Ephéméride | Molotov-Ribbentrop [23 Août]

23 août 1939

Signature du pacte Molotov-Ribbentrop aux tragiques conséquences pour les Juifs.

A la suite de l’accord de Munich du 29 septembre 1938, qui vit la Grande-Bretagne et la France capituler devant toutes les demandes d’Hitler et la Tchécoslovaquie forcée de céder les Sudètes à l’Allemagne, la méfiance de Staline envers les démocraties grandit de plus en plus.
Le manque de confiance réciproque entre l’Union soviétique et la Grande-Bretagne et la France conduisit à l’échec des négociations pour un pacte de défense qui se tinrent en 1939.
L’Union soviétique commença à considérer plus sérieusement la possibilité de conclure un pacte avec l’Allemagne nazie.

Le 3 mai 1939, le ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique, Maxim Litvinov, qui était d’origine juive, fut limogé.
Ses discours et ses articles anti-nazis irritaient les Allemands. Le Premier ministre Vyacheslav Molotov, fut nommé pour lui succéder.
Un certain nombre de hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères (dont beaucoup étaient juifs) furent de même évincés de leurs positions, et même emprisonnés.
La mise à l’écart de Litvinov fut l’un des premiers gestes publics destinés à signaler à L’Allemagne nazie que l’Union soviétique était prête à changer de politique et les Allemands reçurent parfaitement le message.

A partir du début de mai 1939, avec le retrait de Litvinov du Ministère soviétique des Affaires étrangères et, contrairement à leur pratique depuis l’ascension de Hitler de pouvoir, les médias soviétiques cessèrent pratiquement de publier des commentaires critiques sur l’Allemagne nazie et s’abstinrent de mentionner la situation des juifs en Allemagne. Parallèlement, les théâtres eurent l’interdiction de monter des pièces à tonalité anti-allemande, comme « Le serment » (Kliatva) de Peretz Markish.
En accord avec l’esprit anti-nazi qui prévalait en Union soviétique en 1937-1938, Markish, dans sa pièce, décrivait la vie d’une famille juive allemande qui quittait Allemagne en raison de ses souffrances pour émigrer en Eretz Israël.
Cependant, même là-bas, la famille se sentait déplacée et l’un des fils se portait volontaire pour servir dans les brigades internationales anti-fasciste en Espagne.
À la fin de 1938, les autorités avaient délivré un permis pour monter la pièce au GOSET (le théâtre yiddish de Moscou). La pièce était mise en scène par le directeur artistique du théâtre, l’acteur Solomon Mikhoels. La première était prévue pour mai 1939, mais à ce moment-là, la pièce fut interdite.

Après le dégel des relations entre elles, l’Union soviétique et
l’Allemagne entamèrent des négociations pour un accord commercial au cours desquelles l’Union soviétique exigeait également un arrangement politique.
Le 23 août 1939, cinq jours après la signature officielle de l’accord commercial, le ministre soviétique des Affaires étrangères Molotov et son homologue allemand Joachim von Ribbentrop, signèrent un pacte de non-agression entre les deux pays, promettant la neutralité en cas d’agression par un pays tiers. Cet accord devint connu sous le nom de pacte Molotov-Ribbentrop ou pacte germano-soviétique.

Un protocole secret sur les sphères d’influence en Europe de l’Est était annexé au traité de non-agression. Il stipulait:
« Dans le cas d’un réarrangement territorial et politique dans les régions appartenant aux États baltes (Finlande, Estonie, Lettonie et Lituanie), la frontière nord de la Lituanie représenterait la limite des sphères d’influence de l’Allemagne et de l’URSS. »
Le protocole précisait également les intérêts de l’Union soviétique en Bessarabie (alors roumaine), et ajoutait:
« la partie allemande déclare son désintérêt politique total dans ces régions. »
Concernant la Pologne, le protocole secret stipulait:
« En cas de conflit territorial et de réorganisation politique des zones appartenant à l’État polonais, les sphères d’influence de l’Allemagne et de l’URSS seront délimitées approximativement par la ligne des rivières Narew, Vistule et San.
Il déclarait également:
« la question de savoir si les intérêts des deux parties rendent souhaitables le maintien d’un État polonais indépendant et comment un tel État devrait être délimité ne peut être définitivement déterminé que dans le cours des développements politiques ultérieurs. »

Après la signature du pacte Molotov-Ribbentrop, la censure en Union soviétique sur la publication de critiques officielles contre l’Allemagne fut renforcée.
La presse soviétique cessa donc complètement de rendre compte des actions des nazis en Allemagne et dans les pays occupés. Elle cessa de publier des informations sur la situation des juifs, sans parler de leur persécution, en dehors de quelques références occasionnelles à l’antisémitisme
dans les pays luttant contre l’Allemagne.
Cette situation perdura jusqu’à l’invasion allemande de l’Union soviétique, le 22 juin 1941.

Le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne et, dans un temps plus court que prévu, l’armée polonaise s’effondra. L’Allemagne demanda donc à l’Union soviétique par la voie diplomatique de faire avancer l’armée rouge dans le territoire polonais, conformément à l’esprit du texte du pacte Molotov-Ribbentrop.
Cependant, en arguant de diverses excuses, les autorités soviétiques s’efforcèrent de différer ce mouvement, soit parce qu’elles voulaient que les Allemands anéantissent d’abord les forces armées polonaises, soit parce qu’elles voulaient être certaines que l’Etat polonais avait effectivement cessé d’être.
Déjà lors d’une réunion entre Molotov et l’ambassadeur allemand à Moscou qui avait eu lieu le 10 septembre, Molotov s’était demandé comment expliquer l’invasion soviétique de la Pologne aux masses sans passer pour un agresseur.
A cet égard, il avait déclaré, comme le rapporta l’ambassadeur, que « le Gouvernement soviétique avait l’intention de saisir l’occasion de l’avance des troupes allemandes pour déclarer … qu’il était nécessaire pour l’Union soviétique, de venir en aide aux Ukrainiens et aux Russes Blancs menacés par l’Allemagne ».
L’Allemagne s’opposa à cette formulation et fit valoir que cela contrevenait au pacte Molotov-Ribbentrop.

Le 14 septembre, un article paru dans la Pravda qui déclarait, entre autres, que « quarante pour cent [de la population de la Pologne] étaient des minorités nationales, principalement des Ukrainiens, des Russes Blancs et des Juifs, opprimés par les Polonais ».
Le 17 septembre 1939, l’armée rouge envahit la Pologne, en affirmant que l’Union soviétique libérait ses frères ukrainiens et russes blancs, victimes de discrimination en Pologne, qui avait pourtant cessé d’exister en tant qu’état.

Désormais, contrairement à la formulation voilée du pacte Molotov-Ribbentrop, concernant les sphères d’influence soviétiques et allemandes en Pologne, une délimitation précise était nécessaire pour les frontières entre deux Etats en Pologne occupée.
Cela fut résolu par « le traité de délimitation et d’amitié » entre les deux pays, qui fut signé à Moscou le 28 septembre 1939.

Dans l’un des protocoles secrets annexés à ce traité, il était stipulé que « le territoire de la Lituanie tombe dans la sphère d’influence de l’URSS … tandis que le province de Lublin et certaines parties de la province de Varsovie tombaient dans la sphère d’influence de l’Allemagne. »
Trois raisons principales semblent avoir conduit l’Union soviétique à renoncer à ces zones polonaises:
– une réticence à inclure un grand quantité de population polonaise dans la zone sous son contrôle;
– l’importance stratégique de la Lituanie plus grande que celle de ces parties de la Pologne;
– le désir de conférer une certaine légitimité apparente à l’occupation, car la nouvelle frontière entre les deux pays suivait plus ou moins la Ligne Curzon que les Britanniques avaient établie en 1920 comme frontière de la Pologne indépendante.

Le protocole annexé à cet accord stipulait que les ressortissants du Reich allemand et les autres personnes d’ascendance allemande souhaitant émigrer vers l’Allemagne ou vers des territoires sous juridiction allemande pourraient le faire, de même que les personnes d’ascendance ukrainienne ou biélorusse qui souhaitaient émigrer vers la sphère d’influence soviétique.
Dans cet accord, aucune référence n’était faite aux Juifs, bien que deux semaines plus tôt, la Pravda les qualifiait de l’une des minorités nationales opprimées par les autorités polonaises. Sur la base de cette déclaration, un comité d’échange de populations germano-soviétique fut créé, avec Maxim Litvinov à la tête de l’équipe soviétique.

Dans le « Traité de délimitation et d’amitié », il était également stipulé que « la réorganisation nécessaire de l’administration publique serait effectuée dans les zones situées à l’ouest de la ligne de démarcation par le gouvernement du Reich allemand, dans les zones situées à l’est de cette ligne par le gouvernement de l’URSS. »
En conséquence, les 1er et 2 novembre 1939, le Soviet suprême de l’Union soviétique décida d’annexer les régions de l’est de la Pologne et de les ajouter aux républiques d’Ukraine et de Biélorussie.

Ceux qui, avant le 1er septembre 1939, vivaient dans ces régions de Pologne qui étaient annexés à l’Union soviétique (y compris 1 200 000 Juifs), reçurent automatiquement la citoyenneté soviétique.
A ceux-ci, dans les zones désignées désormais sous le nom d’Ukraine occidentale et de Biélorussie occidentale, s’ajoutaient aussi plusieurs centaines de milliers de réfugiés dont les lieux de résidence permanents avant la seconde guerre mondiale, selon le « Traité de frontières et d’amitié », se trouvaient dans la sphère d’influence de l’Allemagne. On estime que 150 000 à 250 000 Juifs se trouvaient parmi ces réfugiés.

Dans les premiers mois de l’occupation de la Pologne orientale, les autorités soviétiques tentèrent de convaincre les réfugiés de se porter volontaires pour travailler dans l’URSS d’avant 1939.
La majorité des réfugiés n’ayant pas répondu à cette offre, les autorités leurs présentèrent deux options: accepter la citoyenneté soviétique avec certaines restrictions, ou « rentrer chez eux », c’est-à-dire retourner dans la sphère d’influence allemande.
Tout les réfugiés qui refusèrent d’accepter la citoyenneté soviétique furent exilés dans des régions reculées de l’Union soviétique.
L’expulsion prit place entre le 29 juin et la seconde moitié de juillet 1940. Au cours de cette opération, 77 228 réfugiés furent expulsés d’Ukraine occidentale et de Biélorussie occidentale: 40% d’entre eux étaient juifs.

Les réfugiés juifs comprenaient beaucoup de gens qui avaient déjà connu la la terreur de l’occupation allemande – soit des Juifs des localités qui avaient été brièvement occupées par les Allemands jusqu’à l’annexion, soit des réfugiés qui avaient fui la sphère d’influence nazie à l’ouest de la nouvelle frontière germano-soviétique.
Durant cette courte période, beaucoup parmi eux avaient connu diverses formes de persécution, y compris le vol, le meurtre et la proclamation de décrets draconiens. Les Juifs avaient commencé à fuir vers la frontière orientale de la Pologne avant même le transfert de la zone aux soviétiques. Mais après l’annexion aussi, de nombreux Juifs prirent le
risque de franchir clandestinement la frontière pour échapper à la violence allemande.
Ces réfugiés qui s’enfuirent en Biélorussie occidentale et en Ukraine occidentale de leur propre initiative vinrent grossir le nombre des Juifs qui furent expulsés des régions de Pologne sous autorité d’occupation nazies dans le cadre de leur politique à l’époque: débarrasser les zones sous leur contrôle des Juifs.

(Source: Mordechai Altshuler, « The Distress of Jews in the Soviet Union in the Wake of the Molotov-Ribbentrop Pact », Yad Vashem)