24 juillet 1840
Naissance à Starokostantinov (Ukraine) d’Avrom Goldfaden, « le père du théâtre yiddish ».
Dramaturge, directeur de théâtre, poète et imprésario, Avrom Goldfaden est considéré comme le «père du théâtre yiddish». Ses productions apparurent à l’époque du mouvement des Lumières juives, « Haskalah » en Russie et des activités culturelles et nationalistes des minorités est-européennes. Premier directeur à avoir créé un théâtre national juif viable, Goldfadn a construit un auditoire et initié ses membres à l’esthétique occidentale, à la laïcité et à la modernité juive.
Goldfaden reçoit une éducation qui combine les enseignements traditionnels traditionnels et profanes. En 1855, il s’inscrit à l’école d’État juive moderne pour éviter d’être enrôlé et, en 1857, il entre au séminaire rabbinique de Jitomir, parrainé par l’État, où Avraham Ber Gottlober lui fait découvrir la littérature yiddish. En 1862, Goldfaden publie des poèmes hébraïques dans « Ha-Melits » et joue le rôle principal (féminin) dans une production étudiante de « Serkele » de Shloyme Ettinger. En 1863, il publie ses premiers poèmes yiddish dans « Kol mevaser ». Pendant près d’une décennie, il enseigne dans les écoles d’état juives.
Les premières pièces de Goldfaden, « Tsvey shkheynes » (Deux Voisines) et « Di mume Sosye » (Tante Sosye), paraissen en même temps que des vers dans « Di yudene » (1869). En 1875, il se rend à Lemberg, où il publie un journal éphémère et voit de nombreuses pièces de théâtre, opérettes et opéras classiques européens, ce qui influencera son travail ultérieur. En 1876, il s’installe à Iaşi, en Roumanie, où il rencontre les « Broder Singers » (sorte de troubadours yiddish), qui interprètent ses chansons. Les chansons et les sketches de Goldfaden, interprétés dans le bistrot de Shimon Mark à Iaşi, marquent le début du théâtre professionnel yiddish moderne.
En 1877, Goldfaden organise la première troupe de théâtre yiddish, basant ses pièces sur des modèles de théâtre européens tirés de singspiels, vaudevilles, opéras et d’opérettes. Sa période la plus créative (1877-1883) révèle ses capacités protéiformes de dramaturge, metteur en scène, compositeur, scénographe, professeur de théâtre et imprésario. Il recrute des « meshoyrerim » (assistants cantoraux) comme acteurs chantants et embauche des femmes. En 1877, sa troupe fait une tournée en Roumanie avec ses nouvelles pièces « Di rekrutn » (Les recrues) et « Di bobe mitn eynikl » (La grand-mère et son petit-enfant). À Bucarest, sa comédie « Shmendrik », son premier classique, met en scène un étudiant stupide et naïf de yeshiva. « Shmendrik », le nom du personnage entre dans le parler yiddish. Le troisième acte étonne par son intégration habile de renversement de l’intrigue, de chant, et sa représentation détaillée d’un mariage juif.
La scénographie de Goldfaden parvient à esthétiser la vie et les coutume juives. En fusionnant tension dramatique, spectacle et yidishkayt (judaïsme), il crée un théâtre accessible aux Juifs d’Europe de l’Est. Ses succès sont tels que les troupes yiddish rivales, menées par Yoysef Lateiner et Moyshe Hurvits, plagient les scénarios de Goldfadn.
En 1878, Goldfadn met en scène l’une de ses opérettes les plus populaires, « Di kishef-makherin » (La Sorcière). Ses deux personnages célèbres, Bobe Yakhne, la sorcière (une entremetteuse), et Hotsmakh, un bonimenteur, reflètent des types du shtetl contemporain. L’œuvre, centrée autour du thème de l’amour romantique, traite le côté sombre de la vie au shtetl et y ajoute un cadre turc exotique.
En 1879, la troupe de Goldfaden se produit à Odessa et fait une tournée dans le sud de la Russie. En 1880, elle joue à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Minsk et à Berdichev. Son opérette « Der fanatik oder beyde Kuni-Lemls » (Le fanatique ou les deux Kuni-Lemls) s’inspire du conflit contemporain entre la religiosité inflexible et la modernité séculière. L’amour et l’éducation moderne l’emportent entre les mains « maskiliques » de Goldfaden. Le « Kuni-Leml » éconduit devient un terme générique yiddish synonyme de traditionaliste grossier et stupide.
Les critiques yiddish soviétiques considèrent ces œuvres – avec leurs types folkloriques contemporains, l’esprit populaire et la moquerie sur la bourgeoisie intrigante – comme les meilleurs exemples du théâtre de Goldfaden. En revanche, ils détestent ses travaux historiques écrits après 1881. Ces pièces postérieures reflètent les réactions de Goldfaden aux pogroms et au nationalisme qui s’intensifie. Inversement, les critiques en Pologne et aux États-Unis préfèrent ces derniers travaux, particulièrement « Shulamis » (1881) et « Bar Kokhba » (1883).
En 1881, Goldfadn passe de la comédie au mélodrame et à la tragédie, en choisissant des sujets principalement issus du monde post-biblique. Certains critiques voient l’influence des « purim-shpils » dans son travail, mais la plupart estiment que Goldfaden suit les conventions des livrets de l’opéra romantique.
Les tableaux de Goldfaden prennent de plus en plus d’importance dans le spectacle et provoquent les réactions émotionnelles à travers les cadres historiques. « Shulamis », en quatre actes et quinze tableaux, dépeint l’amour d’une paysanne et d’un rejeton rebelle de Jérusalem. L’histoire suit les conventions de l’opéra contemporain, y compris une scène de folie au troisième acte et un tableau de mariage final dans le Grand Temple de Jérusalem. Mettre en scène l’époque du Premier Temple lui permet de fondre la culture avec le nationalisme d’une manière similaire à l’opéra « Nabucco » de Verdi. L’oeuvre met également en valeur un thème nouveau – pour les Juifs – l’amour romantique lié à la responsabilité sociale. La musique domine l’oeuvre, avec 25 morceaux: marches, chœurs, danses et chansons.
La musique dans les productions de Goldfaden est souvent l’œuvre de son partenaire et faire-valoir Zelig Mogulescu, qui, contrairement à lui, sait lire et écrire une partition musicale. Les sources de cette musique comprennent les opéras de Donizetti, Bellini et surtout Verdi. Les traditions locales d’opérette peuvent aussi servir de sources, ainsi que des hymnes synagogaux, des mélodies hassidiques, de la musique klezmer et des chansons folkloriques slaves. Goldfaden incorpore des chansons pour intensifier le moment dramatique, définir l’ambiance, délimiter le caractère et intensifier la passion lyrique, en intégrant souvent la satire sociale mordante dans les dernières strophes. Des chansons telles que « Dos Pastekhl » (Le Berger) et « Shabes, yontef un roshkhoydesh » (Sabbat, Fête et Nouvelle Lune) entrent dans le folklore de son vivant. « Rozhinkes mit mandlen » (Raisins et amandes), sa chanson la plus célèbre, est longtemps restée dissociée de son contexte d’origine (elle est apparue pour la première fois dans Shulamis) et se présente aujourd’hui comme une métaphore sentimentale de toute la culture yiddish.
Goldfaden fait suivre « Shulamis » de « Dr Almasado », une opérette historique située dans la Palerme médiévale, dont la communauté juive est menacée d’expulsion mais est sauvée par un bon docteur. L’ouvrage est un commentaire voilé de la condition juive russe en 1881. « Bar Kokhba », dont la première a lieu au début de 1883, fait étalage de ses plus grands talents. Le héros tragique messianique éponyme de la pièce confronte noblement Rome mais ne parvient pas à libérer Israël. De grandes scènes d’opéra alternent avec des scènes intimes, de la cour romaine au campement juif, des confrontations publiques et des scènes d’amour privées. Des scènes telles que Tish’ah be-Av dans une synagogue, la chute de Betar, et le dernier tableau représentant des Romains massacrant des Juifs jouent à la fois sur le passé national et sur les récents pogroms de Russie.
En 1883, une nouvelle politique tsariste sape le théâtre yiddish en Russie et met fin à la période la plus créative de Goldfadn. Au cours du quart de siècle suivant, il erre à travers l’Europe et l’Amérique. En 1885-1887, il est à Varsovie, où il publie des éditions de ses meilleures œuvres. Il déménage ensuite à New York, où il reste deux ans. Malgré la mise en scène de nouvelles œuvres bibliques comme « Akhashveyresh » (Assuérus) et « Akeydes Yitskhok » (Le Sacrifice d’Isaac), avec lesquelles il chercha à retrouver sa popularité passée, il échoue à se rétablir.
Goldfaden s’installe finalement à Lemberg, où il dirige un théâtre yiddish en 1894-1895. Il produit « Tsaytn fun Meshiekh (Au temps du Messie) et d’autres pièces de moindre importance. En 1900, ilest délégué au Congrès sioniste mondial à Paris. En 1903, il retourne en Amérique, où il vit dans la pauvreté. Il écrit une dernière pièce, « Ben ami », basée sur le roman « Daniel Deronda » de George Eliot.
Quand il meure à New York le neuf janvier 1908, plus de 100000 personnes assistent à ses funérailles.
Ses pièces musicales – et en particulier ses chansons – demeurent emblématiques de la culture yiddish.
(Source: Seth L. Wolitz, YIVO)
