27 août 1813
Naissance à Bordeaux de Moïse Polydore Millaud, fondateur du plus grand journal français du XIXe siècle.
Son père, Jassuda Millaud était issu d’une famille juive originaire du Comtat Venaissin, qui vendait des chevaux, et sa mère, Félicité Bellon, venait d’une famille de petits marchands originaires de Bordeaux.
Monté à Paris en 1836, il fonde une série de gazettes destinées à des publics ciblés: spectateurs des théâtres, spéculateurs en bourse, nouvelles judiciaires, une feuille en soutien de Louis-Napoléon Bonaparte.
Associé à Mirès, il achète en octobre 1848 « Le Journal des Chemins de Fer », qui deviendra plus tard « Le Journal des Voyageurs », et deux compagnies bancaires. La première fut la Caisses des actions réunies, au capital de 5 millions, qui fut la première entreprise à proposer des portefeuilles d’actions exploitant méthodiquement les cours de la Bourse. Cédée à Félix Solar en 1856, elle rapporta à Millaud et Mirès plus de 4 millions. La deuxième entreprise financière fut la Caisse des Chemins de Fer, dont Millaud se retira en 1853 et qui devint sous la direction de Mirès la Compagnie Générale des chemins de fer avec un capital de 50 millions.
En 1849, Millaud s’appuie sur la popularité de Lamartine auquel il confie la revue « Le Conseiller du peuple « (avril 1849 – octobre 1851) et dont le poète, à court d’argent, est l’unique rédacteur.
En 1854, il constitue la Compagnie générale immobilière pour l’achat de terrains dans Paris, qui lui rapporte une fortune en un temps où les transformations de la capitale s’accompagnent d’une intense spéculation foncière et immobilière. Il achète aussi le journal « Le Dock » qu’il renomme « Le Journal des actionnaires » et crée la Caisse Générale des actionnaires au capital de 25 millions de francs avec pour objet la publication de ce journal et l’activité de banque d’affaires.
En 1863, son coup de maître fut rétrospectivement la fondation du titre le plus vendu du XIXe siècle, « Le Petit Journal », dont il confie la direction à son neveu Alphonse.
En 1864, il crée « Le Journal illustré » et en octobre 1865 il lance « Le Soleil ». Il crée aussi « Le Journal littéraire » et « Le Journal politique de la semaine ».
« Le Petit Journal » est, à la charnière entre les XIXe et XXe siècles et jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’un des quatre plus grands quotidiens français, avec « Le Petit Parisien », « Le Matin », et « Le Journal ». Il tire à un million d’exemplaires en 1890, en pleine crise boulangiste.
Collaborèrent au « Petit Journal », Albert Londres, René Hachette, Raymond Patenôtre, Saint-Paulien, Paul-Émile Victor, Daniel-Rops, Roger Vercel, Stephen Pichon ou encore Maxence Van der Meersch.
« Le Petit Journal » attire de nombreux lecteurs car le passage de l’impression « à la feuille » à l’impression en rotative lui permet d’être bon marché : il ne coûte que 5 centimes au lieu de 15 centimes pour les journaux ordinaires. Il a un format commode (43 × 30 cm), plus petit que ses concurrents d’où son nom, est accessible à tous (pas d’abonnement), et propose, à côté de l’information nationale et internationale, un contenu distrayant comprenant fait divers, feuilletons, horoscopes et chroniques. Journal se déclarant apolitique – même si ce n’est pas tout à fait le cas –, il est dispensé du timbre. Il s’agit en outre d’un journal du soir, vendu par des crieurs à la sortie des usines et des ateliers. Il est l’emblème d’une nouvelle forme de journalisme qui se développe, celle de la petite presse.
« Le Petit Journal » voit en fait ses ventes considérablement augmenter lorsqu’il se met à publier le compte-rendu de faits divers extraordinaires, comme l’Affaire Troppmann, en septembre 1869. Tout Paris se presse à Pantin, où l’on vient de découvrir sept cadavres appartenant à une même famille. Autour de la fosse, on a monté une fête foraine. Devant l’émotion suscitée par cette tuerie, Alphonse Millaud décide de couvrir abondamment l’histoire.
Immédiatement, le pays tout entier se passionne pour cette famille odieusement massacrée. La police arrête un certain Jean-Baptiste Troppmann, alors qu’il tentait d’embarquer pour les Amériques. Il a sur lui les papiers et les bijoux de l’infortunée famille.
Pour Millaud, l’affaire Troppmann se révèle être une mine d’or: le tirage du journal passe ainsi de 200000 exemplaires par jour à 300000, puis à 500000 ! Cette exploitation des faits divers devient alors la stratégie éditoriale du journal, sur laquelle beaucoup d’historiens porteront un jugement sévère.
L’écrivain Edmondo de Amicis découvre Paris en 1878, et s’étonne de l’omniprésence de la publicité, donc de la typographie. Il est impossible d’échapper au Petit journal :
« En marchant une heure, on lit sans le vouloir un demi-volume. C’est une interminable décoration graphique, bariolée et énorme, illustrée de grotesques images de diables et autres personnages hauts comme des maisons, qui vous assiège, vous opprime, vous fait maudire l’alphabet. Ce Petit Journal, par exemple, qui couvre la moitié de Paris ! Il faut ou se tuer ou l’acheter. Tout ce qu’on vous met dans la main, depuis le billet du bateau jusqu’à la contremarque qu’on vous donne quand vous avez payé la chaise où vous reposez vos os dans un jardin public, tout cache l’embûche de la réclame. »
En 1899, « Le Petit Journal » annonce 5 millions de lecteurs.
Le premier numéro sort le 1er février 1863 et, dès octobre, dépasse, avec 83000 exemplaires, le plus fort tirage des journaux « sérieux » comme Le Siècle, qui tire à 50000 exemplaires. Deux ans plus tard, à lui seul, le tirage du « Petit Journal », avec 259000 exemplaires, est supérieur à celui de l’ensemble de la presse parisienne. En 1870, il atteint 340000 exemplaires, soit le double du tirage de la presse parisienne. Ses progrès avaient aussi été rendus possibles grâce aux presses rotatives qu’Hippolyte Marinoni met au point pour lui dès 1867.
En février 1864, la famille Millaud lance « Le Journal illustré », publication dominicale, vendue 10 centimes, qui, en 1890, se trouve concurrencé par le supplément illustré du « Petit Journal ». Les Millaud se retrouvent ensuite face à des difficultés financières et revendent leur groupe en 1873 à Émile de Girardin, lequel est associé à Marinoni, Gibiat et Jenty.
En 1882, Marinoni prend le contrôle du journal, succédant à Girardin. Dès 1884, le 15 juin, paraît le « Supplément illustré » hebdomadaire – d’abord sous-titré « Supplément du dimanche » puis « Supplément littéraire » – du journal, pour lequel une innovation est apportée : l’illustration couleur. Ce supplément est finalement nommé « Le Petit Journal supplément illustré ».
Pressentant l’importance de la couleur, Marinoni fabrique en 1889 une presse rotative à impression polychrome, débitant 20000 exemplaires à l’heure, ce qui permet, à partir du numéro du 29 novembre 1890 et les portraits du couple présidentiel Sadi-Carnot, d’imprimer en six couleurs la une et la dernière page du « Supplément illustré ». Le tirage du « Supplément » atteint un million d’exemplaires en 1895.
Malgré quelques crises, l’audience du journal ne cesse d’augmenter, et aucun de ses concurrents ne peut mettre sa suprématie en cause ; son tirage atteint 500000 exemplaires en 1878, 1 million en 1890 et certainement autour de deux millions en 1895, date à laquelle il devient le journal avec le plus haut tirage au monde.
« Le Petit Journal » est alors l’un des trois principaux journaux français. Ce journal de presse populaire expédie 80 % de son tirage en province.
Après 1900, les tirages commencent à stagner puis à décroître : « Le Petit Parisien », mieux géré et qui évite de prendre parti dans l’affaire Dreyfus, devient le plus grand journal français. Ernest Judet place « Le Petit Journal » dans le parti antidreyfusard et le rallie à la cause nationaliste. En 1914, « Le Petit Journal » ne tire plus qu’à 850000 exemplaires, et son tirage baisse jusqu’à 400000 en 1919.
Après la guerre, une bonne partie de ses lecteurs, déconcertés ou choqués par l’engagement du journal dans le parti antidreyfusard sont alors passés à la lecture d’un concurrent qui franchit la barre des deux millions d’exemplaires et devient le roi de la petite presse : « Le Petit Parisien ».
Malgré les commandites successives de Loucheur, puis de Patenôtre, le déclin s’accentua dans l’entre-deux-guerres. En 1937, il ne tirait plus qu’à 150000 exemplaires, quand il devint le 14 juillet l’organe du Parti social français (P.S.F.) du colonel de La Rocque, mais son audience ne s’en trouva pas améliorée.
La devise du PSF, « Travail, Famille, Patrie », empruntée aux Croix-de-Feu et reprise par la suite, en 1940, par l’État français, figure dès lors sur le bandeau du quotidien, à gauche du titre. La Rocque est directeur du journal et président de son conseil d’administration en avril 1938, jusqu’à son arrestation en mars 1943.
Replié à Clermont-Ferrand en juin 1940, « Le Petit Journal » y vécut, médiocrement, jusqu’en août 1944 où il disparaît complètement ; durant cette période, il reçut chaque mois une subvention du gouvernement de Vichy ; son conseil d’administration était alors présidé par le colonel de La Rocque. Des académiciens y collaborent jusqu’au dernier numéro: Louis Madelin, Jérôme Tharaud et son frère, Gabriel Hanotaux, Henry Bordeaux, Auguste de La Force. Ainsi que des écrivains comme Henri Pourrat, Roger Vercel, Daniel-Rops.
Le journal et le vice-président de son conseil d’administration, André Portier (le président, La Rocque, étant décédé en 1946), sont jugés en 1948 par la Cour de justice de la Seine, pour avoir continué à paraître sous l’Occupation et sous l’accusation d’intelligence avec l’ennemi. Les avocats plaidèrent que La Rocque fournissait des renseignements à l’intelligence Service, ce qui lui valut d’être déporté. La cour rendit un arrêt d’acquittement.
