Ephéméride | Sir Montague Burton [21 Septembre]

21 septembre 1952

Décès à Leeds de Sir Montague Burton. Il avait habillé jusqu’à un homme anglais sur cinq.

Les Juifs ne prirent part de façon significative à la fabrication et au commerce de vêtement en Angleterre, qu’à partir du XVIIIe siècle comme revendeurs de vêtements d’occasion.
À la fin du XVIIIe siècle, il y avait entre 1 000 et 1500 marchands juifs de vêtements usagés et en 1850, il y en avait encore entre 500 et 600 en activité. Ils vendaient des tenues complètes ou, lorsque celles-ci étaient trop usées, les détaillaient en petits articles, comme des gilets.

Le fait que les Juifs étaient, à cette époque, particulièrement concernés par les vêtements bon marché est confirmé par leur activité d’acheteurs dans les enchères de tissus importés par la Compagnie des Indes orientales, où ils semblent avoir dominé le marché des tissus à bas prix ou endommagés.

Leurs activités d’agents pour la marine (approvisionnant les navires à une époque où les gouvernements confiaient ce genre d’affaires à des fournisseurs privés) en faisaient naturellement des fournisseurs d’uniformes de marins, une activité qui persiste jusqu’à nos jours. Les Juifs dominaient également la chapellerie, aussi bien comme vendeurs que comme fabricants.

Au fur et à mesure que la communauté grandissait, des efforts furent entrepris par les responsables communautaires pour réduire le nombre de marchands ambulants et pour former les jeunes Juifs à des métiers, en particulier la confection, la chapellerie, et la fabrication de chaussures.
C’est ainsi que, en 1850, Londres (peut-être la première grande ville dans ce cas) avait développé une classe d’artisans juifs autochtones, ainsi qu’une classe moyenne de confectionneurs, d’entrepreneurs et d’intermédiaires.

En offrant la possibilité aux classes populaires d’acheter de nouveaux vêtements de même style – si ce n’est de même qualité – que ceux portés par les riches, ces artisans, fabricants et commerçants juifs entamèrent une révolution sociale.
Deux firmes en particulier, Hyam, qui employait 6 000 personnes, et E. Moses & Son, célèbre pour ses techniques publicitaires, furent les fers de lances de ce nouveau développement.
Ces entreprises et d’autres similaires fournissaient des vêtements pour les émigrants aux colonies. Pour répondre aux commandes de ces entreprises, les petits ateliers de confection se multiplièrent, encouragés par l’importation de la machine à coudre Singer dans les années 1850 et 1860.

Les vagues d’immigrants qui affluèrent d’Europe de l’Est dans les années 1880 augmentèrent le nombre et la concentration des Juifs dans la confection. Les chiffres du recensement des immigrants russo-polonais de 1901 montrent qu’environ 40 pour cent des hommes (et 50 pour cent des femmes) qui occupaient un emploi rémunéré travaillaient dans la confection, et 12 à 13 pour cent dans la chaussure.

La confection et la commercialisation de casquettes à Londres et à Manchester était presque exclusivement une activité entre les mains d’immigrants juifs. À Manchester également, l’imperméabilisation avait été développée par des immigrants juifs plus anciens, d’abord dans des ateliers puis dans des usines, mais l’imperméabilisation fut bientôt supplantée par la technologie supérieure des vêtements imperméables.

Les tailleurs juifs immigrés ne pénétrèrent aucunement le métier du vêtement sur mesure. A Londres, ils fournissaient des vêtements de confection pour les détaillants et les grossistes en vêtements et ce furent eux qui introduisirent en Grande-Bretagne la confection des vestes et manteaux pour dames.

Le principe général était la division du travail, en vertu de laquelle la tâche de chaque intervenant était distribuée selon ses compétences (ou leur absence). Travaillant de longues heures dans de petits ateliers mal ventilés, les ouvriers immigrés s’efforçaient de devenir entrepreneurs à leur tour. Ce modèle de production retarda la mise en place à Londres et à Manchester, d’un système de production industriel analogue à celui introduit à Leeds à partir de 1860 où, au début du XXe siècle, Montague Burton industrialisa le sur mesure, anticipant par là le rôle décisif des Juifs dans la production et la commercialisation de masse du vêtement au XXe siècle.

La chaîne de magasins Marks & Spencer en constitue un autre exemple remarquable.

Le fondateur de Burton, Moyshe David Osinsky (1885-1952), émigra en 1900 de la province de Kovno (aujourd’hui en Lituanie) en Angleterre où il prit le nom de Morris ou Maurice Burton. Bien qu’il ait prétendu avoir emprunté 100 livres sterling à un membre de sa famille pour s’installer en 1900, Burton commença manifestement comme colporteur.
Quoi qu’il en soit, en 1904, il gérait une petite boutique de vêtements au 20 Holywell Street, à Chesterfield, à laquelle vinrent ensuite s’ajouter des magasins supplémentaires à Chesterfield et Mansfield, qui vendaient des vêtements prêts à porter pour ouvriers.

Burton commença à proposer des costumes en mesure industrielle en 1906, mais sous-traitait la fabrication jusqu’à ce qu’il ouvre son propre atelier deux ans plus tard.

Après son mariage avec Sophia Amelia (‘Cissie’) Marks en 1909, Burton prit la nationalité britannique et déménagea à Sheffield où il ouvrit un magasin « Burton & Burton » au 101-103 The Moor. Le deuxième « Burton » était probablement le frère de Maurice Burton, Bernard, qui resta son associé à vie. En 1914, « Burton & Burton » comptait 14 magasins, occupant des locaux loués dans les rues principales des villes du nord de l’Angleterre et des Midlands (dont Manchester, Leicester et Stockport).

Dispensé du service militaire pendant la Grande Guerre, Burton remporta en 1916 un contrat lucratif pour la fabrication d’uniformes. Un an plus tard, « Burton & Burton » devint une société à responsabilité limitée intitulée « Montague Burton, The Taylor of Taste Ltd ».
C’est alors que Maurice Burton adopta le nom de Montague Maurice Burton.
En 1919, la firme détenait 36 magasins, dont beaucoup avaient été ouverts pendant la guerre.

Les boutiques de Burton fonctionnaient en symbiose avec ses usines. Les clients visitaient un magasin, parcouraient les catalogues, inspectaient les tissus, faisaient prendre leurs mesures, passaient leur commande et versaient un acompte. Leur costume étaient ensuite fabriqué sur mesure, selon les spécifications du client, dans l’une des usines de Burton à Leeds.

La croissance ne s’arrêta pas avec l’armistice. La demande pour des costumes de « démobilisation » permit à Burton de prendre le contrôle de l’immense usine de Hudson Road Mills à Leeds auprès des grossistes Albrecht & Albrecht. Celle-ci était considérée comme les plus grandes installations de ce genre au monde, mais elle fut encore considérablement agrandie par Burton.

La première cantine de Hudson Road Mills, construite en 1922, pouvait accueillir 1000 personnes assises. La suivante, achevée en 1928, pouvait accueillir 4000 ouvriers simultanément, mais elle fut remplacée par une nouvelle cantine pour 8000 personnes, inaugurée par la princesse royale Mary, en octobre 1934. A l’époque, l’usine de Hudson Road Mills employait 10000 travailleurs.
Outre ses installations de restauration ultramodernes, l’usine disposait d’une clinique médicale et de salles de repos. Le terrain de sport et les terrains de loisirs furent aménagés en 1935.

Les costumes étaient expédiés depuis cette grande usine vers les succursales par une flotte de 24 fourgonnettes.
La chaîne de magasins s’était rapidement développée. Il y en avait 36 en 1919 et 200 en 1923. Lorsque l’entreprise entra en bourse, avec un capital de 4 millions de livres sterling en 1929, elle comptait 364 emplacements (197 en pleine propriété) et 293 magasins. En 1932, il y avait 380 magasins et en 1939, 595.

Bientôt, la Grande-Bretagne fut à nouveau en guerre – et Burton réaffecta à nouveau ses capacités vers les vêtements militaires.

Au cours des années 1940, pendant et dans les années qui suivirent la guerre, il fut difficile pour Burton de satisfaire les commandes en raison de la pénurie de tissu et d’autres matériaux.

Sir Montague Burton, qui avait été anobli en 1931, mourut en 1952, alors que la chaine de magasins comptait 616 succursales. En 1953, l’entreprise fusionna avec Jackson the Tailor. Lionel et Sidney Jacobson (les fils du fondateur de Jacksons) reprirent la direction de l’entreprise et entreprirent de rénover les magasins.
La perle de l’empire Burton, l’usine d’Hudson Road à Leeds, n’employait plus que 5 000 personnes à la fin des années 1950: la moitié du nombre de personnes employées en 1939.

Burton était un Juif observant. Il suivait un office quotidien de « maariv »dans son usine. En 1939, il avait reçu un message de son directeur général l’informant que des antisémites avaient tagué « Juifs » sur les vitrines de certains de ses magasins. Burton répondit qu’il aurait apprécié l’opportunité d’ajouter « et fier de l’être ».
Il était membre de la petite communauté de Harrogate, une belle petite ville d’eaux près de Leeds, qu’il aimait beaucoup. Bien que sioniste passionné, lorsque sa femme et lui moururent dans les années 1950, ils furent enterrés au cimetière de Leeds dans des cercueils de plomb pour être transportés plus tard, non pas en Israël, mais dans le cimetière juif de Harrogate, lorsque celui-ci serait établi. Ils y reposent toujours.