22 septembre 1855
Le grand poète national polonais Adam Mickiewicz arrive à Constantinople avec son ami Armand Lévy.
Il veut organiser une légion juive pour participer à la guerre de Crimée contre la Russie et favoriser ainsi à la fois l’indépendance de la Pologne et l’émancipation des Juifs.
C’est une demi-plaisanterie lorsqu’on croise, ce qui n’est pas rare, un Juif d’origine polonaise, blond aux yeux bleus, d’entendre qu’un cosaque a dû passer par là.
Le malheureux sort que bien de nos aïeux, en général, et de nos aïeules, en particulier, ont subi aux mains des cosaques est bien connu. Mais on sait moins qu’il a aussi existé des cosaques juifs.
C’est ainsi que Joel ben Samuel Sirkis (יואל בן שמואל סירקיש) dit le Bach – (ב »ח), né à Lublin en 1561 et proche de Moïse Isserles, parle dans un de ses « responsa », de « Berakha le héros », qui a combattu dans les rangs des Cosaques de Petro Sahaidachny et est tombé dans la bataille contre les Moscovites. La déposition du camarade de Berakha, Joseph fils de Moïse, dans un procès rabbinique portant sur la permission demandée par la veuve de Berakha de se remarier indique qu’il y avait au moins 11 Juifs dans les rangs cosaques de l’armée Sahaidachny dans la bataille où Berakha fut tué.
En 1637, Ilyash (Elijah) Karaimovich était l’un des officiers des unités cosaques engagées dans les forces de la Confédération Lituano-polonaise et devint leur « staroste » (ancien) après l’exécution de Pavlyuk. On suppose que Karaimovich était un karaïte.
En 1594, un Juif connu simplement sous son prénom, Moïse, fut adjoint de Stanislav Khlopitsky, l’émissaire cosaque à la cour de l’empereur Rodolphe II. Khlopitsky et Moïse prêtèrent tous deux serment au nom de l’armée cosaque pour la signature du traité avec l’Empereur.
L’historien des cosaques Youri Mytsyk décrit un cas dans lequel, en 1602, un Juif de la ville de Berestye s’était converti au christianisme et avait rejoint l’armée zaporogue. Ses enfants et ses biens avait été saisis par le kahal et il dût demander au roi Sigismund III son aide pour obtenir la restitution de ses enfants et de ses biens. Sa requête fut couronnée de succès et ses enfants le rejoignirent.
Dans les années 1930, l’historien et linguiste Saul Borovoy découvrit, dans les archives du Sich Zaporogue (état autonome cosaque), une cache contenant un grand nombre de documents écrits en hébreu et en ukrainien transcrit en hébreu. Conservés aux archives d’Etat à Moscou depuis la destruction du Sich par le général Peter Tekeli en 1775, les documents traitaient de la politique étrangère et fiscale du Sich et témoignaient non seulement de la présence de Juifs (vraisemblablement convertis) dans la strate supérieure du Sich, mais également dans les régiments.
Les archives du Sich constituaient la base de la thèse de doctorat en 3 parties soutenue par Borovoy en 1940. Les parties I et II furent publiées en 1940 à Leningrad et en 1941 à Moscou. Dans le climat antisémite d’après-guerre en Union soviétique, Borovoy ne put revenir sur ce sujet et la troisième partie de sa thèse ne fut jamais imprimée.
Les articles de Borovoy sur le sujet furent attaqués par les milieux antisémites du monde universitaire soviétique, car ses recherches réfutaient l’étiquette de lâcheté et de pusillanimité couramment appliquée aux Juifs par les antisémites.
Borovoy expliquait la présence de Juifs chez les cosaques par la situation de couches de Juifs paupérisés et exclus par les Kahal qui avaient chercher un refuge en s’engageant chez les cosaques.
On connait de nombreux exemples de Juifs se joignant aux Cosaques à l’époque qui précéda la destruction du Sich en 1775.
Un cas notable est celui de Simon Chernyavsky qui fut baptisé au Sich en 1765. Plus tard, il servit d’émissaire du Sich à la cour de l’impératrice Catherine II.
Moisey Gorlinsky servit d’interprète au Sich et Ivan Kovalevsky (déjà baptisé avant son arrivée au Sich) atteignit le rang de colonel.
Certains Juifs rejoignaient les cosaques pour y chercher aventure et fortune, dont un certain Vasyl Perekhryst, fils d’Aizik, qui rejoignit l’armée cosaque en 1748.
Un autre Juif reçut exactement le même nom au Sich deux ans plus tard. Ivan Perekhryst avait été enlevé avec toute sa classe de Heder lors d’un raid cosaque en 1732.
Yakov Kryzhanovsky devint cosaque avant 1768, il fut également diacre dans l’église du Sich. Il savait lire et écrire de nombreuses langues et se distingua sous le commandement de Petro Kalnyshevsky pendant la guerre russo-turque de 1769-1774.
Susanna Luber a relevé, dans son étude sur les cosaques enregistrés en Pologne-Lituanie, de nombreux noms de famille indiquant l’origine juive, tels que: Hertzyk, Osypov-Perekhrest, Perekhryst, Kryzhanovsky, Markevych / Markovych, Zhydenko, Zhydok, Zhydovynov, Leibenko, Yudin, Yudaev, Khalayev, Nivrochenko, Matsunenko, Shabatny, Zhydchenkov, Shafarevich, Marivchuk, Magerovsky, Zrayitel, et d’autres.
En décembre 1787, le prince Potemkine (oui, oui, celui du cuirassé d’Eisenstein), favori et ministre de Catherine la Grande, fonda un régiment de cosaques juifs dans le but de libérer Jérusalem.
La première partition de la Pologne en 1772 amena un grand nombre de Juifs dans l’empire russe. Catherine accorda à Potemkin un immense domaine, nommé Krichev, dans les terres nouvellement acquises. C’est ainsi que Potemkine entra en contact avec des Juifs pour la première fois.
Potemkine cherchait à peupler les steppes vides du sud autour de la mer Noire avec des colons et il tenta immédiatement d’attirer les Juifs de Pologne et de la Méditerranée dans ses nouvelles colonies, en particulier les Juifs actifs dans la viticulture.
Il réinstalla ces Juifs dans des petites propriétés vides abandonnées par les Zaporogues. Il rassembla également autour de lui une coterie de rabbins avec lesquels il discutait de théologie.
L’un d’eux en particulier, Joshua Zeitlin, riche marchand et érudit, devint son ami proche. L’historien Simon Sebag Montefiore rapporte que: « Les deux hommes – prince consort de l’impératrice russe et rabbin à yarmoulka et à papillottes – chevauchaient de pair, en bavardant amicalement. »
Il parvint à une position qu’aucun Juif en Russie n’avait jamais obtenue ni avant, ni après, demeurant fièrement non assimilé, profondément empreint d’étude rabbinique et de piété, tout en restant haut placé à la cour du Prince.
Potemkine promut Zeitlin au poste de « conseiller juridique » avec un titre de noblesse. Les juif l’appelaient « HaSar Zeitlin » (seigneur Zeitlin).
Après avoir discuté avec Zeitlin et ses rabbins ambulants des prouesses des Israélites bibliques au combat, le Prince décida d’armer les Juifs. Potemkine avait levé un escadron de cavalerie juive dans ses domaines et, lorsque la guerre éclata entre l’empire russe et l’empire ottoman, il entreprit de libérer Constantinople pour l’Église orthodoxe. et d’aider les Juifs à libérer Jérusalem.
C’est alors que Potemkine fonda le régiment Israélovski de cosaques juifs. Les cosaques juifs étaient commandés par un allemand, le duc Ferdinand de Brunswick. Le Prince de Ligne, apôtre du cosmopolitisme du XVIIIe siècle et philo-sémite, nota: « Le prince Potemkine a conçu le projet singulier de former un régiment de Juifs », écrivait-il à son maître, l’empereur Habsbourg Joseph II. « Il compte en faire des cosaques. Rien ne m’a plus amusé. »
L’hypothèse a été sémise que certains des cosaques juifs suivirent le colonel Berek Joselewicz et rejoignirent les formations de cavalerie polonaise de Napoléon. Joselewicz fut tué dans une embuscade nocturne par les Hongrois lors de la campagne de Napoléon en 1809.
Le grand poète polonais Adam Mickiewicz (descendant d’une famille frankiste) contribua à former un autre régiment de cosaques juifs, les Hussards d’Israël, pour lutter contre l’empire russe, aux côtés de la Grande-Bretagne, de la France et de la Turquie, lors de la guerre de Crimée. Ces lanciers combattirent aux côtés de cosaques dissidents contre les Russes autour de Sébastopol.
Pendant la guerre civile (1918-1920) qui suivit la révolution russe de 1917, de nombreux Juifs servirent chez les cosaques rouges (Красное Казачество), dans les régiments de cavalerie de l’armée rouge, mais aussi, ce qui parait plus surprenant, parmi les cosaques de l’Armée blanche.
Un tel régiment de cosaques rouges de la brigade Kotovsky fut commandé par l’anarchiste Sholom Schwartzbard, le futur exécuteur de Simon Petlioura.
En face, des étudiants juifs jouèrent également un rôle important dans le bataillon blanc des Cosaques du Don dirigé par Vasily Chernetsov, de sorte que tout un régiment du bataillon s’appelait la « Légion juive ». Les Cosaques de Chernetsov (Chernetsovtsy) se distinguèrent par leur résistance armée contre les bolcheviks dans la région du Don.
Avant la première guerre mondiale des unités de « cosaques juifs » furent également constituées dans le sud de la Syrie pour protéger les colons juifs contre les Arabes.
