29 juillet 1849
Naissance à Pest (Hongrie) de Simha Meïr Südfeld, dit Max Nordau, co-fondateur avec Herzl du sionisme politique.
Un jour Max Nordau, reçut dans son cabinet de psychiatrie la visite d’un juif religieux et de son fils.
L’enfant était quelque peu timide et Max Nordau pour le mettre à l’aise lui demanda de lui raconter ce qu’il avait étudié dans le heder qu’il fréquentait. L’enfant lui raconta l’histoire de Rachel. Il lui cita le commentaire de Rachi dans lequel Jacob s’excuse auprès de son fils Joseph d’avoir enterré sa mère en chemin et de ne pas l’avoir ensevelie comme les autres matriarches dans la caverne de Machpela. « Je l’ai fait, dit Jacob, sur ordre de Dieu pour qu’elle puisse sortir de sa tombe et prier pour ses fils exilés. Je l’ai fait, continua Jacob, pour qu’elle puisse aider ses enfants et leur insuffler force et courage au moment où ils quitteront le pays. Je l’ai fait pour qu’elle annonce à ses enfants que cet exil ne sera que provisoire et que le Tout-Puissant ramènera les exilés des contrées lointaines. » Max Nordau, ému, prit l’enfant et l’embrassa sur la tête. Il lui dit : « Un peuple qui garde ses souvenirs dans sa mémoire, ce peuple ne périra jamais. »
Comme Herzl, Nordau est né à Budapest et a grandi dans un milieu culturel allemand. Bien qu’il ait reçu un diplôme de médecine et pratiqué en tant que médecin, Nordau était surtout connu comme journaliste et homme de lettres. À partir de la fin des années 1860, il travailla pour plusieurs grands journaux européens, dont la « Neue Freie Presse » de Vienne, la même institution qui employait Herzl comme correspondant à Paris.
Après avoir reçu une éducation juive traditionnelle (et, contrairement à Herzl, diplômé de ses études avec une connaissance pratique de l’hébreu), Nordau a abandonné la vie religieuse. Il est devenu un membre de l’intelligentsia juive d’Europe de l’Ouest assimilationniste avant de faire un retour dramatique à la vie juive avec sa nouvelle passion pour le sionisme.
C’est dans cette phase assimilationniste, avant 1895, que Nordau a publié les livres qui lui ont valu la notoriété dans les cercles intellectuels européens: « Les mensonges conventionnels de notre civilisation » (1883), « Dégénérescence » (1892) et « Paradoxes sociologiques » (1896). Bien que ce ne soit pas son œuvre la plus populaire ni considérée comme la plus réussie, celle dont on se souvient le plus et qui est de nos jours la plus citée et la plus critiquée est « Dégénérescence ».
À la fin du XIXe siècle, en France, un débat anime l’opinion: celui de la parenté du génie et de la folie. Max Nordau, psychiatre, publie un texte qui fait scandale mais est aussi l’un des best-sellers de son époque : « Dégénérescence », une vaste fresque décrivant la littérature fin de siècle atteinte de la maladie de son époque dégénérée Nietzsche, Zola, Mallarmé, Ibsen, etc. aucun de ceux que nous considérons aujourd’hui comme les grands auteurs du XIXe ne trouve grâce sous le scalpel flamboyant de Nordau. Et le lecteur moderne ayant sur celui de Nordau l’avantage de l’histoire, une qualité inattendue de son travail lui saute donc aux yeux : son exhaustivité. Car « Dégénérescence » est une synthèse sans égale de tous les mouvements artistiques les plus importants des trente dernières années du XIXe siècle. Ce contempteur de l’art «décadent» a su inventorier les plus grands artistes de son temps; il les commente avec une érudition surprenante. Tous ceux auxquels il a consacré son attention sont devenus des classiques. À ce titre, « Dégénérescence » est, paradoxalement, un tour de force.
Nordau applique la philosophie libérale, positiviste et rationaliste, et la psychopathologie qu’il avait empruntée à Lombroso, à l’ensemble de la société européenne, dans une œuvre philosophique, littéraire et politique impressionnante. Naviguant entre la critique de l’establishment conservateur et celle de la modernité, l’universalisme cosmopolite et l’engagement sioniste, la psychopathologie de la décadence et le combat contre les préjugés et l’antisémitisme, cette œuvre ne manque pas d’être en maints endroits problématique, voire choquante et contradictoire
Dans ces œuvres, il articulait une philosophie libérale et utilitariste basée sur le concept de solidarité humaine: l’idée qu’un individu pouvait mieux servir ses propres intérêts en considérant les autres et en travaillant à améliorer le sort de l’humanité dans son ensemble.
Il écrit: «L’épanouissement de l’humanité est votre jardin d’Eden, sa dégénérescence, c’est votre Enfer.» Nordau envisageait une version rationaliste de l’État sioniste, servant de cadre contractuel destiné à promouvoir le bien-être de ses citoyens. Tel fut le contexte de sa dénonciation ardente et controversée de la descente – ou de la dégénérescence – de l’Europe de la fin du XIXe siècle vers l’irrationalité, le nationalisme ethnique et l’antisémitisme.
Dès 1892, à Paris, Max Nordau fit la connaissance de Herzl, lui aussi originaire de Budapest. Il devint son ami et resta toujours son plus fidèle partisan. En 1895, ils assistèrent ensemble à la dégradation du capitaine Dreyfus, et tandis qu’Herzl en rédigeait le compte rendu pour la Neue Freie Presse de Vienne, Nordau la rapporta dans la Vossische Zeitung de Berlin. Pour Nordau aussi, l’événement ne pouvait avoir qu’un sens : l’échec total et absolu de l’assimilation, et lorsque Herzl lui lut son État des Juifs, Nordau fut immédiatement conquis. En 1896, Herzl proclama Nordau chef du mouvement sioniste en France, un mouvement qui était alors à l’état embryonnaire, dans un environnement culturel particulièrement difficile. Dès 1897, Nordau rédigea le fameux programme du premier Congrès sioniste de Bâle, et il remplit un rôle de premier plan dans tous les Congrès suivants, présentant chaque année un grand discours de synthèse sur la situation des Juifs dans le monde. Ses discours deviendront des textes classiques de la littérature sioniste. Il mena une propagande inlassable, se mettant tout entier au service de la cause qu’il défendait avec passion et talent, et soutint toujours les thèses « politiques » de Herzl, notamment contre Ahad Haam et les tenants du « sionisme culturel ». Il alla jusqu’à défendre, sans y croire vraiment, le projet de l’Ouganda, qu’il qualifia d’ « asile de nuit » pour en marquer le caractère temporaire. À la mort de Herzl, il refusa de prendre la direction de l’Organisation sioniste que beaucoup lui offraient et qui aurait du logiquement lui revenir, ce qui ne l’empêcha pas de continuer à se consacrer à la cause. En 1911, il présida pour la dernière fois un congrès sioniste : la vérité est que Max Nordau se sentait amer et déçu de l’orientation prise par l’administration sioniste sous la houlette de Chaim Weizmann, qu’il jugeait beaucoup trop pragmatique, et beaucoup trop éloigné de la vision prophétique de Herzl. En 1920, dans son discours à l’Albert Hall de Londres, il déclara, face aux hommes politiques britanniques et aux leaders sionistes, que la seule signification possible de la déclaration Balfour devait être la constitution rapide d’une majorité juive en Palestine, suivie d’un État juif indépendant. Nordau cultivait un sionisme vitaliste et volontariste : pour lui, les Juifs devaient se rendre en Palestine comme des émissaires de la culture occidentale et repousser les frontières culturelles de l’Europe jusqu’à l’Euphrate.
Max Nordau mourut à Paris le 23 janvier 1923 et fut ré-enterré en 1926 au vieux cimetière de Tel-Aviv. Bien que ses propositions pour l’immigration de masse furent rejetées par la direction sioniste en faveur d’approches plus progressives, il légua au nationalisme juif l’une de ses prédilections idéologiques les plus importantes. En 1903, il publia un article intitulé « Muskeljudentum » (La judéité musclée), dans lequel il plaidait pour la force et la forme physiques comme des valeurs fondamentales du sionisme:
« Nous devons penser à créer une fois de plus une communauté juive de muscles … Dans l’étroite rue juive, nos pauvres membres oublièrent bientôt leurs mouvements joyeux; dans l’obscurité des maisons sans soleil, nos yeux se mirent à cligner timidement; la peur de la persécution constante transformait nos voix puissantes en chuchotements effrayés, qui ne s’élevaient dans un crescendo que lorsque nos martyrs sur l’échafaud hurlaient leurs prières agonisantes à la face de leurs bourreaux. Mais maintenant, toute coercition est devenue un souvenir du passé, et nous avons enfin l’espace nécessaire pour que nos corps revivent. Reprennons nos traditions les plus anciennes; devenons une fois de plus des hommes à la poitrine profonde, robustes, aux yeux perçants. »
Alors que l’objectif immédiat de Nordau – réalisé avec succès – était la création de clubs sportifs juifs, ses idées ont profondément influencé le contenu idéologique du mouvement sioniste.
