Ephéméride | Liquidation finale du ghetto de Vilna [23-24 Septembre]

23-24 septembre 1943

Liquidation finale du ghetto de Vilna. La Jérusalem de Lituanie, la perle de la yiddishkeyt, n’est plus.

Des 265000 Juifs habitant la Lituanie en juin 1941, 254000, soir 95%, ont été assassinés pendant l’occupation allemande. Aucune autre communauté juive d’Europe occupée n’a été aussi totalement détruite. Aujourd’hui Vilnius est la capitale de la République de Lituanie. Connue des Juifs sous le nom de Vilna (Wilna) et des Polonais sous celui de Wilno, la ville était désignée par le passé comme la «Jérusalem de la Lituanie». La population de la ville est de 196000 habitants en 1931, dont 55000 (28%) sont Juifs. En septembre 1939, les Juifs sont environ 55000. Mais, en raison d’un afflux massif de réfugiés, la population juive croît jusqu’à atteindre 80000 habitants en juin 1941, lorsque Hitler déclenche Barbarossa.

Faisant partie de l’empire russe, le Conseil lituanien de Vilnius proclame le 16 février 1918 la République lituanienne indépendante. Mais en automne de 1920, Vilnius et sa région passent sous contrôle polonais. Devant être occupées en septembre 1939 par l’Allemagne en vertu du pacte de Ribbentrop-Molotov, la ville et sa région sont finalement cédées à l’Union Soviétique en échange de l’occupation par le Reich de la Pologne centrale, assignée au départ à l’URSS. L’armée rouge occupe donc Vilnius le 10 octobre 1939. La Lituanie et l’Union Soviétique signent un traité d’assistance mutuelle, en vertu duquel lequel Vilnius et sa région doivent revenir à la Lituanie. En 1940, Vilnius devient capitale de la Lituanie soviétique.

Vilnius reste soviétique jusqu’au 26 juin 1941, date à laquelle la ville est prise par la Wehrmacht. Sur ses talons arrive l’Einsatzgruppe A, commandée par Franz Walter Stahlecker. L’unité est spécialement chargée d’éliminer physiquement les communistes et plus particulièrement les Juifs, les deux se confondant dans l’esprit des assassins. Un Sonderkommando, l’Einsatzkommando 9 s’installe au 12 de la rue Vilenskaia, sous le commandement de Horst Schweineberger et de Martin Weiss. Le 8 juillet est signé l’ordre obligeant tous les Juifs à porter une pièce de tissu dans le dos ; puis quelques jours plus tard ils sont obligés d’en porter une sur la poitrine sur ordre du commandant de la ville, Zehnpfennig. Deux jours plus tard un autre commandant, Neumann signe un nouvel ordre : les Juifs ne porteront pas ces pièces rapportées, mais l’étoile jaune de David.

Les premières exécutions par fusillade des Juifs débutent le 4 juillet 1941 à Vilnius. Ce même jour, les Allemands ordonnent l’établissement d’un Judenrat et un lieu d’exécution est aménagé dans le village de Ponary, à 10 kilomètres de Vilnius. L’extermination en masse des Juifs de Vilnius commence au moment où arrive le commissaire du district Hans Christian Hingst, en même temps que l’«expert en questions juives», Franz Murer. Entre le début de l’occupation allemande de la ville et la création du ghetto le 6 septembre 1941, 20000 Juifs ont disparu ou ont été exterminés. A la fin de 1941 48000 Juifs ont été assassinés à Ponary, la plupart d’entre eux venant de Vilnius.

Comme en témoignent les rapports de l’Einsatzgruppe A, l’extermination rapide des Juifs de Lituanie n’a été rendu possible que grâce à la participation de la population locale. L’invasion allemande a culbuté une armée rouge totalement dépassée et une population civile désorientée et démoralisée. Exploitant les préjugés antisémites mêlés de superstition de la population et leur haine des Soviétiques, les Allemands utilisent ces collaborateurs disposés à arrêter et à tuer les Juifs. A Vilnius, les Lituaniens sous les ordres de Ypatingi Buriai parcourent les rues, arrêtent les Juifs et les emmènent, soi-disant pour du travail… Les activités de ces auxiliaires sont tellement en phase avec les plans allemands que vers la fin juillet 1941, vingt bataillons locaux de police sont formés. Sous la conduite de Franz Lechthaler, le commandant du 11è bataillon de la police allemande de réserve, environ 8400 volontaires lituaniens sont chargés du meurtre des Juifs de toute la Lituanie. Vers la fin 1941, après que la plupart des Juifs lituaniens aient été exterminés, certains de ces bataillons sont envoyés en Biélorussie et en Pologne, où ils perpétuent des massacres dans les villes, ghettos et camps, y compris Treblinka et Majdanek, et participent à la destruction du ghetto de Varsovie. Entre la moitié et les deux tiers de tous les Juifs lituaniens ont été tués par la milice locale, même si certains Lituaniens et certains Allemands ont tenté de sauver des Juifs… Leur courage ne fait qu’accentuer la barbarie de leurs compatriotes. Un soldat autrichien en particulier, Anton Schmidt, cache des Juifs dans le sous-sol d’un atelier de matelas et assure leur transfert en Biélorussie dans des camions militaires. La Gestapo l’arrête et l’exécute le 13 avril 1942 pour ses actions.

Les premières exécutions de Ponary ont lieu le 8 juillet 1941. A Ponary, lieu de villégiature pour les Juifs de Vilnius où les Soviétiques avaient prévu de stocker du carburant, des puits circulaires sont creusés. Par groupes de cent, les Juifs sont amenés de la ville, obligés de se déshabiller, menés par paquets de dix au bord des puits et exécutés. Dans les douze jours suivant le 8 juillet environ 5000 Juifs de Vilnius sont assassinés de cette façon. On leur fait croire qu’ils seront envoyés dans des camps de travail. Un auteur polonais, Józef Mackiewicz, est témoin du massacre. Il a décrit cet événement dans son livre «Nie Trzeba Glosno Mowic» («Il ne faut pas parler fort»).

Entre fin juillet et début août, la Lituanie est intégrée au Reichskommissariat Ostland. Les massacres continuent à Ponary les semaines suivantes. Au 1 décembre 1941, l’Einsatzkommando 3 à effectué au moins 15 «raids» sur Vilnius. L’Einsatzkommando 9 affecte 150 de ses auxiliaires lituaniens pour participer à la liquidation de la communauté juive. Chaque matin et chaque après-midi ils arrêtent 500 personnes qui sont assassinées le jour même. Les victimes sont des Juifs de Vilnius mais aussi des Juifs des villes et villages voisins, des prêtres polonais et des prisonniers de guerre soviétiques. De même, Ponary n’est pas le seul lieu d’exécution ; des centaines de victimes sont assassinées dans la prison Lukiszki à Vilnius.

Le 31 août 1941, avant que les ghettos ne soient établis, Abba Kovner, un jeune juif, est témoin du début d’une «Aktion» : 2019 femmes, 864 hommes et 817 enfants sont emmenés de Vilnius en camions, transportés à Ponary et assassinés. Personne ne sait rien de leur sort jusqu’au à 3 septembre, lorsqu’une femme juive échevelée arrive en ville. Elle parle au docteur Marc Meir Dvorjetsky. Blessée, elle a réussi à s’échapper de Ponary et raconte que ce n’est pas un camp de travail, mais un lieu d’extermination. La femme est vivante parce que des hommes ont été tués d’abord. Elle a eu la chance de tomber dans la fosse et d’être recouverte par des corps de personnes tuées ou mortellement blessées, et a réussi à s’extraire des couches de cadavres… Six autres survivants de cette exécution réussissent à s’échapper, toutes des femmes… Dvorjetsky relate l’histoire de la femme lors d’une réunion des Juifs de Vilnius. Ces derniers refusent de le croire et l’accusent de vouloir semer la panique. L’«Aktion» se poursuit pendant quatre jours encore, faisant 8000 victimes…

Le matin du 6 septembre 1941, tous les Juifs sont obligés d’abandonner leurs demeures et d’entrer dans les ghettos. 3000 d’entre eux, incapables de se déplacer ou malades, sont emmenés à Ponary au bord des fosses… Deux ghettos sont ouverts, séparés par la rue Niemiecka, qui, située hors des limites des deux ghettos sert de barrière entre eux. Une barrière en bois entoure chaque ghetto, et les entrées des maisons donnant sur l’extérieur sont murées. Chaque ghetto a seulement une entrée, placée aux extrémités opposées des ghettos. Au début, les gens sont entassés au hasard dans l’un ou l’autre ghetto : 29000 personnes dans le ghetto 1 et 11000 dans le ghetto 2. Les conditions sont les mêmes que celles des autres ghettos… Dans les 72 bâtiments que compte le ghetto 1, chaque habitant dispose d’une surface de 1,5 à 2m². De plus, les massacres continuent : cela devient le quotidien des ghettos. Chaque jour des Juifs sont abattus par les membres de l’Einsatzkommando.

Quelques jours après l’ouverture du ghetto s’effectue une nouvelle répartition : Le ghetto 1 est réservé aux « Juifs du travail » et leurs familles, le ghetto 2 à tous les autres. Le transfert des orphelins, des malades et des personnes âgées du ghetto 1 au ghetto 2 et vice-versa commence. Ceux qui possèdent des permis de travail se déplacent avec leurs familles dans le ghetto 1. Le 15 septembre, la police de ghetto ordonne en soirée à ceux du ghetto 1 sans permis de travail de se rendre dans le ghetto 2 pour éviter le surpeuplement. 3000 personnes se dirigent vers le deuxième ghetto ; 600 seulement passent sa porte. Les autres, pris, sont emmenés à la prison Lukiszki puis à Ponary où ils sont exécutés.

Le 7 septembre 1941, le jour suivant la création du ghetto, un Judenrat est établi dans chacun des deux ghettos. Anatol Fried, un ingénieur, est nommé président du Judenrat du ghetto 1 et Eisik Lejbowicz président du ghetto 2. Une force de police juive est créée, commandée par Jacob Gens, un nom qui va marquer l’histoire du ghetto. Alors que le conseil du ghetto 1 compte dans ses membres des militants et membres de partis politiques, des personnages publics et des intellectuels, celui du ghetto 2 est composé de personnes beaucoup moins actives et peu aptes à le diriger. En raison de cette incapacité, les membres de conseil du ghetto 2 invitent des personnalités connues et des intellectuels à devenir membres du conseil.

Le transfert des ghettos dure du 15 septembre au 21 octobre. Les Allemands en profitent pour monter une «Aktion», l’«Aktion Yom Kippour», le 1 octobre 1941 : 3000 Juifs sont transférés à Ponary. Dans les jours qui suivent, 3 autres «Aktionen» touchent le ghetto 2 : les 3 et 4 octobre, les 15 et 16 octobre et le 21 octobre. Au soir du 21 octobre, le ghetto 2 a cessé d’exister. Ses habitants reposent dans les fosses de Ponary…

Le 23 octobre 1941, Murer fait distribuer 3.000 «Scheine» (certificats de travail) jaunes aux Juifs du ghetto 1 sélectionnés pour le travail. Ce «Gelbschein» permet à son porteur d’enregistrer trois membres de sa famille, qui ont droit à des certificats bleus, le mettant dans une situation de choix absolument épouvantable : qui sauver ? Qui sacrifier ? Chacun doit choisir entre ses parents, son épouse, ses enfants ou ses frères et soeurs. Ceux qui sont célibataires ou sans enfant choisissent parmi leurs amis et les présentent comme leurs épouses, leurs enfants ou leurs parents… Des neveux passent pour des fils, des pères pour maris, des épouses pour enfants, des mères pour épouses… Ceux qui n’ont pas de «Schein» sont irrémédiablement condamnés.

Le 24 octobre et le 3 novembre ont lieu des «Gelbschein Aktionen» faisant en tout 9000 victimes, bien plus que celles qui n’ont pas de «Schein»… En décembre, suivent encore d’autres massacres, de moindre dimension. En outre 3500 Juifs, qui s’étaient sauvés de Vilnius vers d’autres villes biélorusses et vers les villages environnants, ou qui se cachaient à Vilnus même, mais hors du ghetto, sont attrapés et massacrés… La population «légale» officielle du ghetto est alors de 12000 personnes. En réalité il y en a 3000 de plus qui réussissent malgré tout à se cacher dans le ghetto ou dans la ville «aryenne»…

S’en suit une période de calme relatif, qui dure jusqu’à l’été de 1943. Vilnius devient «un ghetto qui travaille». La politique du Judenrat se base sur l’hypothèse du «sauvetage par le travail» : si le ghetto est productif, il est de l’intérêt des Allemands de le préserver pour des raisons économiques. Cette croyance, la plupart des Judenräte des ghettos la partage. Tous cherchent, chacun à sa manière, de préserver l’équilibre fragile «travail et mort». Au quotidien, ils sont confrontés aux mêmes dilemmes que les individus avec celui du «Schein». Leurs réponses à la position désespérée dans laquelle ils se trouvent constituent une des aspects les plus controversés de la Shoah. Certains sont admirables pour leur résistance passive, tant que c’était possible, d’autres se font haïr pour avoir choisi la voie de la collaboration forcée…

Peu de Juifs veulent être membres des conseils Juifs. Les Judenräte sont les instruments principaux grâce auxquels les Allemands contrôlent les Juifs. Comme les membres du Judenrat sont Juifs, ils vivent avec le sentiment permanent de trahir leurs frères… Le Judenrat de Vilnius se constitue très difficilement, tant ceux que choisit le rabbin Simeon Rosowski pour le constituer se dérobent. Aussi faut il décider lors d’une réunion dans la synagogue, que celui qui est élu est obligé d’accepter son poste.

Avant la fin de 1941, avec l’appui des Allemands, Jacob Gens, (né en 1905 à Illovieciai), nommé directeur de l’hôpital juif au moment de l’invasion nazie et placé à la tête de la police juive lors de la création du ghetto, devient la véritable autorité dans le ghetto. Gens est un sioniste révisionniste de Kovno (Kaunas) et un ancien officier de l’armée lituanienne. Le 10 juillet 1942, les SS dissolvent le Judenrat et nomment Gens à la tête du ghetto. Fried devient son adjoint. Gens cumule rapidement les fonctions. Il y a probablement des éléments de mégalomanie dans sa personnalité ; les habitants du ghetto l’appellent rapidement «Roi Jacob I» bien qu’il n’y ait aucun doute qu’il ait cru passionnément en sa mission exprimée par son slogan «travail pour la vie». Il est vrai qu’il réussit à faire travailler 14000 personnes du ghetto sur les 20000 «résidents» En septembre 1942, toute la population «légale» du ghetto est au travail, plus 10%, constitués des «illégaux» du Ghetto. Même le «semblant de Judenrat» emploie 1550 personnes.

Le judaïsme enseigne que si un seul Juif est livré à un ennemi afin d’être être mis mort, tous les Juifs seraient tués ; les Juifs doivent souffrir la mort plutôt que livrer un seul de leurs membres. Dans beaucoup de ghettos, les rabbins sont tragiquement confrontés avec ce problème moral. Très peu prennent leurs distances avec cet enseignement traditionnel. Mais pour ceux qui sont placés devant de terribles choix, la Halacha (loi juive) n’a aucune réponse à ce dilemme sans précédent de l’a Shoah. Pendant les sélections d’octobre et de novembre 1941 Gens lui-même vérifie les papiers des Juifs passant devant lui, trois cartes bleues et une carte jaune à la main… En octobre il participe lui-même à l’«Aktion» qui sélectionne pour la mort 150 vieux et «inaptes au travail»… Dans deux des «Aktionen» en décembre il dirige lui même la «livraison» de plus de 150 «criminels» Juifs à Ponary. En octobre 1942, Gens, qui est également responsable de plusieurs petits ghettos des environs de Vilnius, envoie son adjoint au ghetto d’Ozmiana pour sélectionner 400 vieux et malades chroniques, condamnés à une mort certaine… Les Allemands avaient exigé 1500 victimes pour le transport à Ponary. Gens y accorde crédit en aidant à diriger les «Aktionen», convaincu de sauver ceux que les Allemands tueraient sur place pendant les rassemblements. Justifiant son action Gens explique : «la police juive a sauvé ceux qui doivent vivre. Ceux à qui il reste peu de temps à vivre ont été emportés et peut-être y aura-t-il quelques Juifs âgés pour nous pardonner ! Ils étaient le sacrifice pour nos Juifs et notre futur.» À une autre occasion il se défend : «quand ils me demandent mille Juifs, je leur en donne plus ; si nous ne les donnons pas volontairement, les Allemands viendront les prendre par la force. Alors ils n’en prendront pas mille, mais des milliers. Avec des centaines, j’en sauve mille. Avec des milliers que je remets, j’en sauve dix mille. Je dirai : «J’ai fait tout afin de sauver autant de Juifs que possible… je fais en sorte qu’au moins un reste de Juifs survive !».

La première organisation clandestine juive réclamant la révolte armée contre les Allemands se forme dans le ghetto le 1 janvier 1942. Sous la conduite de Yitzhak Witenberg, «l’organisation unie de partisans» (FPO – Fareinikte Partisaner Organizatzie) est une alliance entre communistes et diverses tendances sionistes. Leur première proclamation est exceptionnellement lucide : «toutes les routes de la Gestapo mènent à Ponary. Et Ponary, c’est la mort ! Hitler vise à détruire tous les Juifs d’Europe. Les Juifs de Lituanie sont destinés à être les premiers en ligne. Ne partons pas comme des moutons à l’abattoir !» Un petit noyau d’activistes tente de persuader l’ensemble de la population de se battre ; mais il n’y aura jamais à Vilnius une résistance armée efficace.

Gens est au courant des activités de la résistance, mais la tolère uniquement en tant que moyen de dernier recours. Son souci principal est de maintenir la politique de la survie par le travail. Ce qui interfère avec cette stratégie ne doit pas être toléré. Ainsi, quand, le 16 juillet 1943, les Allemands découvrent l’identité de Jitzhak Witenberg (1909-1943), chef du mouvement de résistance FPO dans le ghetto, et exigent sa reddition, sans quoi ils menacent d’incendier le ghetto, Gens s’en fait l’écho auprès des Juifs du ghetto. Aussitôt éclate une violente manifestation et des bagarres opposent les partisans de la résistance et ceux de la volonté des Allemands. Au courant, Witenberg, en accord avec ses amis, se rend à la Gestapo. Sa mort fait discussion : certains prétendent que Gens lui aurait donné une capsule de cyanure; d’autres prétendent qu’il aurait été fusillé le jour même par les SS… Abba Kovner, son successeur comme chef du FPO, dira plus tard que sa reddition fut un acte héroïque et a empêché un grave conflit opposant les Juifs entre eux….

En fin de compte, quelle qu’ait été la politique adoptée par le Judenrat et Gens, ce n’est qu’une stratégie de survie. Les Juifs sont de toute façon condamnés. Leur mort est au cœur de l’idéologie hitlérienne. Le 14 septembre 1943, Gens est convoqué au siège de la Gestapo, où son chef Rolf Neugebauer l’abat lui-même d’une balle dans la tête. Prévoyant sa mort imminente, et invité à s’échapper, il avait refusé, disant que s’il s’échappait, des milliers de Juifs payeraient ce geste de leur vie.

Mais l’arrêt de mort du ghetto de Vilnius est en fait signé depuis le 21 juin 1943, date à laquelle Himmler donne l’ordre de liquider les ghettos du Reichskommissariat Ostland. En été 1943 les SS et la Gestapo, sous les ordres de Bruno Kittel, procèdent au transfert dans le ghetto de Vilnius des populations des petits ghettos environnants, portant le nombre des habitants du ghetto à plus de 20000, dont 12332 «Juifs du travail» officiellement enregistrés. Entre le 4 et le 24 août, puis entre le 1 et le 4 septembre 1943, des «sélections» envoient 7000 hommes et femmes capables de travailler dans les camps de travail de Vayvari et de toute l’Estonie. Le 5 septembre 1943, 7000 Juifs sont envoyés à Ponary et massacrés. Le FPO appelle en vain à la révolte.

Le ghetto de Vilnius est définitivement liquidé les 23 et 24 septembre 1943. 8000 des 10000 Juifs survivants sont rassemblés place Rossa. Là, a lieu une sélection. Les aptes au travail sont envoyés dans les camps de travail, les hommes en l’Estonie, les femmes en Lituanie. Certains seront par la suite transférés au camp de concentration de Stutthof. Entre 4.300 et 5.000 vieux, femmes et enfants sont envoyés à Sobibor. Aucun n’a survécu. Plusieurs centaines d’autres, enfants et vieux sont emmenés à Ponary. Une centaine de membres du FPO réussissent à fuir et montent deux unités de résistance dans les forêts de Rudninkai et de Naroch.

Désormais, pour les nazis, il faut détruire les preuves. Paul Blobel, l’ex commandant de l’Einsatzkommando responsable du meurtre de 33771 Juifs en septembre 1941 à Babi Yar près de Kiev, est chargé de cette tâche. Son «Sonderkommando 1005», arrive à Ponary fin septembre 1943. Entre cette date et avril 1944, plus de 68000 cadavres sont exhumés et incinérés par un Kommando de 80 hommes (70 Juifs et 10 prisonniers de guerre soviétiques suspectés d’être Juifs), surveillés par 80 gardes fortement armés. Il y a trois fosses d’exécution à Ponary. Le Kommando est «logé» dans une quatrième fosse, très profonde à laquelle on ne peut accéder que par une échelle, retirée chaque soir. Enchaînés en permanence aux chevilles et à la taille, les prisonniers n’ont aucun doute sur leur sort : il ne doit rester aucun témoin vivant pour décrire les horreurs de Ponary. 11 membres du Kommando sont exécutés assez rapidement. Les autres sont fermement déterminés à s’échapper en creusant un tunnel à partir du fond de la fosse où ils logent. La date de l’évasion est fixée au 15 avril 1944. 40 d’entre eux parviennent à s’échapper par le tunnel avant que l’alarme ne soit déclenchée. Dans la chasse qui s’organise, 25 sont tués, mais 15 parviennent à atteindre les bois. La plupart rejoint les partisans dans la forêt de Rudnikai. Cinq jours plus tard, les 29 prisonniers restant sont exécutés.

Après la liquidation du 25 septembre 1943, 2000 Juifs sont maintenus à Vilnius, dans quatre petits camps de travail. Mais 1000 restent cachés à l’intérieur du ghetto. Ceux-ci sont progressivement découverts et exécutés. Les autres continuent à travailler dans les ateliers Kailis et HKP jusqu’au 2 juillet 1944. A la veille de la libération de la ville par l’Armée Rouge, 1800 sont pris, menés à Ponary et exécutés. Moins de 200 réussissent à se cacher jusqu’à ce que les Soviétiques n’entrent dans Vilnius le 13 juillet 1944.

Au total, entre 2000 et 3000 des 57000 habitants Juifs originaires de Vilnius ont réussi à survivre, en se cachant, en rejoignant les rangs des partisans, ou en ayant été transférés dans les camps d’Allemagne et d’Estonie. Le taux de mortalité juive à Vilnius voisine les 95% et correspond presque exactement à celui de l’ensemble de la Lituanie.

Le recensement 2001 indique que la population de Vilnius est des 542.287 habitants. 0,5% d’entre eux, soit 2.700 personnes sont des Juifs.

Après le guerre, le principal criminel de guerre de Vilnius, Franz Murer, l’«expert des affaires juives» dans la ville de 1941 à 1943, surnommé par des survivants «le boucher de Vilnius» est arrêté en 1947 et extradé en Union soviétique où il est condamné à 25 ans de travaux forcés. Libéré en 1955, il rentre dans son Autriche natale où il devient fermier. Sa trace est retrouvée par Simon Wiesenthal. Un second procès en Autriche l’acquitte en 1967… Martin Weiss, qui avait personnellement participé aux meurtres de Ponary, est jugé en 1950 et condamné à la prison à vie, de même qu’August Hering, chef du Sonderkommando de Vilnius de janvier à juin 1942. Bruno Kittel, qui avait dirigé la liquidation du ghetto de Vilnius a disparu à la fin de la guerre. Les cours soviétiques ont condamné certains Lithuaniens ; mais la plupart des criminels n’ont jamais été poursuivis…