Ephéméride | Jozef Beck [13 Septembre]

13 septembre 1934

Jozef Beck, ministre des affaires étrangères de Pologne, annonce à la tribune de l’assemblée générale de la Société des Nations à Genève, que la Pologne n’appliquera plus les dispositions du traité de Versailles concernant la protection des minorités.

Après la Première Guerre mondiale, une série d’accords internationaux furent conclus et officieusement désignés sous l’appellation de « Traités des minorités ».
Ces Traités furent établis entre les principales puissances alliées et associées (États-Unis, Empire britannique, France, Italie et Japon), d’une part, et 14 États nouvellement créés ou élargis en Europe et au Moyen-Orient (Albanie, Autriche, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Estonie, Grèce, Hongrie, Irak, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Turquie et Yougoslavie), d’autre part, régissant l’accès à la citoyenneté dans ces derniers Etats et accordant aux citoyens appartenant à des minorités raciales, religieuses ou linguistiques certains droits collectifs.

Parmi les dispositions accordées par les traités figuraient le droit à l’égalité de traitement et à la protection de l’État pour leurs membres; l’utilisation des langues minoritaires à des fins publiques déterminées, notamment dans les tribunaux et les écoles primaires; la création et le contrôle d’institutions éducatives, religieuses et sociales pour ces minorités; et l’obtention d’une part proportionnelle des dépenses publiques pour leurs services éducatifs, religieux et sociaux.

Les dispositions spécifiques variaient d’un traité à l’autre. toutes les garanties n’étaient pas spécifiées dans chaque accord. Pour l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie et la Turquie (tous anciens membres des puissances centrales), des clauses relatives aux minorités furent insérées dans les traités de paix généraux de Saint-Germain, Neuilly, Trianon et Sèvres respectivement.
Pour les autres pays, les clauses relatives aux minorités faisaient partie des traités par lesquels les Alliés reconnaissaient leur indépendance et leurs frontières. Les accords stipulaient que chaque État incorporerait les dispositions des clauses dans sa constitution. La Société des Nations devait garantir la mise en oeuvre et les accords ne devaient pas être modifiés sans le consentement de la majorité du Conseil de la Société.

Pendant de nombreuses années, on a cru que l’idée de créer un mécanisme international permanent de protection des droits et du bien-être des minorités avait été présentée à la Conférence de Paris par des représentants d’organisations juives, qui avaient fait pression pour son adoption.
Bien qu’il soit vrai que d’importantes institutions juives (notamment l’Alliance Israélite Universelle, le Comité juif américain, le Comité des délégations juives et le Comité mixte des affaires étrangères du Conseil des députés des juifs britanniques et de l’Association anglo-juive) soumirent des mémorandums détaillés à ce sujet à la Conférence de la paix et cherchèrent à persuader les dirigeants alliés de les soutenir, le système de protection des minorités fut finalement créé pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec les interventions juives.

Très vraisemblablement, le système apparut comme une solution de compromis aux problèmes posés par le conflit entre Britanniques et Français sur la question de savoir si le nouvel État polonais devait se voir attribuer des frontières plus vastes ou plus petites, qui incluraient ou excluraient un grand nombre d’Allemands et de Slaves ethniques.
La France favorisait une grande Pologne, en lien avec sa stratégie globale d’affaiblissement maximal de l’Allemagne. La Grande-Bretagne privilégiait une petite Pologne, surtout parce que si l’Allemagne perdait trop de territoire en Pologne, l’Allemagne risquait de renoncer à l’armistice qui avait mis fin à la guerre, avec des conséquences potentielles déstabilisatrices pour tout le continent.
Placer les minorités allemandes et autres de Pologne et d’ailleurs dans le cadre d’un système global de protection internationale coupait l’herbe sous les pieds de toutes les parties en présence et permettait à la Conférence de la paix d’aboutir à une conclusion relativement satisfaisante.
Les porte-parole juifs Julian Mack et Louis Marshall fournirent une partie du projet de texte initial pour les traités, mais leur formulation finale ne conserva que certaines des exigences juives originales.

Néanmoins, les Juifs du monde entier, de pratiquement tous les horizons politiques et idéologiques, accueillirent les traités des minorités avec enthousiasme, estimant que cette politique aller inaugurer une nouvelle ère de sécurité pour quelque 5,5 millions de Juifs (principalement d’Europe de l’Est).

Cependant, leurs espoirs furent vite anéantis. Les efforts déployés dans les années 1920 pour invoquer les traités et enrôler la Société des Nations dans la lutte contre les massacres de Juifs en Ukraine, les menaces d’expulsion des réfugiés de guerre juifs de Galicie, le numerus clausus dans les universités hongroises et les violences antisémites en Roumanie n’apportèrent aucun résultat tangible. Les membres de la Ligue se montrèrent réticents à intervenir dans les affaires internes des États membres, en particulier en faveur de groupes minoritaires pour lesquels aucun autre état membre ne montrait un intérêt actif.

À cet égard, la capacité des juifs à utiliser le système de protection des minorités à leur avantage fut considérablement inférieure à celle des minorités allemandes en Pologne et en Tchécoslovaquie, par exemple, qui pouvaient compter sur le gouvernement allemand pour soutenir leurs revendications.
Au contraire, les traités semblent n’avoir fait qu’ajouter aux frictions entre Juifs et non-juifs dans les pays qui y étaient soumis. Aucun de ces pays n’avait accepter les traités de bon gré. Tous ne le firent que parce que les Alliés avaient subordonné la reconnaissance diplomatique formelle à leur ratification.
L’attribution fréquentes des traités aux machinations juives lors de la Conférence de la paix ne fit que renforcer le stéréotype des Juifs comme force politique internationale puissante et sinistre, prête à user de son influence pour saper la souveraineté des nations dont les intérêts diffèrent des leurs.

Les dirigeants juifs en Europe orientale et occidentale, ainsi qu’aux États-Unis, essayèrent diverses stratégies pour activer le système de protection des minorités, notamment en recherchant des alliances avec d’autres minorités, en participant activement au Congrès européen des minorités et en obtenant un large soutien dans l’opinion publique européenne et américaine.
Aucune de ces stratégies ne connut un grand succès. La seule action positive de la Société des Nations sur une revendication juive fut la « pétition de Bernheim » de mai 1933, qui imposa une suspension temporaire de la législation antisémite nazie contre les Juifs de Haute-Silésie allemande, au motif qu’une telle législation violait la Convention germano-polonaise de 1922, garantie par la SDN.
Cette action ne concernait cependant pas directement l’un des traités relatifs aux minorités, et lorsque la Convention expira en 1937, la législation nazie fut réintroduite.

Le 13 septembre 1934, la Pologne renonça unilatéralement à ses obligations en vertu du traité, jusqu’à ce que tous les membres de la Société se conforment à des clauses identiques. Étant donné que les membres de la Ligue autres que les 14 états signataires se montrèrent peu disposés à le faire, le système de protection des minorités s’effondra.

Avec le décès du Maréchal Pilsudski en mai 1935, le dernier rempart contre l’antisémitisme d’état s’effondra.
L’antisémitisme exacerbé par la crise économique et la montée du fascisme en Europe se donna alors libre cours jusqu’au sommet de l’état polonais. En mai 1936, l’Union des nationalistes qui avait inscrit à son programme la réduction dans tous les domaines de la participation des Juifs à la vie du pays, prit le pouvoir. L’Etat chercha des solutions « d’évacuation massive » des Juifs mais tous les projets échouèrent et une vague de pogroms se déclencha en mars 1936. Le cardinal-primat Hlond, pressé par le Vatican, fit lire dans les églises une lettre pastorale qui condamnait « les Juifs propagateurs du bolchévisme et de la pornographie » mais rappelait que « les chrétiens avaient pour devoir de les aimer ». En vertu de quoi il réprouvait les pogroms mais admettait le boycott économique.
En 1937, le premier ministre Slawoj-Sladkowski soutint le boycott et envoya des agents du fisc contrôler les entreprises juives.
En juillet 1937, les règles universitaires d’isolement des Juifs furent érigées en loi. Au même moment, les marchés à Innowroclaw et à Kalisz furent divisés en deux parties, une aryenne et une juive.
En décembre une loi fut présentée pour organiser le départ des Juifs vers Madagascar avec le soutien du gouvernement français de Daladier.
Les catholiques ne furent pas en reste et en janvier 1938, les Juifs convertis devenus prêtres furent révoqués. Les partis catholiques demandèrent l’adoption des lois de Nuremberg retirant la nationalité polonaise aux Juifs.
Une nouvelle vague de pogroms se développa en 1938.
Le gouvernement polonais croyait, en donnant des gages à Hitler sur les questions raciales, s’attirer sa bienveillance sur le différent territorial mais en avril 1939, Hitler dénonça le pacte de non-agression germano-polonais.
Cela ne freina pas l’ardeur antisémite des autorités, au contraire. La Diète supprima le droit de vote des Juifs dans les chambres des métiers et le dernier acte du gouvernement polonais avant l’invasion nazie fut d’interner des Juifs accusés de spéculation dans le camp de Bercza Kartuska.

(Sources: David Engel, YIVO et Daniel Tollet, « Etre juif en Pologne, mille ans d’histoire du Moyen-Âge à 1939 »)