6 juillet 1886
Naissance à Lyon de Marc, Léopold, Benjamin Bloch, grand historien et grand résistant.
Marc Bloch naquit dans une famille juive. En optant pour la France en 1871, elle fut contrainte de quitter l’Alsace. Le père de Marc Bloch, Gustave Bloch, né en 1848 à Fegersheim, dans le Haut-Rhin, était un brillant universitaire, spécialiste de l’histoire romaine, qui enseigna à la faculté de Lyon et à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. C’est à lui que Marc Bloch dédia sa thèse, « À mon père, Son élève », tout en reconnaissant au début de l’ouvrage que sa recherche avait été faite sous la direction du médiéviste Christian Pfister.
La jeunesse de Marc Bloch fut vécue dans le contexte de l’Affaire Dreyfus. Sa famille ne revendiquait ni ne reniait son judaïsme. Lui-même était agnostique. Jamais Marc Bloch ne cacha ses origines mais elles ne furent pas la motivation profonde de son action de résistant pendant la Seconde guerre. Le patriotisme et l’attachement à la République, aux libertés qu’elle assurait aux citoyens, firent la force de ses convictions.
C’est à Clermont-Ferrand que Marc Bloch écrivit en mars 1941 son Testament spirituel . Il y déclarait : «Attaché à ma patrie par une tradition familiale déjà longue, nourri de son héritage spirituel et de son histoire, incapable, en vérité, d’en concevoir une autre où je puisse respirer à l’aise, je l’ai beaucoup aimée et servie de toutes mes forces».
Marc Bloch fit ses études secondaires à Paris au lycée Louis-le-Grand. Il cumulait les prix et reçut le premier prix du Concours général en histoire naturelle. Il entra à la rue d’Ulm en 1904 et fut reçu à l’agrégation d’histoire et de géographie en 1908. Une bourse du ministère des Affaires étrangères lui permit une longue incursion, très studieuse, en Allemagne, où il trouva aliment à son goût de l’historiographie.
Pendant les trois années suivantes, il fut pensionnaire de la Fondation Thiers. La fondation était due à un legs d’Adolphe Thiers et offrait à des doctorants sélectionnés des conditions favorables à leurs recherches. Marc Bloch appartenait à la 17e promotion. Il bénéficiait aussi d’une bourse du CNRS de 3 ans. Il fut nommé professeur de lycée, à Montpellier en 1912-1913, puis à Amiens en 1913-1914.
Mobilisé en 1914 dans l’infanterie comme sergent, envoyé dans l’Argonne, il termina la guerre avec le grade de capitaine et reçut la Légion d’honneur et la Croix de guerre. Il était devenu officier de renseignement, promotion exceptionnelle. Elle révèle, entre autres preuves, que cet historien était aussi un soldat. Cette première expérience de la guerre est relatée dans l’ensemble documentaire mis au point par son fils Étienne dans Écrits de guerre, 1914-1918.
Revenu en 1919 à la vie civile, il fut nommé à la faculté de Strasbourg qui venait d’être inaugurée. C’est dans les deux décennies qui suivirent que Marc Bloch réalisa son œuvre de chercheur. Il avait épousé en 1919 Simonne Vidal, née en 1894, fille d’un polytechnicien professeur à l’École des Ponts et Chaussées. Elle lui donna six enfants tous nés à Strasbourg. Marc Bloch se montra toujours très attaché à sa famille et à l’éducation de ses enfants : une éducation sévère et exigeante, mais généreuse.
À Strasbourg, il subit l’influence d’Henri Pirenne, fervent partisan de l’histoire comparative. Influence déjà perceptible quand il publia en 1920 sa thèse « Rois et serfs », soutenue dans le cadre des conditions particulières réservées aux combattants.
Ce fut ensuite la publication des « Rois thaumaturges » en 1924 et des « Caractères originaux de l’histoire rurale française » en 1931.
Depuis 1920, avec Lucien Febvre et André Piganiol, il travaillait sur les problèmes de méthode en histoire. C’est ce petit groupe que l’on nommait «le groupe des Strasbourgeois» qui en 1929 fonda les Annales d’Histoire économique et sociale. La revue était pluridisciplinaire, très novatrice. Elle rompait avec les pratiques traditionnelles des historiens, elle engageait une révolution épistémologique. Marc Bloch la dirigeait, tout en entretenant une abondante correspondance avec Lucien Febvre.
En 1936, Marc Bloch fut nommé maître de conférences à la Sorbonne puis professeur titulaire de la chaire d’histoire économique et sociale en 1938 ; il y prenait la succession d’Henri Hauser aujourd’hui considéré comme l’un des précurseurs de l’École des Annales. Ce fut donc une carrière brillante. Marc Bloch était un professeur érudit, ouvert aux autres disciplines, doté de vastes connaissances en linguistique. C’est d’ailleurs par la linguistique qu’il vint à la méthode comparative, et par la connaissance des travaux de l’école géographique française et de l’histoire du droit qu’il put appréhender les « Caractères originaux de l’histoire rurale française ».
Comme l’a écrit en 1945 son ami Lucien Febvre : «Il faut, pour attaquer les grands problèmes, organiser l’attaque convergente de dix, de douze disciplines diverses».
Marc Bloch, bon connaisseur de l’Allemagne, eut, mieux que les politiques, conscience des dangers provoqués par les erreurs diplomatiques qui suivirent la Première guerre. Rappelé en 1938 comme réserviste, il fut en 1939, engagé volontaire à cinquante-trois ans. On le chargea de superviser la mobilisation à Strasbourg et Saverne. Puis en octobre, dans l’Aisne, de travailler aux transports, au stockage et à la répartition des carburants.
L’armée française reculait et Marc Bloch se trouva en mai à Dunkerque ; il s’embarqua pour l’Angleterre le 31 mai. Il repartit immédiatement de Plymouth vers Cherbourg et ne quitta la Normandie qu’à l’arrivée des Allemands le 17 juin. En juillet, il retrouva sa famille dans sa maison de campagne au hameau des Fougères, commune de Bourg d’Hem, dans la Creuse.
Il tira de cette expérience son témoignage sur « L’étrange défaite » qu’il écrivit pendant l’été de 1940. Cet homme, qui n’avait jamais compté parmi les pacifistes de l’entre-deux guerres, qui avait subi la défaite de 1940 avec douleur et humiliation comme il l’a si bien dit dans « L’étrange défaite », avait mis son espoir dans une victoire anglaise et dans le sursaut populaire, le sursaut citoyen. Il savait la défaite imputable en grande partie «aux erreurs du commandement», mais réfléchissait aussi en historien responsable quand il écrivait à propos des années 1930 : «Paresseusement, lâchement, nous avons laissé faire […] nous n’avions pas deviné le nazisme».
En octobre 1940, en vertu du statut des juifs, il fut exclu de la Sorbonne. Les Allemands pillèrent sa bibliothèque, ses notes de recherche, et réquisitionnèrent son appartement parisien situé 17 rue de Sèvres. Ses livres furent envoyés en Allemagne en 1942, conformément à une directive de Rosenberg qui s’appliquait aux biens des non-Aryens.
Marc Bloch installa sa famille à Guéret dans la Creuse non loin de la maison des Fougères pour lui épargner les bombardements. Le secrétaire d’État à l’Éducation nationale était un historien : Jérôme Carcopino, qui avait été l’élève de son père Gustave. Marc Bloch fut rétabli dans ses fonctions de professeur «pour services scientifiques exceptionnels rendus à l’État français» et nommé à la chaire d’histoire médiévale de la faculté de Strasbourg, repliée alors à Clermont-Ferrand.
En acceptant cette nomination, il renonçait à partir pour les États-Unis : il avait en effet reçu l’invitation de la New School of Social Research, prestigieuse Université fondée à New york en 1919. Ses responsabilités familiales ont sans doute beaucoup pesé dans cette décision.
À Clermont-Ferrand, Marc Bloch était, avec sa famille, étroitement logé, privé de sa bibliothèque, inquiet de la mauvaise santé de sa femme. En 1941, il obtint sa mutation pour Montpellier. Mais il ne put y donner que deux cours avant d’être mis à l’écart: le doyen de la faculté des Lettres Augustin Fliche et son influent ami le professeur Marcel Blanchard faisaient partie du «Midi blanc».
En 1942, Marc Bloch reçut du ministère quelques dossiers sauvés de son bureau parisien. Il entreprit la rédaction de son « Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien ».
Il se lia avec le géographe Paul Marres qui entra dans le Front national quand un professeur de lycée, Henri Pupponi, le fonda en 1942 à Montpellier. Depuis la rentrée de 1940, l’Université de Montpellier avait déjà accueilli des professeurs réfugiés de Strasbourg, Paris ou Nancy. Pierre Henri Teitgen, qui enseignait le droit constitutionnel, ou le germaniste Edmond Vermeil, venu de Strasbourg. Pionniers de la résistance intellectuelle, ils créèrent le mouvement Liberté avant de participer à la formation de Combat.
Non seulement ils analysaient avec lucidité et audace devant leurs étudiants la politique de la Révolution nationale et les relations de Vichy avec l’occupant, mais ils formaient un « Cercle d’études » qui préparait la reconstruction du pays dans le respect des valeurs démocratiques. Marc Bloch se joignit à eux. L’œcuménisme du groupe lui convenait : Teitgen était chrétien-démocrate, Vermeil protestant, lui-même était un laïque car ce n’est pas en tant que juif qu’il entra en Résistance. Les fils ainés de Marc Bloch, Étienne et Louis, étaient étudiants. Étienne, élève de Teitgen, distribuait les journaux clandestins, « Liberté », puis « Combat ».
Louis faisait partie des « Corps francs » créés par le frère de l’historien Pierre Renouvin, Jacques, tout jeune avocat. C’est leur père qui, en décembre 1942, trouva une filière leur permettant le franchissement des Pyrénées. En effet, depuis novembre 1942, les Allemands occupaient le midi et la maison de la Creuse où s’étaient réfugiées la famille de Marc Bloch et celle de son beau-frère Arnold Hanff était menacée.
Les deux fils de Marc Bloch rejoignirent les FFL. Étienne allait combattre en 1944 dans la 2° DB. Quant à Marc Bloch, il fut contraint à la clandestinité. Il avait rencontré à Clermont-Ferrand le dirigeant local du mouvement « Franc-tireur », Robert Waitz, et un étudiant en philosophie, Maurice Pessis, qui appartenait lui aussi à la section de Lyon. Il rejoignit donc le mouvement « Franc-Tireur » dans la région lyonnaise et travailla dans le comité directeur régional. Son pseudo était «Narbonne».
De fait, il ne fut intégré dans le mouvement que grâce à l’insistance de Maurice Plessis auprès de George Altmann. Avant tout, il voulait servir. Jean-Pierre Lévy, responsable du Mouvement, a dit n’avoir connu qu’après la guerre le comportement de Marc Bloch; il a écrit dans « Memoires d’un Franc-Tireur », «J’ai appris avec émotion que Marc Bloch, cet historien éminent, avait trouvé normal d’accepter sans réticences les directives que je donnais […] bien que par mon âge, j’aurais pu être son fils».
Marc Bloch, malgré ses cinquante-sept ans sut aussi se plier aux rudesses de la vie clandestine. Il se montra si utile qu’il représenta « Franc-Tireur » à partir de juillet 1943 au directoire des MUR à Lyon. La Résistance intérieure préparait la Libération. Il s’agissait s’organiser l’insurrection libératrice, le Comité de Libération régional, mais aussi de penser aux lendemains, au régime politique, économique, social du pays libéré.
C’était la préoccupation du Comité Général d’Études, formé par Jean Moulin. Marc Bloch, déjà riche de l’expérience du Cercle de Montpellier, fut chargé de diriger la rédaction des Cahiers politiques, un travail de réflexion sur les réformes envisagées. Celle de l’enseignement en faisait partie et Marc Bloch s’y attacha particulièrement.
Mais il fut arrêté par la Gestapo le 8 mars 1944 après une dénonciation qui entraîna de multiples arrestations dans le Lyonnais. Il fut enfermé à la prison de Montluc sous le pseudo de Maurice Blanchard et subit des tortures sans parler : Marc Bloch était un homme de grand courage. Au cours de ses interrogatoires à l’École de santé militaire il fut frappé, et soumis au supplice de la baignoire ; on lui brisa des côtes et un poignet.
Le 21 mars, dans un message adressé à Berlin, Otto Abetz écrivait que la Résistance lyonnaise était décapitée et attribuait à Marc Bloch dans l’État-Major de la Résistance un rôle de direction : «Le chef de cet État-Major est un juif français nommé Block dont le pseudonyme est Michel Narbonne». Les Allemands et leurs amis se plaisaient à déformer les noms des juifs.
Marc Bloch fut exécuté le soir du 16 juin 1944 avec 29 autres résistants près de Saint-Didier-de Formans au lieu dit «Les Roussilles». 18 militaires allemands y abattirent leurs prisonniers par groupes de 4 puis de 2 à coups de mitraillettes.
L’épouse de Marc Bloch, Simonne, qui était allée à Lyon après l’arrestation de son mari, y mourut à l’hôpital le 2 juillet 1944.
Marc Bloch fut inhumé au cimetière municipal de Bourg d’Hem (Creuse) où il repose depuis lors et son nom figure sur le mémorial de la Résistance creusoise à Guéret.
