Ephéméride | Regina Jonas [ 3 Août ]

3 août 1902

Naissance de Regina Jonas, la première femme ordonnée rabbin.

« Si je confesse ce qui m’a motivée, moi une femme, à devenir rabbin, deux choses me viennent à l’esprit. Ma croyance en l’appel de Dieu et mon amour des humains. Dieu inscrit dans nos coeurs des compétences et une vocation sans poser de questions sur le genre. Par conséquent, c’est le devoir des hommes et des femmes de travailler et de créer selon les compétences données par Dieu. » Regina Jonas, C.-V.-Zeitung, 23 juin 1938.

Regina Jonas, la première femme à avoir été ordonnée rabbin, fut tuée à Auschwitz en octobre 1944. De 1942 à 1944, elle exerça des fonctions rabbiniques à Theresienstadt. Elle aurait probablement été complètement oubliée, si elle n’avait pas laissé de traces à Theresienstadt et dans sa ville natale, Berlin.
Aucun de ses collègues masculins, parmi lesquels le rabbin Leo Baeck (1873-1956) et le psychanalyste Viktor Frankl (1905-1997), ne l’a jamais mentionnée après la Shoah.
En 1972, lorsque Sally Priesand fut ordonnée au Hebrew Union College de Cincinnati, on la présenta comme la « première femme rabbin de tous les temps », une information qui ne fut jamais corrigée par ceux qui savaient.
Ce n’est que lorsque le mur de Berlin fût tombé et que les archives en Allemagne de l’Est furent devenues accessibles que le legs de Regina Jonas fut retrouvé dans les « Gesamtarchiv der deutschen Juden ».

Regina Jonas naquit à Berlin le 3 août 1902, fille de Wolf et Sara Jonas. Elle grandit dans le Scheunenviertel, un quartier pauvre, principalement juif. Son père, un commerçant mort de tuberculose en 1913, fut probablement son premier professeur. Dès le début, Regina Jonas sentit sa vocation rabbinique. Sa passion pour l’histoire juive, la Bible et l’hébreu était évidente même au lycée, où des camarades de classe se souviennent qu’elle parlait de devenir rabbin.

Beaucoup de gens soutenaient les ambitions de Regina, parmi lesquels les rabbins orthodoxes Isidor Bleichrode, Felix Singermann et Max Weyl, dont le dernier était connu pour son attitude ouverte envers l’éducation religieuse des filles. Max Weyl officiait souvent dans la synagogue de la Rykestrasse, à laquelle Sara Jonas et ses deux enfants, Abraham et Regina, assistaient régulièrement.
Jusqu’à sa déportation à Theresienstadt, Weyl et Regina se retrouvaient une fois par semaine pour étudier la littérature rabbinique – Talmud, Shulhan Arukh et autres textes.
En 1923, Jonas passa son Abitur (bac allemand) à l’Oberlyzeum Weissensee. L’année suivante, elle suivit un séminaire d’enseignants, ce qui lui permit d’enseigner la religion juive dans les écoles de filles à Berlin.

En 1924, elle s’inscrit à la « Hochschule für die Wissenschaft des Judentums », fondée à Berlin en 1872. Cette institution libérale accueille les femmes comme étudiantes, tout comme le « Jüdisch-Theologisches Seminar » à Breslau, fondé en 1854, mais Regina est la seule femme qui espère être ordonnée rabbin. Toutes les étudiantes étudient pour un diplôme d’enseignante.

Eduard Baneth (1855-1930), professeur de Talmud à la Hochschule et responsable de l’ordination rabbinique, est le directeur de la thèse finale de Jonas, qui porte sur le thème « Une femme peut-elle occuper un poste rabbinique? » Une copie de ce document a été conservée et peut être consultée au Centrum Judaicum à Berlin. Soutenu en juin 1930, ce document est la première tentative connue de trouver une base halakhique pour l’ordination des femmes.

Jonas combine une ligne d’argumentation halakhique avec une attitude moderne. Elle ne suit le mouvement réformiste, qui est prêt à se moderniser en abandonnant la halakhah. Au contraire, elle veut déduire l’égalité des sexes des sources juridiques juives: le rabbinat féminin devant être compris comme une continuité de la tradition. Cela montre l’indépendance de Jonas à la fois vis-à-vis de l’orthodoxie, qui considèret l’égalité comme incompatible avec la Halakha, et de la Réforme, qui se voit comme l’unique défenseur de l’émancipation des femmes.

Sur la première page de sa thèse, Jonas écrit: « J’aime personnellement cette profession et, si possible, je veux aussi la pratiquer. » Sur la dernière page, elle conclut: « Pratiquement rien halakhiquement, si ce n’est les préjugés et le manque de familiarité ne s’oppose à ce que des femmes occupent un poste rabbinique. »

Etant donné que la littérature rabbinique ne traite pas de l’ordination en soi, Jonas embrasse la littérature halakhique qui se rapporte plus généralement aux problèmes des femmes. Elle nomme des femmes importantes qui, sans détenir le titre de « rabbin », remplissaient les fonctions rabbiniques, plus particulièrement en tant que décisionnaires de la halakha. En plus des protagonistes bibliques, elle mentionne des personnalités talmudiques telles que Beruryah, Yalta, la reine hasmonéenne Salomé Alexandra, ainsi que les filles et les petites-filles de Rashi, impliquées dans la prise de décision halakhique. Elle cite des déclarations talmudiques négatives sur les femmes, non seulement en leur opposant des affirmations positives, mais en les contextualisant également en citant des déclarations tout aussi négatives sur les grands sages.

Jonas distingue entre les statuts immuables d’origine divine d’une part et les « opinions » de rabbins individuels d’autre part. Pour elle, la validité d’une interdiction dépend du raisonnement qui la sous-tend et non de l’interdiction en tant que telle.

Un point clé dans son argumentation concerne l’idéal de la Zeni’ut – (Modestie). Elle attend des femmes en particulier qu’elles rétablissent des valeurs telles que l’humilité, la retenue et la moralité. À son avis, une femme rabbin ne devrait pas se marier, mais chaque femme devrait être libre de décider si elle veut une vie de femme et de mère ou une profession en fonction de ses compétences. De l’avis de Jonas, les femmes sont particulièrement aptes à être des rabbins, car les « qualités féminines » telles que la compassion, les aptitudes sociales, l’intuition psychologique et l’accessibilité pour les jeunes sont des préalables essentiels pour le rabbinat. Par conséquent, les rabbins féminins sont « une nécessité culturelle ».

La thèse de Jonas reçut la note « Bien » (Praedikat gut). Peu de temps après, Eduard Baneth mourut et son successeur, Hanokh Albeck (1890-1972), se montra peu disposé à ordonner une femme. Aucun des autres professeurs de la Hochschule n’éleva la voix sur cette question, craignant probablement un scandale. En conséquence, Regina Jonas ne fut diplômée que comme professeure de religion. Dans les années qui suivirent, elle enseigna la religion dans plusieurs écoles de filles à Berlin, où elle était connue pour être une enseignante très populaire et engagée.

En 1933, la charge de travail des enseignants juifs augmenta considérablement, car les étudiants qui devaient quitter l’école publique à cause de l’antisémitisme non seulement avaient besoin de connaissances juives, mais devaient aussi apprendre à être fiers de leur héritage juif.

Néanmoins, Jonas continua à rechercher l’ordination. Enfin, en 1935, le rabbin Max Dienemann (1875-1939), directeur exécutif de la Libéral Rabbinerverband (Conférence des rabbins libéraux) accepta l’ordination, au nom du Verband. Sue son diplôme d’ordination, il écrivit: « Ayant vu que son coeur est avec Dieu et Israël, et qu’elle consacre son âme à son but, et qu’elle craint Dieu, et qu’elle a passé l’examen en matière de droit religieux, je certifie par la présente qu’elle est qualifiée pour répondre aux questions de droit religieux et a le droit d’occuper le poste rabbinique. Et que Dieu la protège et la guide dans toutes ses voies. »

Quelques années seulement de travail rabbinique à Berlin furent accordées à Regina Jonas. En 1937, la Communauté juive de Berlin commença à l’employer officiellement comme « conseillère pastorale-rabbinique » dans ses institutions de bienfaisance. Par la suite, elle exerça régulièrement à l’hôpital juif. Comme de plus en plus de rabbins étaient emprisonnés ou avaient émigré, elle commença également à prêcher dans les synagogues les plus libérales de Berlin.
Un groupe d’habitués de la célèbre Neue Synagoge, le vaisseau amiral de la communauté juive allemande, la fit prêcher dans les services de Havdalah de la synagogue « en semaine ». Jonas donna des conférences à des groupes de la WIZO et du Jüdischer Frauenbund, ainsi qu’à des confréries des loges juives.

Elle mit elle-même l’accent sur son travail pastoral, visitant les malades de l’hôpital juif et s’occupant des personnes âgées dont la situation économique devint désespérée après le pogrom des 9 et 10 novembre 1938 (« Kristallnacht »). Parmi ses papiers, on trouve beaucoup de lettres de l’étranger dans lesquelles les réfugiés la remercient d’avoir pris soin de leurs parents restés en Allemagne.

Au cours de l’hiver 1940-1941, le Reichsvereinigung der Juden in Deutschland (l’organisation chapeau obligatoire de la communauté juive allemande établie par les nazis en 1939) l’envoya dans plusieurs villes où la communauté juive restait sans rabbins. Elle donna des sermons à Braunschweig, Göttingen, Francfort-sur-l’Oder, Wolfenbüttel et Brême.

En 1941, lorsque la plupart de ceux qui avaient échappé à la déportation furent contraint au travail forcé et ne pouvaient donc plus assister aux services réguliers, la congrégation institua des services spéciaux. Jonas, qui était elle-même obligée de travailler dans une usine, en conduisit beaucoup. Les survivants rapportèrent que ses sermons et son travail pastoral étaient particulièrement édifiants et encourageants.

Le 6 novembre 1942, Regina Jonas et sa mère furent déportées à Theresienstadt. Même là, elle exerça comme rabbin, prêchant et conseillant. Elle faisait officiellement partie du Referat für psychische Hygiene, dirigé par le psychanalyste Viktor Frankl.

Le 12 octobre 1944, elle et sa mère furent déportées à Auschwitz et probablement tuées le même jour. Dans les archives de Terezín il reste un document manuscrit qui résume sa vision du monde religieuse et son legs.
Sous le titre « Conférences de la seule femme rabbin Regina Jonas », elle énumère vingt-quatre sujets de conférences, suivis de notes sur un sermon qu’elle prononça à Terezin.

 Là, elle résume sa vision religieuse et son testament: « Notre peuple juif a été inscrit par Dieu dans l’histoire comme une nation bénie. « Béni de Dieu » signifie offrir des bénédictions, de la bonté et de la loyauté, quel que soit le lieu et la situation. L’humilité devant Dieu, l’amour altruiste pour ses créatures, soutiennent le monde. C’est la tâche d’Israël de construire ces piliers du monde – l’homme et la femme, la femme et l’homme ont pris cela sur eux-mêmes dans la loyauté juive. Notre travail à Theresienstadt, sérieux et plein d’épreuves, sert aussi cette fin: être les serviteurs de Dieu et, en tant que tels, passer des sphères terrestres aux éternelles. Que tout notre travail soit une bénédiction pour l’avenir d’Israël (et l’avenir de l’humanité) … Les « hommes juifs droits » et les « femmes courageuses et nobles » ont toujours été les soutiens de notre peuple. Puissions-nous être trouvés dignes par Dieu d’être comptés dans le cercle de ces femmes et de ces hommes … La récompense d’une mitsva est la reconnaissance par Dieu de la grande action.

Rabbin Regina Jonas, anciennement de Berlin. »

NB. Nous ne soutenons dans ce groupe aucune option religieuse ou a-religieuse particulière. Nous honorons la mémoire de Regina Jonas comme « mentsh ».