Ephéméride | YIVO [ 7 Août ]

7 août 1925

Fondation du YIVO, le principal centre de documentation et de recherche sur la langue et la culture yiddish dans le monde.

Le 7 août 1925 commença à Berlin une conférence qui aboutit à la création du Yiddisher Visenshaftlisher Institut (ייִדישער װיסנשאַפֿטלעכער אינסטיטוט) – appelé YIVO selon son acronyme yiddish.
La conférence réunissait des chercheurs d’Europe occidentale et orientale et fut le point culminant d’un processus qui avait officiellement débuté un an auparavant. Ce processus, cependant, reflétait une conscience, antérieure à la première guerre mondiale, que la culture et la langue des juifs d’Europe orientale étaient riches et uniques – mais menacées. Par conséquent, il y avait un besoin et un élan pour documenter cette culture, mais aussi pour normaliser sa langue, de sorte qu’elle puisse continuer à servir de véhicule à la culture nationale.

Le mouvement menant à la création de YIVO fut influencé par plusieurs acteurs importants: l’historien Simon Dubnow, qui fut le pionnier de l’étude de l’histoire sociale et culturelle juive; S. An-Ski, qui, avant la première guerre mondiale, avait entrepris une série de voyages au cours desquels il recueillait le folklore et la culture de la communauté juive d’Europe orientale; et Ber Borochov, le fondateur idéologique du sionisme travailliste, qui était également un chercheur important et précoce de la philologie yiddish.

Bien que la conférence fondatrice de YIVO ait eu lieu à Berlin, en 1927, il fut décidé que l’organisation aurait son siège à Vilna, qui abrite une population juive importante et dynamique. La principale figure du projet était Nochum Shtif (1879-1933), un linguiste basé à Berlin qui, après avoir été, au début de sa vie, attiré par les idées socialistes et sionistesen était venu à voir l’avenir de la nation juive au sein de l’Union soviétique, et envisageait que sa vie nationale se déroule en yiddish et non en hébreu. (Il devint plus tard l’un des directeurs de l’Institut de culture juive prolétarienne à Kiev.)

La croyance de Shtif dans la nécessité d’un institut universitaire pour l’étude du yiddish fut reprise par le philologue et directeur de théâtre de Vilna, Max Weinreich (1894-1969). Les deux autres personnages-clé étaient Elias Tcherikower, un historien qui dirigea la section historique de l’Institut dans ses premières années, et Zalmen Reyzn, un chercheur et journaliste littéraire qui participa également à la direction du YIVO. Dubnow n’était pas seulement membre honoraire du « comité consultatif » du YIVO – avec Sigmund Freud, Albert Einstein et l’anthropologue américain Edward Sapir, entre autres – mais également historien dans la section de Tcherikower.

Pour ses recherches philologiques et ethnographiques, l’institut s’appuya sur les efforts des « zamlers », collecteurs bénévoles, qui rassemblaient des documents écrits en yiddish et recueillaient des contes et de la musique, ainsi que des fonds pour le YIVO. Bon nombre d’entre eux étaient des chômeurs sans instruction qui étaient fiers de pouvoir participer à la mission.

Bien qu’il ait établi des succursales dans 30 villes à travers le monde et reçu des dons de nombreux membres de la base, le YIVO fut toujours confronté à des difficultés financières. En 1930, il commença à recevoir des fonds de communautés juives organisées, ainsi que des subventions de municipalités à forte population juive. Néanmoins, lorsqu’elle emménagea dans son nouveau siège à Vilna, en 1933, l’organisation était fortement endettée et n’avait pas versé de salaire à ses employés salariés depuis plus d’un an.

Au cours des deux premières années de la Seconde Guerre mondiale, Vilna (Lituanie) se trouva sous contrôle soviétique et, pendant une partie de cette période, occupée par les troupes soviétiques. Les Soviétiques prirent la direction du YIVO et l’incorporèrent à l’Académie des sciences de Lituanie.

Une division nazie connue sous le nom d’Einsatzstab Rosenberg arriva à Vilna en juin 1941 avec des listes de bibliothèques, de musées et d’autres collections rares qu’elle souhaitait piller. Une partie de leur mission consistait à rassembler des matériaux pour un « Institut d’enquête sur la question juive » nazi, une organisation qui devait étudier les Juifs après leur extermination. La célèbre bibliothèque publique juive de Strashun et l’institut YIVO figuraient parmi leurs cibles.

Alors que les Juifs de Vilna étaient contraints de vivre dans un ghetto et systématiquement affamés et assassinés, les Einsatzstab Rosenberg se lancèrent dans la destruction de la culture juive. Il s’approprièrent les collections rares de la bibliothèque Strashun et réquisitionnèrent tout le bâtiment du YIVO afin de recueillir des trésors culturels juifs rares.

Mais ils avaient un problème: leur personnel ne connaissait pas suffisamment la culture juive pour organiser et cataloguer de manière adéquate tout le matériel qu’ils pillaient. Ils créèrent donc une brigade de travail forcé, composée de poètes et d’intellectuels, dont Zelig Kalmanovitch, co-directeur de YIVO avant la guerre. Chaque jour, ils quittaient le ghetto pour se rendre au bâtiment du YIVO, où ils devaient trier, cataloguer et emballer les trésors culturels juifs rares à expédier en Allemagne.

Alors que les nazis pillaient les collections juives pour leur propre usage, ils détruisaient systématiquement ce qui restait. Kalmanovitch comprit que les matériaux rares du YIVO auxquels les Allemands n’étaient pas intéressés seraient détruits. Ainsi, avec d’autres, il décida de commencer à sortir discrètement des parties de la collection du YIVO qui ne devaient pas être incluses dans les envois de Judaica rares envoyés en Allemagne. Leur raisonnement était que les Allemands finiraient par perdre la guerre et que, même si eux n’y survivraient pas, les trésors le seraient.

D’autres travailleurs de l’unité de travail forcé, parmi lesquels les poètes Avrom Sutzkever et Shmerke Kaczerginski, décidèrent de sauver ces matériaux rares d’une manière plus dangereuse encore: ils les introduisirent clandestinement dans le ghetto, où ils cachèrent et enterrèrent des milliers de livres et d’œuvres d’art dans l’espoir de revenir après la guerre pour les récupérer. Quand leurs maîtres allemands avaient le dos tourné, Sutzkever, Kaczerginski et une équipe d’environ deux douzaines d’hommes et de femmes courageux plaçaient des livres et des manuscrits rares sous leurs vêtements et les faisaient passer clandestinement dans le ghetto.

Ces actes étaient extrêmement dangereux. Si les Allemands les attrapaient, ils seraient exécutés. Si la police juive et lituanienne à la porte du ghetto les surprenait, ils pouvaient être battus ou arrêtés. Heureusement, ils avaient des contacts avec la police juive et, malgré quelques grosses alertes, réussirent à éviter de se faire prendre.

Faire de la contrebande en temps de guerre signifiait généralement apporter de la nourriture aux détenus du ghetto affamés ou des objets de valeur pour corrompre des gardes. Risquer sa vie pour des livres rares et des manuscrits semblait fou. Même la police du ghetto se moquait d’eux, les appelant «la brigade de papier». Mais ils comprenaient que même s’ils ne survivraient pas à la guerre, leurs actes audacieux de préservation culturelle serviraient les Juifs pour les générations à venir.

Lorsque le ghetto de Vilna fut liquidé, les membres de la « Brigade de papier » furent dispersés. Certains furent envoyés dans des camps de concentration où ils périrent. D’autres, notamment Sutzkever et Kaczerginski, rejoignirent les partisans et combattirent les nazis dans les forêts. À la fin de la guerre, les deux poètes retournèrent à Vilna pour constater que 90% de la communauté juive avait été assassinée. Mais ils purent également constater qu’une grande partie de ce qu’ils avaient enterré dans le ghetto avait survécu. Ils récupérèrent ce qu’ils pouvaient et fondèrent un petit musée juif, une étincelle de vie dans la Vilna juive décimée.

La division des monuments, des beaux-arts et des objets d’art de l’armée américaine, « The Monuments Men », retrouva des centaines de caisses de matériaux rares appartenant au YIVO et à d’autres bibliothèques juives abandonnées dans une ville aux environs de Francfort. Des contacts furent pris avec le bureau du YIVO à New York, où tous furent abasourdis de voir que ces archives avaient survécu. Comme aucune organisation juive n’avait survécu à la guerre et que Vilna était occupée par les Soviétiques, il fut décidé de restituer les collections juives au YIVO à New York. En 1947, 465 caisses de trésors culturels juifs arrivèrent à New York et, après un bref séjour à l’entrepôt du célèbre fabricant de matsot « Manischewitz Matzo », elles devinrent une partie des collections du YIVO, où elles se trouvent encore aujourd’hui.

Le sort des matériaux cachés dans le ghetto de Vilna prit plusieurs formes. Sutzkever et Kaczerginski comprirent que les Soviétiques n’étaient pas intéressés à soutenir un musée juif. De fait, ils constatèrent les débuts d’une campagne antisémite soviétique qui décimerait la culture juive en URSS. Ils organisèrent la contrebande d’une grande partie des matériaux vers la Pologne et la France, la destination ultime étant le YIVO à New York. Les documents rares qui avaient été sortis en contrebande du YIVO de Vilna et cachés dans le ghetto dûrent à nouveau être passés en contrebande, cette fois-ci en dehors de l’URSS.

Après avoir apporté ce qu’il put à New York, Sutzkever émigra en Israël, où il vécut comme le poète yiddish le plus célèbre du monde jusqu’à sa mort en 2010. Kaczerginski s’installa en Argentine, où il trouva tragiquement la mort dans un accident d’avion en 1954.

Depuis son nouveau siège de New York, le YIVO devint l’un des premiers centres sur l’histoire du « Khurbn » (Shoah), mobilisant des « zamlers » pour recueillir des témoignages et d’autres documents de survivants dans les camps de personnes déplacées.
Sous la direction de Max Weinreich, qui avait fui l’Europe au début de la guerre et qui avait survécu, il commença également à s’intéresser à la communauté des immigrants qui étaient arrivés aux États-Unis au début du XXe siècle.
Le fils de Max, Uriel, publia un manuel de yiddish et commença également à travailler sur un dictionnaire, mais il ne fut achevé qu’après sa mort à l’âge de 40 ans.

Depuis 1999, le YIVO est hébergé au Centre for Jewish History, dans la 16e rue entre la 5e et la 6e avenue, à Manhattan.
Cinq ans plus tôt, il avait commencé à recevoir des documents de la Chambre nationale du livre de Lituanie, longtemps considérés comme perdus, à la suite de la signature d’un accord avec le gouvernement lituanien post-soviétique.

La bibliothèque de YIVO et ses archives sont des ressources essentielles pour la communauté mondiale des chercheurs yiddish.
Les archives de YIVO contiennent quelque 23 millions d’articles, y compris des collections de sons et de musique, des collections de théâtre et d’art, des archives communautaires et personnelles, des photographies et des films, des manuscrits, des journaux, des mémoires, etc. Ses collections couvrent la civilisation juive du 15ème au 21ème siècle, en mettant l’accent sur les Juifs d’Europe de l’Est et leurs descendants. L’accent est mis sur la langue et la culture yiddish, la vie juive en Europe, la Shoah et ses conséquences, et la vie juive aux États-Unis.
La bibliothèque du YIVO, qui compte près de 400 000 volumes dans toutes les langues européennes, est la seule bibliothèque universitaire au monde spécialisée dans l’histoire, les langues, la littérature, la culture, le folklore et les traditions religieuses de la communauté juive d’Europe orientale. Elle contient des livres dans de nombreuses langues, mais constitue également la plus grande collection de livres, de brochures et de journaux en yiddish au monde.