19 août 1848
Le New York Herald est le premier grand journal de la côte Est à mentionner la ruée vers l’or en Californie.
Un aspect souvent négligé de l’histoire de la Californie est l’histoire des Juifs dans la ruée vers l’or.
La fièvre de l’or fut un phénomène mondial et la nouvelle de la ruée vers l’or se propagea dans le monde entier. Les communautés juives ne restèrent pas à l’abri de la contagion et des Juifs d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient et même d’Australie voulurent profiter de l’occasion de décrocher la timbale en or.
Environ 10 000 Juifs rejoignirent la ruée vers le pays de l’or. À la fin de la ruée vers l’or, les Juifs représentaient près de 8% de la population de San Francisco – le pourcentage le plus élevé de toutes les villes américaines à l’exception de New York.
Certains immigrants juifs échouèrent (tout comme les membres des autres diverses ethnies qui se joignirent à la ruée) et certains cédèrent aux séductions des vices qui accompagnaient la ruée vers l’or, comme les jeux d’argent et l’alcool. mais la majorité des Juifs de la ruée vers l’or réussirent et leur contribution joua un rôle essentiel dans la création de villes minières prospères et de centres de commerce.
En même temps, ils conservèrent leur identité culturelle et spirituelle et devinrent une composante énergique et influente du monde de la ruée vers l’or. Eliza Farnham, éminente réformatrice de l’époque, fit l’éloge de la communauté juive «très maltraitée mais souple et endurante».
Il est parfois difficile de retrouver ces récits élogieux, cependant, car les faits historiques sont dissimulés sous un voile gênant d’antisémitisme. On ne peut se cacher la réalité que les Juifs en tant que groupe étaient généralement décrits avec des épithètes grossièrement offensantes au cours de la période, mais une recherche plus poussée montre que les points de vue s’agissant de cas individuels était tout-à-fait différents.
En cotoyant ce que l’historien Jonathan Sarna a appelé « le Juif d’à côté », les attitudes changèrent. Un homme, une femme ou un enfant juif n’était plus considéré comme un représentant stéréotypé d’une culture tout entière, mais comme un voisin, un collègue et un ami. Robert Levinson, auteur d’un livre sur l’histoire des Juifs dans la ruée vers l’or, souligne que «l’un des faits les plus agréables de l’histoire de la ruée vers l’or est l’absence totale de mauvaise volonté à l’égard des Juifs, à titre individuel». C’était particulièrement vrai dans les champs aurifères et les camps de mineurs, particulièrement dans les principaux centres de la vie sociale et religieuse des Juifs au pays de l’or – les comtés de Nevada et de Tuolumne.
L’impact des juifs dans les camps miniers était particulièrement profond et visible.
Alors que beaucoup de Juifs s’ essayèrent à l’exploitation minière, peu de Juifs vécurent directement de l’or, que ce soit comme mineurs ou comme gestionnaires.
La plupart , échouèrent et passèrent à autre chose. Beaucoup auraient approuvé l’opinion du Juif polonais Abraham Abrahamsohn, qui raconta de façon mémorable sa tentative d’exploitation minière près de Placerville en 1851: «Quiconque pense qu’ici les pigeons rôtis volent sur des ailes dorées en attendant juste d’être plumés et mangés, devrait rester à la maison. »
Une poignée de Juifs furent impliqués dans des entreprises productrices d’or comme cadres. Henry Rothschild de Nevada-City fut secrétaire de trois sociétés minières disfférentes.
Mais la plupart des Juifs furent des commerçants exploitant des épiceries, des merceries, des magasins généraux et des points de vente de matériel et d’équipement minier. Les commerçants juifs étaient omniprésents et jouaient un rôle de leaders économiques.
C’étaient ces commerçants qui fournissaient les biens nécessaires à la vie quotidienne des villes et villages qui se développaient au pied des collines.
Prenons l’exemple de Grass Valley en 1861 – il y avait 19 magasins de vêtements et de produits secs, 17 étaient exploités par des Juifs. Il y avait cinq magasins de cigares, tous gérés par des commerçants juifs.
Quatre ans plus tard, Grass Valley, en plein essor, comptait 24 magasins de vêtements, 20 étaient gérés par des détaillants juifs.
En 1851, à Sonora, Emanuel Linoberg ouvrit boutique ou plutôt boutiques. Linoberg était un commerçant juif polonais qui possédait plusieurs établissements dans le camp de Southern Mother Lode, y compris un grand magasin de détail, une salle de spectacle, une mine d’or et, avec un médecin, gérait le « Russian Steam Bath », un spa et un hôpital de frontière.
Il opérait également dans le transport en tant que propriétaire d’un train muletier qui livrait les marchandises à son magasin.
Aujourd’hui, une artère importante à proximité du palais de justice du comté de Tuolumne, dans le centre-ville de Sonora, porte le nom de « rue Linoberg ».
Le rôle de la population juive de la ruée vers l’or allait au-delà du commerce. Fréquemment, les Juifs furent des dirigeants civiques et des chefs de file de la communauté.
Linoberg siégea au premier conseil municipal de Sonora, Jacob Kohlman fut élu administrateur municipal de Nevada-City en 1857 et il existe de nombreux témoignages sur des compagnies de pompiers, des loges maçonniques et « Oddellow », des conventions de partis politiques, des organisations charitables et de secours dirigées par des Juifs
Les Juifs constituaient une organisation religieuse et charitable robuste au pays de l’or. Les cérémonies juives, formelles et informelles, étaient courantes et largement reconnues. Les observances religieuses juives et les activités caritatives étaient intégrées à la vie quotidienne.
En 1852, Aaron Baruh, originaire de Bavière, s’installa à Nevada City après deux ans à la Nouvelle-Orléans.
Il épousa Rosalie Wolfe et créa une série de magasins, notamment des commerces de vêtements, d’épicerie et d’alcool.
Bien que ses magasins furent complètement détruits deux fois par des incendies en 1856 et 1858, Baruh persévéra et fut un résident respecté de NevadaCity pendant plus de 50 ans. Avec leurs sept enfants, les Baruh observaient les règles de la cashrout, accrochaient des mezouzot et étaient le centre de rayonnement de la vie juive dans la communauté.
Les Baruh dirigeaient nombre de sections locales d’organisations fraternelles juives, comme le B’nai B’rith.
Souvent, les premières sociétés de secours des villes minières de la ruée vers l’or furent créées par des Juifs.
À la fin de septembre 1855, les commerçants juifs de Grass Valley fondèrent la Société hébraïque de bienfaisance et recueillirent des fonds pour venir en aide à ceux qui avaient été dévastés par un violent incendie qui avait rasé la ville quelques semaines auparavant.
Les publications de l’époque mettent en évidence les activités juives dans les champs aurifères, tant aux plans spirituels que séculiers.
Des éditeurs juifs se chargeait également d’informer le grand public. Henry Meyer Blumenthal fut le premier propriétaire et éditeur du journal « The Union » à Grass Valley.
Ce maillage commercial, social et éditorial sensibilisa la population à la culture juive dans les camps d’exploitation minière et permit aux Juifs d’au-delà de la Californie d’en apprendre davantage sur la société de la ruée vers l’or.
La religion constituait un puissant courant sous-jacent dans la société de la ruée vers l’or comme pierre de touche, comme balise et comme boussole.
Dans une société composée de dizaines de groupes ethniques et de systèmes de valeurs personnelles, les non-juifs étaient curieux de connaître les pratiques juives et les Juifs ravis d’y répondre par l’éducation, la littérature et les contacts personnels.
Les résidents juifs accueillaient chaleureusement les non-Juifs importants à leurs offices religieux et à leurs soirées. Aaron Rosenheim a détaillé le respect manifesté aux dirigeants juifs locaux dans une lettre de 1852 adressée à Isaac Leeser, rédacteur influent de « The Occident » de Philadelphie et de l’American Jewish Advocate. Rosenheim y relatait l’office de Yom Kippour dans le hall maçonnique de Nevada City:
« La fraternité maçonnique de cet endroit ayant été mise au courant de notre demande, nous a offert, avec beaucoup de générosité, la libre utilisation de leur grande salle. La salle était agréablement meublée et les cérémonies se sont déroulées avec dignité et compétence. La salle était pleine de visiteurs qui désiraient connaître nos cérémonies. Parmi les visiteurs, se trouvaient les premiers citoyens de l’endroit, les juges des cours, etc., et tous exprimèrent leur entière satisfaction lors de nos cérémonies anciennes et saintes et de nos procédures qui se déroulèrent dans un profond respect.
Les mots d’Emanuel Linoberg en 1857 résument peut-être le mieux les sentiments répandus parmi les habitants des villes de la ruée vers l’or: « Il n’y a pas de confession plus estimée pour sa conduite morale que les Juifs. »
L’histoire des Juifs dans la ruée vers l’or est importante mais largement oubliée aujourd’hui. Les histoires d’Aaron et Rosalie Barouh, Emanuel Linoberg, Abraham Abrahamsohn, Aaron Rosenheim, et une myriade d’autres, sont trop souvent méconnues, mais résonnent comme des histoires par excellence de cran et de foi.
Bien des réussites de la ruée vers l’or en Californie, de nombreuses institutions actuelles, de nombreuses communautés durables n’existeraient pas sans l’implication et le soutien décisifs de la communauté juive.
Comme l’avocat Henry Labatt l’écrivit mai 1861, « Nulle part en Amérique n’est le Juif si bien compris, et si facilement apprécié, qu’en Californie, et nulle part il ne mérite davantage le respect et l’estime de ses concitoyens. Qu’il en soit toujours ainsi. »
(Source: Gary Noy, rédacteur en chef émérite de Sierra College Press)
