle plutôt que d’affronter la déportation dans les camps de la mort. Sa grand-mère, la personne dont il était probablement le plus proche, la femme chaleureuse et aimante vers laquelle il s’échappait de l’orphelinat de temps à autre, avait été envoyée au ghetto de Theresienstadt en République tchèque, puis à Auschwitz pour y devenir l’une des 6 millions.
Quand la guerre prit fin, le vrai travail de Weiss commença. La vaste machine de mort qu’Hitler avait assemblée avait des parties inconnues et une myriade de complices, et la plupart d’entre eux n’avaient pas simplement disparu après le suicide de Hitler. Le travail qui consistait à identifier et à rendre compte de ceux qui avaient le sang de millions de gens sur les mains ne serait ni rapide ni facile.
Munich à l’automne de 1945 était une ville dévastée et démoralisée. Avec chaque semaine qui passait, les listes d’arrestations envoyées par le quartier général des services de renseignement américains à Francfort ne faisaient que s’allonger. Le téléscripteur à côté du bureau de Weiss crachait des noms presque 24 heures sur 24: des spécialistes des fusées, des ingénieurs nucléaires, des chimistes et des physiciens; des employés du parti, des comptables et des financiers; des chauffeurs et des cuisiniers. Quiconque avait été étroitement associé au régime déchu devait être emmené et détenu. Et dans une ville comme Munich, dont les bistrots à bière enfumés avaient accueilli les premiers rassemblements nazis, cela signifiait un grand nombre de personnes.
Weiss et deux douzaines d’autres officiers du contre-espionnage de l’armée (CIC) travaillèrent dans la maison réquisitionnée du gauleiter de Munich, le patron du parti nazi local, qui avait saisi la villa d’un riche industriel juif. La villa avait survécu aux raids aériens alliés et se trouvait dans un quartier calme et chic qui était également relativement intact. Mais sa principale qualité, peut-être, était qu’elle possédait un sous-sol profond et sec qui avait été converti en cellules de détention.
La Bavière avait été le berceau du mouvement nazi, le lieu de naissance et la maison de beaucoup de ses principales figures. Et à cause de son relief montagneux et du fanatisme de certains de ses habitants, c’était la partie du secteur américain qui présentait le plus grand risque d’insurrection.
Dans toute l’Allemagne, les alliés avait hâte de rétablir les services de base et de rétablir la gouvernance locale, et l’une des responsabilités de Weiss consistait à vérifier les éventuels antécédents nazis des futurs responsables. C’était une tâche nécessaire et fastidieuse, mais il continuait à avoir l’œil sur les cibles de grande valeur qui avaient échappé à la capture.
Beaucoup des bourreaux de Hitler, en particulier les redoutés SS, étaient toujours en liberté, avec des montagnes de lingots d’or, et s’il devait y avoir un soulèvement, ils le mèneraient sûrement et le financeraient. Déjà, des attaques sporadiques d’un groupe d’insurgés connus sous le nom de « loups-garous » avaient conduit les GI à fusiller des insurgés. Cela faisait des ravages sur le moral des militaires américains, d’autant plus que beaucoup parmi les fauteurs de troubles étaient des anciens membres de la jeunesse hitlérienne âgés de 16 ou 17 ans.
Plus inquiétantes, cependant, étaient les rumeurs persistantes selon lesquelles Hitler était encore en vie. « Nous étions certains qu’il s’était suicidé dans son bunker », se souvient Weiss. « Mais comme Berlin faisait partie de la zone russe, et qu’aucun témoin et aucun corps n’avait été produit par les Soviétiques, beaucoup d’Allemands refusaient de croire que le Führer était mort. »
Les rumeurs selon lesquelles Hitler aurait survécu devenaient un problème sérieux, sans parler d’un cri de ralliement potentiel pour les Allemands qui refusaient d’accepter la défaite. On racontait qu’Hitler se cachait dans une grotte du nord de l’Italie, qu’il était déguisé en berger dans les Alpes suisses, qu’il travaillait comme croupier à Evian. Un rapport d’août 1945 le signalait à Innsbruck sous le pseudonyme de Gerhardt Weithaupt. Dans une autre version, Hitler était avec une flotte de sous-marins au large des côtes espagnoles.
Les Russes, qui savaient très bien où était le feu Fuhrer puisqu’ils qu’ils détenaient ses restes calcinés dans un laboratoire secret à Moscou, alimentèrent les rumeurs encore davantage. Izvestia, le quotidien communiste officiel, publia un article en première page affirmant que lui et Eva Braun étaient luxueusement installés dans un château de Westphalie, dans la zone britannique.
Les signalements sur Hitler atteignirent rapidement le monde entier, de la Suède et de l’Irlande jusqu’en Argentine, où Hitler, ayant subi une opération de chirurgie plastique, aurait développé des bombes robotisées à longue portée dans une cachette souterraine. Même Washington fut saisi du virus de la paranoïa, et enxpédiat un câble classé urgent à son ambassade à Buenos Aires pour suivre la piste: « Source indique qu’il y a une entrée ouest à la cachette souterraine, qui se compose d’un mur de pierre actionné par des cellules photoélectriques, activées par des signaux de code de lampes de poche ordinaires. »
En octobre 1945, les spéculations sur les allées et venues de Hitler avaient atteint un tel paroxysme qu’une décision « au plus haut niveau », fut prise pour mettre un terme définitif au mystère.
Les Britanniques – qui étaient particulièrement irrités par la suggestion soviétique selon laquelle Hitler vivait en toute liberté sous leur nez – furent chargés de trouver la preuve définitive de la mort d’Hitler. La plus haute priorité était maintenant de se lancer à la recherche de témoins oculaires qui pouvaient avoir été dans le bunker avec Hitler pendant ses derniers jours.
Le plus haut nazi encore en liberté était Bormann. Martin Bormann, l’éminence brune, avait été le secrétaire du Parti nazi et le gardien de Hitler. Il controllait l’accès au Führer. Si quelqu’un savait ce qui était arrivé à Hitler, c’était Bormann. Weiss se souvenait vaguement que son adjudant était de Munich.
Weiss parcourut les dossiers et découvrit que le bras droit de Bormann, le SS Standartenführer Wilhelm Zander, était en effet originaire de Munich et qu’il n’était toujours pas retrouvé. Zander pouvait non seulement savoir où se cachait son patron, mais il avait de bonnes chances d’être dans son bunker juste avant l’attaque de l’Armée rouge. Weiss prit l’annuaire téléphonique de Munich. Effectivement, il y avait plusieurs Zanders répertoriés.
« Weiss interpella sa mère et sa sœur ». Il fut frappé de voir à quel point ils semblaient ordinaires. C’était quelque chose à quoi Weiss devait s’habituer: comment les monstres pourraient provenir de ces familles apparemment normales.
Bien que la mère et la soeur se tinrent sur la défensive et insistèrent sur le fait que Zander n’avait rien fait de mal, l’une d’elles laissa finalement échapper qu’il avait une petite amie beaucoup plus jeune que lui à Munich. C’était une brune de 21 ans qui vivait encore avec ses parents. Weiss la fit arrêter. Weiss pouvait à l’époque boucler des quartiers entiers de la ville et incarcérer tout le monde pour n’importe quelle période de temps. Les mandats n’étaient pas nécessaires et il n’y avait pas de supervision judiciaire.
Weiss envoya la petite amie non pas au quartier général du CIC dans la villa chic, mais dans une plus grande prison remplie de criminels de droit commun à la périphérie de Munich. Là, il la laissa seule dans une cellule pendant deux jours pour réfléchir à son avenir. Il voulait lui faire peur, lui donner le temps de penser à toutes les choses terribles qui pouvaient lui arriver. C’était une technique d’interrogation standard avec des sujets considérés comme faibles. Résoudre les cas difficiles nécessitait une approche complètement différente, et Weiss, étant l’un des rares officiers américains à parler allemand, acquit rapidement de l’expérience et de l’habileté dans la conduite des interrogatoires.
Lorsqu’il eut jugé qu’elle avait mijoté assez longtemps, Weiss fit amener la femme dans une salle d’interrogatoire vide. Il la fit se lever, une autre petite tactique psychologique apparemment efficace. Elle était prête à parler. Elle admis immédiatement être l’a maîtresse de Zander. » Weiss demanda quand elle l’avait vu pour la dernière fois. Il s’attendait à ce qu’elle dise que cela faisait des années, mais elle dit au contraire que cela faisait six semaines. Cela signifiait que la piste pouvait encore être chaude. La femme avait une autre surprise pour Weiss. Zander lui avait stupidement dit le pseudonyme qu’il utilisait et où il se cachait. Weiss envoya immédiatement un communiqué chiffré au siège du CIC à Francfort. Les services de renseignements américains informèrent le renseignement britannique, qui envoya son enquêteur principal, Hugh Trevor Ropper, rejoindre Weiss dans la chasse.
Zander utilisait le nom de Paustin et se faisait passer pour un ouvrier agricole auprès d’un dénommé Irmgard Unterholzener dans un village non loin de Munich. Mais au moment les enquêteurs arrivèrent, Zander s’était envolé. Pendant les trois semaines qui suivirent, Weiss suivit des pistes l’aveuglette sans succès.
Puis, juste avant Noël, Weiss reçut un appel du bureau du CIC à Munsingen, en Allemagne. Un certain Paustin s’était enregistré pour un permis de séjour auprès de la police locale dans un petit village allemand près de la frontière tchèque appelé Vilshofen.
Weiss, Trevor-Roper et l’agent spécial Rosener qui s’était joint à eux arrivèrent à la ferme peu avant 4 heures du matin. Lorsque les enquêteurs cassèrent la porte, un coup de feu retentit dans la maison. Ils surprirent Zander dans son lit avec une femme (pas sa petite amie) et le maîtrisèrent rapidement.
Sur le chemin du retour vers Munich, alors que Weiss conduisait et Rosener gardait le prisonnier menotté, Zander maintint son innocence.
Arrivés à la villa du Gauleiter, ils commencèrent immédiatement l’interrogatoire. Pendant 10 heures, ils cuisinèrent Zander, qui, dans un premier temps continua à insister sur le fait qu’il s’agissait d’une erreur d’identité.
« Nous détenons votre mère et votre sœur », affirma Weiss. Ce n’était pas vrai. Il avait arrêté seulement la petite amie. Mais Zander ne le savait pas.
Enfin, et avec une grande solennité, il reconnut: « Vous avez raison, je suis le SS Standartenführer Wilhelm Zander. »
Le véritable interrogatoire pouvait maintenant commencer. Quand avait-il vu pour la dernière fois les dirigeants nazis, Goebbels? Goering? Himmler? Qui était dans le bunker avec le Fuhrer pendant ses dernières heures? Quelles étaient les circonstances de la dernière rencontre de Zander avec Bormann? Comment était-il sorti du bunker du Führer? Quel chemin avait-t-il pris?
Une fois que Zander eut abandonné le fantôme de Paustin, il parla sans interruption pendant six heures. Presque en passant, Weiss demanda pourquoi il avait quitté le bunker.
« On m’a envoyé effectuer une mission importante comme courrier », déclara Zander, d’un ton neutre. « Je suppose que vous voulez les documents. »
Absolument, dit Weiss, même s’il n’avait aucune idée de ce que Zander était en train de faire. « Où sont-ils? »
Le même jour, Zander amena Weiss et Trevor-Roper à Tegernsee, où il s’était caché. Il y avait un puits sec à l’arrière de la propriété d’Unterholzener, et il le désigna du doigt. Weiss récupéra du fond une valise en faux-cuir. À première vue, il ne contenait que l’uniforme SS abandonné par Zander. Mais en y regardant de plus près, un compartiment caché fut découvert. Dans c’était une enveloppe de simple papier kraft.
Weiss la déchira. Elle contenait les dernières volontés de Hitler et son testament politique.
« Mein privates Testament », était le titre souligné sur la première page. Il était daté du 29 avril 1945 à 4 heures du matin et au dos il portait cinq signatures. La première petite et étroitement enroulée, comme un coup de foudre comprimé: Adolf Hitler. Les autres plus expansives et audacieusement ambitieuses: les témoins Martin Bormann et Joseph Goebbels, le ministre de la propagande qui s’était suicidé ainsi que sa famille dans la pièce à côté d’Hitler dans le bunker.
Les mêmes signatures honoraient un deuxième document, considérablement plus long intitulé « Mein politsches Testament », dans lequel Hitler se dresse contre ses généraux, expulse Himmler et Goering du parti nazi, et désigne le Grand amiral Karl Doenitz comme son successeur et nomme l’ensemble du Cabinet de 17 membres. Un troisième document fut trouvé dans le paquet que Zander devait livrer à Doenitz – le certificat de mariage sur son lit de mort entre Hitler et sa maîtresse de longue date, Eva Braun.
Les mêmes signatures honoraient un deuxième document, considérablement plus long intitulé « Mein politsches Testament », dans lequel Hitler se dresse contre ses généraux, expulse Himmler et Goering du parti nazi, et désigne le Grand amiral Karl Doenitz comme son successeur et nomme l’ensemble du Cabinet de 17 membres. Un troisième document fut trouvé dans le paquet que Zander devait livrer à Doenitz – le certificat de mariage sur son lit de mort entre Hitler et sa maîtresse de longue date, Eva Braun.
Weiss pouvait enfin écrire « Affaire classée ». Il avait pu trouver la preuve définitive que Hitler était mort.
Dans ses dernières volontés, Hitler explique qu’il préfère mettre fin à sa propre vie qu’être exhibé comme une bête dans un zoo.
Weiss ne retrouva jamais Bormann, dont le squelette fut découvert à Berlin en 1972, ce qui laisse supposer qu’il s’était tué peu de temps après avoir quitté le bunker de Hitler.
Les derniers mots écrits par Hitler commandaient aux futurs dirigeants allemands de « résister sans merci à l’empoisonneur universel de toutes les nations, la juiverie internationale ».
C’est une ironie de l’histoire que la première personne à lire ces mots fut un jeune Juif américain d’origine allemande qui avait survécu à l’Holocauste pour devenir ensuite un instrument de la justice.
(Source: The Washington Post, Matthew Brzezinski, 24 juillet 200
