Ephéméride | Rudolf Kasztner [21 Août]

21 août 1944

Sur le pont entre St. Margareten et Horst, à la frontière suisse, Rudolf Kasztner, arrive de Budapest sous escorte allemande, pour entamer les négociations entre Kurt Becher et Saly Mayer, représentante du « Joint » en Suisse, en vue de discuter le prix consenti aux nazis pour la cessation du gazage des Juifs. L’initiative de Kasztner suscita après la guerre en Israël une violente controverse qui n’est toujours pas éteinte. Kasztner, traitre et criminel de guerre ou héros?

Rudolf (ou Reszo) Kasztner (1906-1957) naquit à Cluj (alors Kolozsvár) dans l’empire austro-hongrois.
Il grandit en Transylvanie (annexée à la Hongrie en 1940), fréquenta une école de droit, mais choisit le métier de journaliste.
Il s’impliqua dans la politique sioniste en Hongrie et rejoignit le parti sioniste travailliste Ichud.
En 1934, Kasztner épousa Elizabeth Fisher, fille de Josef Fisher, député et président de la communauté juive de Cluj. Il collabora à « Új Kelet », un journal sioniste en langue hongroise publié quotidiennement à Cluj de 1920 à 1941.

Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, Kasztner participa à l’installation d’un centre d’information à Cluj pour les réfugiés juifs arrivant d’Allemagne, d’Autriche et de Pologne.
Après que le gouvernement hongrois eut, en 1941, fermé « Új Kelet » en raison de ses positions sionistes, Kasztner déménagea à Budapest en 1942 pour y chercher du travail. Une fois sur place, en 1943, Kasztner et d’autres militants sionistes (dont Joel et Hanzi Brand) participèrent à la création du Comité d’aide et de secours (Va’adat Ezra ve-Hatzalah ou Va’adah), pour le sauvetage de réfugiés juifs qui tentaient d’échapper à la terreur nazie dans les pays voisins en entrant en Hongrie.

Après l’invasion et l’occupation de la Hongrie par les Allemands, le 19 mars 1944, le Comité d’aide et de secours se tourna vers les SS pour négocier des échanges de gens contre du matériel militaire et des camions.

À partir d’avril 1944, Kasztner et Joel Brand entamèrent des négociations avec les SS Dieter Wisliceny et Adolf Eichmann dans l’espoir de suspendre les déportations de Juifs de Hongrie.
À la fin d’avril 1944, Adolf Eichmann proposa de « vendre » 10000 Juifs en échange de camions livrés aux nazis. Brand se rendit en Turquie pour présenter la proposition aux Alliés et aux représentants du Yishuv (la communauté juive de Palestine). Comme Brandt ne revenait pas d’Istanbul, Kasztner reprit les négociations avec Eichmann et Kurt Becher, alors même que la déportation massive des Juifs hongrois débutait en mai 1944.

En juin 1944, Kasztner parvint à convaincre Eichmann d’autoriser près de 1 700 Juifs hongrois à fuir la Hongrie et les déportations vers Auschwitz. Un petit comité dirigé par Otto Komoly, président du Comité d’aide et de secours, Kasztner, et d’autres dirigeants juifs hongrois sélectionnèrent les passagers du convoi de sauvetage.

La liste de près de 1 700 Juifs devant être libérés incluait des Juifs riches, des dirigeants sionistes, des rabbins éminents (y compris le Satmar Rebbe, Joel Teitelbaum), et peut-être le plus sujet à controverse, les amis et membres de la famille de Kasztner.
Kasztner soutiendra plus tard qu’il avait insisté sur l’inclusion de sa propre famille pour convaincre les autres de la sécurité du convoi. Il y avait 338 Juifs de Cluj, la ville natale de Kasztner.
Les autres passagers du « train Kasztner » représentaient un échantillon de Juifs hongrois: journalistes, enseignants, artistes, infirmiers, femmes au foyer avec de jeunes enfants, paysans et petits entrepreneurs.

Le 30 juin 1944, le « train Kasztner » quitta Budapest, transportant 1 686 personnes en échange d’une somme d’argent non précisée. Certains rapports évoquent peut-être 1 000 dollars par personne payés en devises, or, bijoux et actions de sociétés collectés par le comité juif.
Malgré la promesse d’Adolf Eichmann que le train se rendrait directement en Suisse, le convoi atteignit Bergen-Belsen le 8 juillet 1944. Les passagers furent détenus dans le camp pendant plusieurs mois dans l’Ungarnlager (camp hongrois).

Fin août 1944, 318 Juifs du « train Kasztner » furent libérés de Bergen-Belsen et conduits en Suisse. Le 7 décembre 1944, les 1 368 Juifs restants du convoi arrivèrent en Suisse. Kasztner se rendit en Suisse à la fin du mois de novembre 1944.

Après la guerre, Kasztner intervint en faveur de Kurt Becher, Dieter Wisliceny et Herman Krumey avec qui il avait négocié en Hongrie. Il déclara au Tribunal militaire international de Nuremberg que Becher, en particulier, était l’un des rares leaders SS à avoir eu le courage de résister au plan nazi d’anéantissement des Juifs et qu’il avait, de fait, tenté de sauver des Juifs. Grâce en partie à la déposition de Kasztner, Becher ne fut pas poursuivi comme criminel de guerre.

Après la guerre, Kasztner s’installa en Israël et continua à jouer un rôle actif dans la politique sioniste travailliste, devenant ainsi le porte-parole du ministère du Commerce et de l’Industrie en 1952.

Le rôle controversé de Kasztner dans les négociations avec les SS fit les gros titres en 1953 lorsque Malkiel Grünwald publia un pamphlet accusant Kasztner d’avoir collaboré avec les nazis.
Grünwald était un Juif hongrois qui avait perdu des dizaines de membres de sa famille dans la Shoah. Il accusa Kasztner d’avoir, en négociant avec Eichmann et Becher, participé à la destruction des Juifs hongrois.
Il accusa également Kasztner d’avoir personnellement bénéficié de ses négociations avec les SS tout en omettant d’avertir les Juifs hongrois des déportations imminentes, alors même qu’il avait été un des premiers à recevoir un exemplaire des Protocoles d’Auschwitz – le rapport Vrba-Wetzler. des dirigeants juifs slovaques, fin avril 1944.

Grünwald voulait mettre en évidence ce qu’il considérait comme des crimes de Kasztner. Membre du Ha-Mizrahi (le parti sioniste religieux), Grünwald espérait également dénoncer le Mapai (le parti sioniste travailliste au pouvoir) et forcer le gouvernement à nommer une commission chargée d’enquêter sur les événements ayant mené à la destruction des Juifs hongrois.

Kasztner poursuivit alors Grünwald pour diffamation. En raison de sa position de fonctionnaire du gouvernement, Kasztner fut représenté au procès par Haim Cohen, procureur général d’Israël. Le procès de Grünwald pour diffamation devint connu sous le nom de « procès Kasztner ». L’avocat de la défense de Gruenwald, Shmuel Tamir, réussit à transformer ce qui était censé être un procès pour diffamation en un acte d’accusation contre Kasztner et le parti Mapai au pouvoir.

Les quatre principales accusations portées contre Kasztner avaient été exposées dans la brochure de Grünwald:
1. Collaboration avec les nazis;
2. « Avoir ouvert la voie au meurtre » des Juifs hongrois;
3. Partenariat avec un criminel de guerre nazi [Kurt Becher] dans des actes de vol;
4. Avoir sauver un criminel de guerre de sa punition après la guerre [Kurt Becher].

Dans son jugement du 22 juin 1955, le juge Halevi entérina la plupart des accusations de Grünwald contre Kasztner. Il statua qu’en sauvant les Juifs du « train Kasztner » tout en omettant d’avertir les autres que leur « réinstallation » était en fait une déportation vers les chambres à gaz, Kasztner avait sacrifié la majorité des Juifs hongrois en faveur de quelques élus.
Au cours du procès, il apparut également clairement que Kasztner avait effectivement témoigné en faveur de Becher après la guerre, un fait qu’il avait nié auparavant.
Le verdict déclencha la chute du cabinet israélien après que le gouvernement eut cherché à faire appel en faveur de Kasztner.

La Cour suprême d’Israël annula la majeure partie du jugement en janvier 1958, en déclarant que la juridiction inférieure avait « commis une erreur grave » dans sa décision. Avant que la juridiction suprême ne rende ce verdict, Kasztner fut assassiné près de chez lui à Tel-Aviv, dans la nuit du 4 mars 1957, par trois vétérans de la milice d’extrême-droite pré-étatique, Léhi, un groupe dissident de l’Irgoun.

Il mourut de ses blessures douze jours plus tard.

(Source: Holocaust Encyclopedia)